Le fonds du service historique de la Défense est désormais accessible au public. Une mine pour les historiens, où Le Point a sélectionné quelques pépites.
C’est une révolution dans le monde des archives. Le 13 août dernier, nous faisions une longue interview des historiens Gilles Morin et Thomas Fontaine pour faire le point sur l’accès aux diverses archives concernant la Seconde Guerre mondiale.
Coup de théâtre : mercredi, la division des archives du ministère de la Défense, logée au château de Vincennes, a décidé d’ouvrir au public l’intégralité des archives sur cette période qu’elle a déjà inventoriées et dépouillées. Il en ira ainsi jusqu’à la fin de ce grand chantier qui devrait durer encore deux ans. Jusque-là, un fonds d’archive n’était accessible qu’une fois entièrement inventorié. Cette fois, il s’agira d’un work in progress immédiatement reversé au public qui pourra consulter l’inventaire sur le site du service historique de la Défense (SHD). Tous ces dossiers seront rangés sous la cote GR 28 P.
Des centaines de cartons non identifiés
De quoi s’agit-il ? Comme nous l’explique Frédéric Queguineur, chef de la division des archives de la Défense, « ce fonds est celui de l’ancienne DGSE, présent dans un sous-sol sécurisé du château de Vincennes depuis les années 1980, que celle-ci, en 1999, avait confié aux archivistes du SHD ». 500 mètres de linéaires qui regroupent les archives du BCRA (le Bureau central de renseignement et d’action) de la France Libre, du DSM d’Alger (Direction de la sécurité militaire), de la DGER (Direction générale des études et recherches), l’ancêtre de la DGSE constituée à la Libération, ainsi que des archives allemandes ici et là récupérées après l’été 1944.
Mais la DGSE avait fait un drôle de cadeau à ses petits camarades : des centaines de cartons non identifiés, mélangés sans logique pour dissuader une éventuelle puissance étrangère qui mettrait la main dessus. « Ils nous avaient tout remis sans nous donner la clé de fichage. » En 2013, la division des archives de la Défense tourne une page historique et prend enfin en main ce trésor qu’elle se décide à classer par ses propres moyens, les clés de fichage ayant été perdues, oubliées…
Un éclairage unique sur les techniques policières
« Nous avons été subjugués par la richesse : des milliers de dossiers individuels d’agents, résistants ou collaborateurs, constitués dès la fin de la guerre, à partir d’interrogatoires, pour démasquer les faux agents ou voir s’ils pouvaient être réutilisés par les services secrets français, en particulier en Indochine. »
Grâce aussi à des archives allemandes récupérées par les services secrets – en particulier la Gestapo de Trêves, fonds non détruit, chargée d’une police des frontières et du passage d’un grand nombre de Nuit et Brouillard – on a enfin « un éclairage unique sur les techniques policières, la preuve aussi qu’à partir de mi-1943, la lutte contre la Résistance, dans la perspective d’un débarquement inéluctable, devient l’un des trois dossiers-clés des nazis, avec le génocide des juifs et l’exploitation économique de la France », analyse Thomas Fontaine, un des historiens chargés de l’expertise de ces archives.
Pour l’heure, moins de la moitié d’entre elles ont été inventoriées. Après l’arrêté du 24 décembre 2015, qui ouvrait tous les dossiers judiciaires de la Deuxième Guerre mondiale, il était logique que ces milliers de dossiers individuels, qui répondent au délai légal du secret de la vie privée (50 ans) soient enfin inventoriés et mis à disposition. On n’avait que trop tardé. Nul doute que de nouveaux ouvrages consacrés en particulier à la répression allemande pendant la guerre naîtront de ces nouveaux documents.
Le Point a choisi déjà de vous commenter certaines de ces pépites qu’on peut retrouver aussi grâce à l’historien Gregory Auda sur le site des « Chemins de la mémoire », du ministère de la Défense.