Egalité et Réconciliation
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Le goulag dans le capitalisme avancé

La relation entre délits et peines est passée par un long développement historique. Pour la doctrine judiciaire moderne, les systèmes de torture de l’Antiquité classique sont des actes de barbarie cruels et inhumains. Mais, en réalité, l’analyse de Michel Foucault a démontré que ces systèmes n’étaient pas des actes aveugles de cruauté gratuite, mais qu’il répondaient à une logique politique et sociale. Cette logique était celle de l’Ancien Régime dans laquelle le rituel de punition en public (par exemple l’écartèlement d’un régicide) jouait un rôle crucial dans l’ordre social et était contigu à la sphère du politique.

Selon le Centre International d’Études sur les Prisons, dans le monde il y a 9 millions de personnes condamnées pour des délits de tous types. Mais 2.200.000 d’entre elles se trouvent incarcérées aux USA. Cette donnée fait du voisin du nord la nation avec la population carcérale la plus importante du monde (5% de la population mondiale mais 24% de la population carcérale).

Le pays qui se pose comme le paladin de la liberté est en même temps le champion de la population carcérale. Aux USA, pour 100.000 habitants il y a 730 prisonniers. Les pays qui suivent sont la Biélorussie et le Russie (avec 532 détenus pour 100.000 habitants).

Le nombre de prisonniers augmente dans une bonne mesure parce que le système policier a augmenté (ce qui accroît la probabilité d’attraper les délinquants) et parce que la législation a pratiquement abandonné l’éthique de la réhabilitation pour préférer celle du châtiment. Aujourd’hui les peines sont plus sévères et la probabilité qu’elles soient réduites est moindre. Spécialement drastique est la règle dite des trois strikes (trois coups) : un délinquant qui a commis trois délits est condamné à des peines très lourdes. Finalement, le combat contre la drogue a conduit à l’arrestation d’un grand nombre de personnes : 60% des détenus des prisons fédérales ont commis des délits en relation avec les drogues.

L’inégalité raciale et économique qui caractérise la société des USA se reflète dans la population incarcérée : 48% des prisonniers sont afro-usaméricains et 18% d’origine latine. Un afro-usaméricain a huit fois plus de probabilités d’être en prison qu’un blanc. La possibilité qu’un jeune en échec scolaire se retrouve en prison est trois fois grande qu’il y a 20 ans ; 60% de la population afro-usaméricaine de 35 ans qui a déserté l’école est en prison ou a été condamnée.

Évidemment, être derrière les barreaux est un fardeau très lourd pour les familles des détenus. Et il y a actuellement plus de 2.200.000 enfants dont les pères purgent des peines de prison. Dans la population des jeunes blancs, 1% a ses parents en prison, alors que chez les jeunes noirs le pourcentage est dix fois supérieur.

Il est indéniable que le système judiciaire usaméricain est aujourd’hui plus lié à l’idée de punir. La violence des gardiens envers les détenus fait partie de la vie quotidienne. L’ironie est que tout cela se trouve lié au monde des affaires privées. C’est pourquoi le système carcéral est décrit fréquemment comme le « complexe carcéro-industriel » (par analogie avec le complexe militaro-industriel, NdT). Des prisonniers enchaînés travaillant dans les champs en Arkansas aux maquiladoras (usines d’assemblage dans les zones frontalières avec le Mexique, NdT) à l’intérieur de nombreuses prisons, l’emploi de cette force de travail captive génère plus de 30.000 millions de dollars aux USA (c’est plus que les recettes générées par le base-ball des grandes ligues). Des entreprises comme Lee, Boeing, Victoria’s Secret, Eddie Bauer et d’autres utilisent cette force de travail contre des salaires de misère. Cela génère des incitations perverses pour continuer à remplir les prisons de main d’oeuvre bon marché : le système des prisons est une des industries qui croit le plus rapidement aux USA et beaucoup de jeunes pauvres et sans perspectives cherchent du travail dans les prisons.
Avant 1983 il n’existait pas de prisons privées dans ce pays. Il y en a aujourd’hui plus de 150. Elles sont la propriété d’entreprises de tout type, parmi lesquelles se détachent la Corrections Corporation of America et Wackenhut. Leurs bénéfices sont réellement surprenants. Il en ressort que la tentative d’avoir des prisons efficaces en matière de réhabilitation a échoué et qu’on a choisi de les convertir à la logique de la rentabilité. Excellent négoce privé, formidable échec social.

Le terme goulag est un acronyme de la Direction Générale des Camps de Travail (forcé) du régime soviétique. Dans son Archipel du Goulag, Alexandre Soljenitsyne analyse la rationalité d’une forme de domination. De même que Foucault, Soljnitsyne non seulement écrit l’histoire d’un régime punitif mais il fait une analyse de la rationalité de l’oppression. Les deux auteurs seraient d’accord pour considérer qu’aujourd’hui aux USA on vit un nouveau chapitre de la raison punitive.


Source : La Jornada

Traduit de l’espagnol par Gérard Jugant et révisé par Fausto Giudice,membres de Tlaxcala http://www.tlaxcala.es , le réseau de traducteurspour la diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour tout usage non commercial ; elle est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner sources et auteurs.
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