Il était tentant, pour les Français pétris de culture républicaine que nous sommes, de faire le parallèle entre l’actuel soulèvement des Gilets jaunes et la Révolution française.
Ça n’a pas manqué, et on entend régulièrement comparer Macron avec Louis XVI, la classe politique avec la noblesse, et ce système en décomposition avec l’Ancien régime.
J’aimerais remettre les pendules à l’heure.
Oui le peuple français avait faim à la veille de la Révolution française.
Mais la raison n’est pas que la « noblesse et le clergé » s’en seraient mis plein les poches au détriment du peuple, comme on l’entend souvent.
Et les foules désespérées qui faisaient le coup de poing avec des forces de l’ordre complètement dépassées ne réclamaient pas la fin de l’Ancien régime, mais son sauvetage.
Et l’interdiction du nouveau.
Toujours les rois de France avaient assuré que le pain du peuple serait accessible à tous au meilleur prix, et là était la raison d’être de la royauté.
Le roi était le père nourricier, et son autorité envoyait sur les marchés une police dont la fonction consistait à protéger le peuple contre les appétits des marchands.
Pointilleuse, respectée, dotée de pouvoirs réels, la police des grains assurait une sorte de service public de l’alimentation et ne laissait les marchands faire leurs achats qu’une fois que la population locale, toute la population locale, s’était servie.
En cas de disette, quand pour des raisons politiques (guerre) ou climatiques, le grain manquait, son prix était fixé par la négociation entre les autorités locales et les marchands.
On appelait cette négociation la taxation (ou fixation du taux).
Le peuple faisait confiance au roi pour le protéger de la rapacité des profiteurs, et Henri IV avait fait de l’exportation de blé, en cas de disette, un crime de lèse-majesté, donc passible de la peine de mort : le pain du peuple était sacré au nom du bien commun.
Un jour sont arrivées les Lumières, qui ont prétendu remplacer le bien commun par la recherche du profit.
Des gens sans scrupule ont poussé le roi à s’endetter jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus, puis l’ont convaincu que, pour qu’il puisse rembourser la dette, il fallait qu’il libéralise le commerce des subsistances.
Laisser circuler les blés sans les tracasseries de la police des grains, laisser la loi de l’offre et de la demande en fixer le prix, laisser faire, laisser passer.
Louis XV décida de tenter l’expérience en 1763, mais devant les violences et les cris de la population indignée devant la hausse des prix, il choisit de reculer et de revenir à l’ancien système.
À son avènement au trône en 1774, le jeune Louis XVI fut convaincu par les arguments du brillant Jacques Turgot qui lui présenta tous les avantages qu’il aurait à libéraliser le commerce des subsistances.
Intimidé, désireux de bien faire et manquant totalement d’expérience, Louis XVI laissa Turgot vider les greniers et laisser les marchands rafler les grains à la place des consommateurs, sous les applaudissements nourris de Voltaire qui voyait enfin se réaliser ses rêves.
Ça fut un soulèvement : comme un seul homme (et femmes en tête) et aux cris de « taxation ! taxation ! » la population partit récupérer son grain et le distribua au « bon prix », celui qui ne lèse personne et permet à tout le monde de vivre.
Si les gigantesques manifestations de Gilets jaunes réclamant un carburant abordable ressemblent à quelque chose, c’est bien à ces foules de la Guerre des farines.
Dans les deux cas, le peuple exige d’être entendu et refuse de payer pour une dette qui n’est pas la sienne.
En 1776 encore, le roi entendit son peuple et revint à l’ancien système, celui de la police des grains : il renvoya Turgot.
Or la dette continuait d’augmenter, encore et encore.
Quand elle a été telle que l’État risquait de ne plus pouvoir payer ses fonctionnaires, quand furent épuisés tous les expédients habituels le roi, acculé, accepta, une ultime fois, de libéraliser le commerce des subsistances.
Puis il fut contraint de réunir les États-généraux, assemblée chargée de répartir l’impôt et d’apporter au roi les doléances des peuples.
Les libéraux avaient le vent en poupe, et avaient obtenu, en même temps que la libre-circulation des subsistances, un contrat de libre-échange entre la France et l’Angleterre qui inonda le marché français de produits à bas prix fabriqués par des enfants et des ouvriers réduits à la misère.
La hausse du prix du pain se doubla d’un chômage abominable, et les six mois qui précédèrent la prise de la Bastille furent faits d’émeutes de chômeurs et de familles exigeant le retour du système protecteur qui avait eu cours jusque-là et non son abolition.
Le peuple ne contestait pas l’ancien régime, mais le nouveau, celui du capitalisme appliqué à sa substance.
Chauffées par les loges maçonniques déterminées à renverser toutes les protections du peuple et les entraves au profit, les députés aux États-généraux s’autoproclamèrent assemblée constituante et inscrivirent dans le marbre l’économie de marché que le peuple rejetait de toutes ses forces.
C’est ça la Révolution.
Le roi ne pouvait plus rien puisqu’il était renversé : il n’allait plus gêner les profiteurs enfin au pouvoir.
Ceux qui ont pris sa place et l’ont tué sont ceux qui ont imposé au peuple français la barbarie économique qui a cours encore aujourd’hui.
C’est la bourgeoisie qui a voulu, fait et gagné la Révolution française pour imposer un régime que le peuple français ne voulait pas.
On le lui a imposé par la terreur et les massacres. Il a subi la pauvreté, la prolétarisation, la barbarie économique et la perte de toute sa tradition.
Si Macron ressemble à quelqu’un, ce n’est certainement pas au roi que le peuple chérissait et considérait comme son père.
Macron n’est que le dernier en date des successeurs de ceux qui l’ont assassiné pour imposer le règne de l’argent-roi contre le bien commun.