Comme disait le Pr Choron, dans 10 ans, tu retrouves tous ces petits cons derrière le guichet d’une banque, ce sera des vieux cons avant l’heure. Le vieil anarchiste n’a historiquement pas tort : chez nous, les révoltes étudiantes mènent généralement à un siège PS au Conseil régional ou au Sénat. Rien foutre, faire chier les flics, qui du coup s’occupent moins des vrais problèmes, ça mène à une jolie carrière de parasite social. Pour cela, il faut d’abord militer chez les trotskistes, qui apprennent à noyauter les autres organisations. Que voulez-vous, c’est comme ça, la bestiole ne vit qu’aux dépens des autres.
Là, nos futurs bobos des quatre premiers arrondissements parisiens – pour les plus malins, les autres iront à Montreuil, voire Aubervilliers pour les plus nuls – jouent à se faire peur avec les méchants flics. Non non, vous avez bien lu : on nage en pleine phraséologie de type Mai 68, avec « AG », « coordination inter-universitaire », « occupation », « répression policière » et l’inévitable « lutte ». C’est vrai que c’est mieux que de bosser sa licence ou son master, ces trucs de ieuv qui font iech. Ces trucs de fachos, disons-le tout net.
Au lieu de cela, les garçons découvrent la mini-décharge d’adrénaline des pseudo-combattants (sauf que les CRS ont ordre de ne tuer personne, ce qui retire pas mal d’intérêt au combat, c’est comme un poker avec des allumettes), et les filles mouillent leur culotte en poussant des cris de guenons paniquées. Au final, une opération de détox générale, où l’on joue à papa-méchant en ayant l’impression de bousculer le vieux monde.
« Il n’est pas question que la police vienne empêcher une assemblée de lutte de se tenir »
Pendant ce temps-là, à 50 mètres à vol d’oiseau, les Français continuent tranquillos leur vie quotidienne faite de boulot et de responsabilités. La révolte étudiante qui gronde, tout le monde s’en fout : les problèmes des Français sont légèrement plus sérieux qu’une occupation de salle de classe. Un volontaire pour expliquer ça aux étudiants de Tolbiac ?
Attention toutefois, pour les étudiants-guerriers les plus ambitieux, à ne pas sombrer dans l’Éducation nationale, qui réserve des postes (élevés en général) aux clampins qui entrent dans ce réseau, ou dans la pédophilie, qui guette tous les amoureux de la jeunesse, de la révolution et du Grand Soir.
Non non, on ne fait pas dans la réaction fasciste de classe bourgeoise réactionnaire, ne nous gourons pas de prolétaires ni de révolutionnaires. En l’occurrence, les révolutionnaires, vu la réalité de la répression qu’on se mange, sans la chercher, alors que ces oisillons mendient les coups de matraque pour jouer aux Che Guevara en salle, les révolutionnaires, donc, ce serait plutôt nous.
Pas besoin de théâtralité, il suffit d’énoncer posément, sans gesticuler, quelques vérités politiques dérangeantes et hop, on bascule tout de suite dans le sérieux. Dans le dur. Avec toutes les puissances du Mal sur le râble. Et ça fait mal : juridiquement, économiquement, physiquement. Mais c’est comme ça qu’on se construit, hein, pas en faisant chier un quarteron de policiers. On ne voit aucune différence entre des étudiants qui emmerdent gratuitement les flics et des racailles qui caillassent les pompiers. Même bêtise. Des pauvres qui font chier des pauvres.
Le mot « rage » flanqué de toutes ses dérivées (« rageux », « rageur », « rageuse ») illumine les phrases dignes d’un Dany Cohn-Bendit, l’homme-sucette de la révolution orange française de 1968. De la bonne vieille pantomime de révolution à la papa, ça. Même pas changé de vocabulaire, les pré-bobos ! Merde alors, tu parles d’une revolucion, si déjà les mots encroûtés sont les mêmes, ça risque pas d’aller bien loin.
Impossible de relever tous les clichés qui émaillent ce discours écrit par une trompette. Mais on sent la future plume des tracts syndicaux, le stagiaire à Mediapart, le larbin du camp du Bien, le premier roman « social » auréolé du Goncourt des Lycéens...
Messieurs les CRS, ayez pitié de nous, pensez à notre futur à tous : chargez et... pas de quartier !
PS : ne ratez en aucune façon l’hilarante touche LGBT de parité homme/femme (ou homo/lesbienne) qui oblige à émailler ce texte historique de tirets et de « e ».
Un compte-rendu subjectif sur ce qui s’est vécu jeudi [17 mars 2016] en fin d’après-midi lors de la tentative d’occupation de Tolbiac, et ce qui vient après.
Tolbiac, jeudi 17 mars, 18 h : grilles, murs gris, vigiles. Fermeture administrative. On nous dit : le bâtiment n’est pas à vous, au revoir. Trois moments de luttes y avaient pourtant été décidés ce jour-là : une assemblée locale, le matin, réunissant tous les étudiant-e-s de Tolbiac, la coordination de lutte inter-universitaire francilienne ainsi qu’une assemblée inter-lutte indépendante.
Cette dernière se voulait un lieu indépendant de rencontre et d’organisation entre tous les individus et collectifs en lutte, un espace de lutte transversal dépassant les étiquettes sectorielles/syndicales/partidaires. Car si nous luttons contre la loi "Travaille !", nous cherchons surtout, partout où nous sommes, à défaire le monde de merde qui la permet et en inventer un nouveau. Le rendez-vous avait largement circulé ces derniers jours : 18 heures à Tolbiac. Aucun de ces trois moments de luttes n’ont été possibles en raison de la décision de fermeture administrative de Paris-I, précisément prise pour tuer dans l’œuf un tel moment hors-étiquette et les possibles qu’il contient, hors du contrôle des bureaucrates apprentis ou confirmés.
Plus d’une centaine de personnes se retrouvent, d’abord au parc de Choisy puis en face des grilles fermées. Que faire ? Vite, une solution. Refusons de nous laisser faire : l’université est à nous, à toutes celles et ceux qui luttent, l’université n’avait qu’à se la fermer plutôt que de fermer. Une porte à l’arrière s’ouvre, on s’engouffre par le parking, l’amphitéatre est à nous. Le directeur du site fait les cent pas dans le couloir et tire la gueule avec sa cravate rouge de travers.
Nous, on fait la teuf dans l’amphi décrépi que quelques inscriptions redécorent, lui qui n’attendait que ça. Le tableau blanc se pare ainsi d’un « Continuons le début » écarlate, qui porte en lui toute la joie rageuse de ce moment, toute la puissance possible de gentes qui décident d’agir ensemble hors des étiquettes et des comparaisons-neutralisations stériles (« C’est comme/mieux/moins bien que le CPE/le mouvement de 1986/le mouvement LRU de 2009, etc ».) : on n’apprend pas à commencer !
Quelques détails techniques cependant : comment se barricader correctement, mais surtout comment faire rentrer la centaine de personne dehors, alors que les fourgons de CRS commencent à arriver et encercler le site ? Quelques un-e-s parviennent à escalader les grilles juste à temps, avant que les flics entourent complètement le périmètre et repoussent le reste des gentes plus loin. Il est 18h10, « l’assemblée peut-elle commencer ? ». Tout le monde hurle « oui ! ». À ce OUI rageur résonne un écho casqué qui vient troubler la belle ambiance : les CRS arrivent, petites rangées serrées, et tentent d’ouvrir les portes de l’amphithéâtre. Peut-être veulent-ils prendre un cours de rattrapage en auto-organisation ou en autodéfense populaire ? On tente de rester, et d’un accord commun il n’est pas question que la police vienne empêcher une assemblée de lutte de se tenir.
Alors on maintient les portes fermées avec des barricades de fortune – quelques tables, un tableau, et un câble de liquide extincteur dont de généreuses rasades de liquide anti-incendie sont envoyé dans la gueule des flics, qui tentent de faire passer leurs gros boucliers par la petite porte : ça patauge, ça hurle. Un CRS se casse la gueule et se prend une volée de chaises, de bouteilles et même un gros pétard. À la force pure, ils finissent par débouler, crient, tabassent, compressent, et nous sortent tous par une petite porte. Un sale comité nous accueille. « Profitez, vous êtes filmés » ricane sûrement le major de la promo.