Au Sahel, l’impasse actuelle a cinq principales causes :
1) Les Maliens et les Français n’ont pas le même ennemi. Pour les premiers ce sont les Touareg qui demandent la partition du pays alors que les islamo-trafiquants que Barkhane combat ne sont pas séparatistes ; de plus, ils irriguent l’économie souterraine du pays.
2) L’islamisme radical, donnée régionale de longue durée, a toujours été le paravent d’intérêts économiques ou politiques à base ethnique. Aujourd’hui, il prospère sur des plaies antérieures à la période coloniale dont il n’est que la surinfection.
3) Le djihadisme est devenu un « ennemi de confort ». En réalité, nous n’avons face à nous que quelques centaines d’ « authentiques » religieux se mouvant avec opportunisme dans un vivier de plusieurs dizaines milliers de trafiquants abritant leur « négoce » traditionnel derrière l’étendard du Prophète et qui, à l’occasion, peuvent se joindre à une expédition armée.
4) Pour les populations maliennes, la présence française relève du néocolonialisme et elles accusent même la France d’être « complice » (! !!) des djihadistes (voir mon communiqué du 8 décembre 2019). Une accusation singulièrement renforcée par l’insolite restitution du « sabre d’el-Hadj Omar » perçue localement comme la reconnaissance par la France de la mémoire d’un conquérant djihadiste apparenté aux Peul qui mit en coupe réglée les ancêtres de 90 % de la population de l’actuel Mali et d’une partie de celle du Burkina Faso...
5) Les dirigeants français qui s’obstinent à soutenir des États faillis, ne proposent à des populations antagonistes enfermées dans d’artificielles frontières qu’une seule solution politique, l’utopique « vivre ensemble ». Or, comment peuvent-ils imaginer que des nomades berbères, arabes ou peul accepteront de se soumettre au bon vouloir d’agriculteurs sédentaires, que leurs ancêtres razziaient, au seul motif qu’ils sont électoralement plus nombreux qu’eux ?
Voilà identifiés les cinq principaux problèmes qui sont à la base des actuels conflits sahéliens. Or, comme je l’explique dans mon livre Les guerres du Sahel des origines à nos jours, ils sont insolubles dans les cadres politiques et institutionnels actuels. En effet, l’opposition ethno-raciale nord-sud et la confrontation nomades-sédentaires, avec en arrière-plan la péjoration climatique et la suicidaire démographie, ne peuvent évidemment pas être réglées par Barkhane. D’autant plus que, placées à la confluence de l’islamisme, de la contrebande, des rivalités ethniques et des luttes pour le contrôle de territoires ou de ressources, nos forces percutent régulièrement les constantes et les dynamiques locales.
Sans une profonde remise en cause des définitions constitutionnelles des États sahéliens, les actuelles guerres sont donc sans solution. Imaginons en effet que les islamo-trafiquants et les divers groupes armés terroristes soient finalement éradiqués, les problèmes de fond que connaît le Sahel ne seraient pas réglés pour autant puisque les causes historiques et humaines des conflits résurgents n’y auraient pas été traitées.