Les barbares ne sont-ils pas en réalité ceux qui prennent l’argent du travail d’autrui ? Détruisent les moyens de production ? Poussent les populations à la misère ? Broient les identités culturelles ?
À peine installé président du Conseil, après bien des réticences du président Mattarella, le Pr Conte fait l’objet d’attaques virulentes dans les médias dépendants de la finance (New York Times et Financial Times). Et toute la presse mainstream fait chorus. Il est reproché à M. Conte tant sa personnalité que son acceptation de mener un gouvernement hybride et populiste. Selon les plumitifs, M. Conte aurait triché sur son CV, serait inconnu, inexpérimenté et donc promis à être le jouet impuissant des partis et des assemblées.
C’est le New York Times, spécialiste de rumeurs malfaisantes, qui fait une montagne du prétendu CV mensonger de mon collègue. Pour ma part, j’ai donné des cours et conférences dans plus de vingt-deux universités étrangères sur cinq continents : je suis certain que si je demandais aux administrations de ces universités la preuve de ces cours donnés il y a des années, elles n’en auraient pas gardé trace, alors que les collègues qui m’avaient invité pourraient en témoigner.
M. Conte est un inconnu des médias mais pas de ses collègues, de ses étudiants et doctorants, de ses clients justiciables, de ses lecteurs. Il serait inexpérimenté en politique ? Alors reprenons Berlusconi ?
Or, c’est justement parce que le peuple italien voulait un homme neuf qu’on l’a choisi. J’ajouterai que M. Conte est juriste et, donc, il connaît parfaitement l’esprit et la technique des lois ; les lois ne seraient-elles plus l’aboutissement de l’action politique ? M. Conte est un homme intelligent et respecté : il réussira ce que d’autres néophytes ont réussi (Raymond Barre, par exemple, un autre universitaire). J’ajouterai encore que les premières paroles de M. Conte ont du fond : il veut s’occuper d’abord des Italiens car il sait (ce dont le New York Times se moque) que la population italienne se paupérise gravement, vit désormais dans l’affliction et se sent abandonnée d’un système pour qui l’économie se borne à respecter les règles monétaires et budgétaires nocives, imposées de Bruxelles. Il a dit aussi que, après avoir longtemps été de gauche, il a compris que le clivage n’était plus entre droite et gauche mais entre souverainisme et « soumissionisme », « nationisme » et mondialisme, production et finance. Il servira d’amortisseur intellectuel entre deux partis jadis concurrents, désormais associés, maîtres des deux Assemblées, représentant 70 % des aspirations italiennes.
Le Financial Times, qui tremble pour les prébendes de ses maîtres, qui a déjà beaucoup menti sur les conséquences du Brexit (avant d’être démenti par les faits), qualifie le sursaut italien de « nouveau barbare » (« Rome opens its gates to the modern barbarians »). On ne croit pas que le journaliste du Financial Times fasse allusion au film de Castellari (I nuovi barbari, 1982), dont l’action se déroule en… 2019 : après la Troisième Guerre mondiale, de rares rescapés tentent de survivre dans un monde dévasté où un gang cherche à annihiler toute vie subsistante ; car le Financial Times aurait alors particulièrement mal choisi sa métaphore ! Peut être vise-t-on le sac de Rome par les Wisigoths en 410 ? Manque de chance, la destruction de la civilisation par des tribus germaniques est une image qui fera grincer les dents en Italie et en Grèce ployant sous l’arrogance allemande. Une allégorie qui se retourne encore contre le journal : les barbares ne sont-ils pas, en réalité, ceux qui prennent l’argent du travail d’autrui ? Détruisent les moyens de production ? Poussent les populations à la misère ? Broient les identités culturelles ?
On trouve aussi dans la presse, notamment française, des approximations sur ce qui se produit en Italie, qui est en vérité un spasme de survie, contre l’étreinte de mort de Bruxelles. L’alliance « contre-nature » de la supposée extrême droite avec le prétendu « populisme anti-système » est une logorrhée censée faire peur. Mais ça ne marche plus, et encore moins en Italie : née tardivement d’un combat pour la liberté et pour l’unité nationales, l’Italie n’a pas le passé sanglant de guerres civiles cycliques qui, en France, depuis 227 ans, rend toute union droite/gauche impossible (à l’exception de l’Union sacrée, et encore). Il y aura des tiraillements entre les coalisés ; mais il est inepte de penser que les programmes sont incompatibles. Le Pr Conte l’a déjà compris. Il est bien possible que l’euro soit la première victime. Si l’Italie ne rembourse plus sa dette (130 % du PIB : elle ne peut plus), il n’y aura pas d’autre issue. Le coupable, alors, ne sera pas M. Conte mais les promoteurs de l’euro, qui ne répond pas (et n’a jamais répondu) aux conditions nécessaires à l’existence d’une monnaie.