Des héritiers qui se déchirent dans des palaces pour des tableaux et des pur-sang : sur cette trame de mauvais feuilleton s’ouvre lundi à Paris le procès d’une évasion fiscale de très haut vol, celui du marchand d’art franco-américain Guy Wildenstein.
M. Wildenstein, qui risque jusqu’à dix années d’emprisonnement pour fraude fiscale et blanchiment aggravé, est à 70 ans le principal héritier de trois générations de marchands d’art richissimes. Depuis les États-Unis où il vit, il a été un soutien actif de la droite française, notamment de l’ex-président Nicolas Sarkozy.
Il lui est reproché d’avoir dissimulé au fisc français une immense partie de la fortune de son père Daniel, décédé en 2001 à Paris, et d’avoir persisté après la mort en 2008 de l’autre héritier, son frère aîné Alec.
Toiles de Fragonard et de Bonnard, chevaux aux couleurs célèbres sur tous les champs de course, immobilier luxueux dont un gigantesque ranch au Kenya où fut tourné le film Out of Africa : les biens des Wildenstein ont majoritairement été enregistrés dans des paradis fiscaux, dans de discrètes structures appelées « trusts ».
L’un d’eux, « Delta », est propriétaire de tableaux valant ensemble un milliard de dollars, qui se trouvent en réalité aux États-Unis et en Suisse, selon une source proche du dossier se basant sur des informations transmises au fisc américain.
Guy et Alec ne déclarent pourtant que 40,9 millions d’euros d’héritage en 2002 (actif net), et payent en bas-reliefs sculptés pour la reine Marie-Antoinette des droits de succession de 17,7 millions d’euros.
Depuis, le fisc français a refait les calculs et adressé fin 2014 un redressement record de quelque 550 millions d’euros aux héritiers Wildenstein.
Trois d’entre eux sont attendus lundi sur le banc des prévenus du tribunal correctionnel de Paris, pour un procès prévu jusqu’à fin janvier : Guy, son neveu Alec Junior, accusé de fraude fiscale, et la veuve de son défunt frère Alec, Liouba. Cette sculpteur russe est en guerre ouverte avec sa belle-famille.
À leurs côtés un notaire, deux avocats, deux sociétés gestionnaires de trusts, l’une des Bahamas, l’autre de Guernesey.
Ce procès de la fraude fiscale de très haut vol, celle qui s’évalue en milliards d’euros, n’aurait sans doute jamais eu lieu si trois femmes ne s’étaient pas dressées contre le reste du clan.
L’excentrique Jocelyne, première épouse d’Alec surnommée la « fiancée de Wildenstein » pour ses excès de bistouri, force la taiseuse famille à lever un coin de voile sur son patrimoine lors d’un divorce houleux en 1998.
Viennent ensuite deux veuves, épousées en secondes noces, qui s’estiment lésées dans les successions : Sylvia, femme de Daniel, elle-même décédée en 2010 ; et Liouba, femme de son fils aîné Alec, entrée dans la bataille en victime et qui en sort inculpée pour complicité de blanchiment aggravé. Elles ont livré des informations décisives sur les montages offshore.
Au-delà du « Dallas-sur Seine » – l’expression est de la défunte Sylvia – l’avocat d’Alec Junior, Jean-Pierre Martel, se pose surtout deux questions de droit : d’abord « celle du vide juridique », puisque la loi obligeant à déclarer les trusts au fisc français date de 2011, donc après les faits. Ensuite « celle de la double poursuite, à la fois sur le terrain fiscal et au pénal ».
Les conseils de Guy Wildenstein parlent eux d’une « très grande distorsion » entre le Guy Wildenstein peint par les enquêteurs en grand argentier d’une famille à frasques, et leur client : un père de quatre enfants, marié depuis plus de trente ans, qui disait lors des auditions ne « rien comprendre » à la fiscalité.
Pourra-t-il en convaincre la justice, qui a prononcé récemment une peine de prison ferme contre une héritière fraudeuse de la maison Nina Ricci ? L’affaire Wildenstein plantera aussi le décor pour un procès moins impressionnant sur le plan financier, mais retentissant sur le plan politique : celui de l’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac, dont les comptes en Suisse ont provoqué la chute, qui devrait s’ouvrir le 8 février à Paris.