Partout et toujours, sous tous les régimes, les détenus de droit commun (les truands) ont été utilisés – quand c’était possible, car tous ne s’y prêtent pas – par la hiérarchie des prisons et des camps pour terroriser ou surveiller les détenus politiques.
Ce fut le cas au Goulag avec les zeks, terrorisés par les « asociaux », puis dans les camps de concentration allemands, où les « triangles verts » héritaient du brassard de kapo pour dominer les détenus politiques, et c’est aujourd’hui le cas avec les « hybrides » de Daech, qui sont utilisés par l’oligarchie pour terroriser les populations civiles. Une expérience à grande échelle, où les barbelés englobent la société entière.
- Résistants espagnols du camp de Buchenwald
Gilles Kepel a raison quand il avance que les djihadistes qui officient en Europe mais aussi en Afrique et en Asie – une couverture mondiale, ce qui est une gageure pour une organisation pilonnée par une coalition mondiale – sont des délinquants qui sont entrés en contact en prison avec le salafisme, le mélange des deux devenant le « terrorisme » qu’on connaît. D’ailleurs, les services de sécurité les appellent logiquement des « hybrides ».
Mais dans l’analyse képelienne, il manque cette manipulation, que nous observons depuis des siècles dans tous les univers concentrationnaires, que ce soit le ghetto, la prison ou le camp de travail. Soljenitsyne, dans son Goulag, évoque le rôle d’espion, de provocateur ou d’informateur que la direction propose aux criminels, contre rémunération ou avantages en nature (surplus de nourriture, droit de vie, de mort et de cuissage sur les autres détenus, protection contre les mauvais traitements).
D’un point de vue plus personnel, hors enfermement, c’est-à-dire en « liberté », le truand professionnel a toujours été approché pour effectuer des sales besognes. On se souvient des tueurs pour le SAC de Messmer dans les années 60 en France, mafieux « nettoyeurs » pour la CIA aux États-Unis, en contrepartie de quoi, Hoover et ses services regardaient ailleurs quand l’Organisation engrangeait les bénéfices de ses trafics notoirement illégaux. La collusion était d’ailleurs telle qu’à Cuba, dans les années 1950, chefs de clans, officiels américains et dirigeants de multinationales s’asseyaient aux mêmes tables de négociations…
- Pierre Messmer (à la droite du Général), en charge de la contre-insurrection
La littérature offre un exemple de tueur formé par le renseignement : le livre de Norman Lewis Le Sicilien, une œuvre de fausse fiction construite avec des éléments de vérité… On y découvre, dès la fin de la libération de la Sicile (Opération Husky, juillet 1943), le repérage, la fabrication, et l’utilisation par les services américains d’un jeune tueur de la mafia locale qui deviendra « nettoyeur » pour la CIA. Il travaillera à Cuba et sur le sol américain, avant de finir nettoyé à son tour, par ses propres employeurs (dont il ne connaissait que son agent traitant).
Ce documentaire (à partir de la 26’) détaille les liens durables entre pouvoir américain et mafia sicilienne, qui sera le bras armé de la contre-insurrection. La « série d’attentats » attribués à la gauche qui ensanglantent l’Italie (à partir de la 41’) résonne avec la situation française actuelle :
Ceux qui y verront une analogie structurelle avec la montée et la chute d’un ben Laden ne sont que de vulgaires complotistes à dénoncer illico au fils-à-papa Huchon ou au grotesque IIIe Reichstadt, le surveillant autoproclamé du Net. Plus sérieusement, il n’est pas besoin de traverser l’Atlantique pour dénoncer la collusion du Crime et de l’État profond, entité dans laquelle nous incluons la direction du renseignement. Chez nous, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, des personnalités corses impliquées dans la Résistance feront leur chemin soit dans les services secrets français, soit dans la grande criminalité, les deux champs pouvant se mêler… et se démêler au gré des besoins de l’État. De grands noms du Milieu et de la haute police (jusqu’à la tête du renseignement) étaient corses d’origine, ce qui ne veut pas dire qu’ils fricotaient forcément ensemble. Plus récemment, l’incroyable dossier des milliards envolés de la taxe carbone fait peser une lourde suspicion sur les rapports entre haute hiérarchie policière, hauts responsables politiques, et crème de la truande en col blanc.
- L’escroc français présumé Arnaud Mimran a financé la campagne de Benyamin Netanyahou
Pour en revenir à 2016 et aux attentats sur le sol européen, les CV (bien connus !) des tueurs et autres « kamikazes » montrent l’évolution de jeunes criminels vers un pseudo engagement politique. Pseudo, parce que tuer des innocents ne relève pas de la politique. En revanche, planifier des tueries d’innocents est un acte politique. Dans Le Sicilien, le tueur n’a pas le choix de sa cible. Chez les djihadistes, le choix est plus « simple », puisqu’il s’agit de tuer le plus de personnes possibles dans l’intervalle de temps le plus court possible. Le choix de la cible ne dépend donc pas forcément du commanditaire, qui cherche uniquement un impact, et qui tire profit de cet impact. Les exécutants, eux, ne tirent profit de rien, et finissent généralement exécutés, sur le champ, ou après une chasse à l’homme nationale. Ce qui permet de couper le lien avec le commanditaire.
Auto-nettoyage des assassins amateurs
Avec les attentats « islamistes » (ou islamo-sionistes) actuels, plus besoin d’éliminer les exécutants, ils s’éliminent tout seuls au cours des opérations, ou sont éliminés par les forces de l’ordre. Ainsi, le commanditaire peut-il tirer les marrons du feu sans risque de remontée jusqu’à lui. Et sans risquer un quelconque chantage de la part d’exécutants qui auraient été pris vivants, à moins que la taupe de la cellule « terroriste » ne soit justement celle qui ait survécu à l’opération…
Les seuls signes d’une opération sous faux drapeau (vert) sont évidemment les failles logiques qui apparaissent pendant les enquêtes. Pas les enquêtes officielles, sous contrôle étroit du pouvoir, mais les enquêtes journalistiques indépendantes. Parfois, un journaliste mainstream pas vraiment adepte de la théorie des manipulations du pouvoir profond, met le doigt sur un détail extrêmement gênant, qui ruine tout un pan de l’explication officielle. Il ne se l’explique pas.
Mais n’allons pas si loin dans les conjectures. Le schéma du détenu de droit commun qui terrorise ou contrôle pour ses commanditaires le détenu politique est structurellement identique, mais il évolue dans sa forme. Aujourd’hui, les disciples de Daech ne vont pas assassiner des hommes politiques qui représentent la liberté d’expression, par exemple. En revanche, ils assassinent une idée politique, celle de la communauté nationale, qui se scinde alors, une fois le forfait accompli, en communautés antagonistes. C’est le but des attentats : accuser la communauté responsable d’avoir hébergé (à son corps défendant ou pas) les cellules cancéreuses en question. Le modèle de manipulation a donc muté. Dans le goulag soviétique ou les camps de concentration allemands, il suffisait d’injecter des criminels dans les chambrées pour dénoncer tout projet d’évasion ou de résistance au stade de la planification.
Cependant, dans le camp de Buchenwald, l’organisation communiste clandestine avait elle-même ses « nettoyeurs » d’indicateurs. Et à Auschwitz, les criminels de droit commun trop curieux finissaient parfois dans les fours tenus par les sonderkommandos…