Le Rojava est le nom donné par les indépendantistes kurdes au « Kurdistan syrien », en fait une région située au nord-ouest de la Syrie et où vit une forte communauté kurde. À l’occasion de la guerre en Syrie, les combattants kurdes ont essayé d’imposer la sécession de facto de cette région. Mais ils se sont retrouvés confrontés directement avec le groupe djihadiste et terroriste « État islamique » (Daech). Le Rojava est d’ailleurs apparu dans l’actualité mondiale lors de la bataille de Kobané, qui a opposé les forces kurdes (regroupées dans l’organisation YPG) et les djihadistes. Mais depuis 2014, cette région est aussi devenue le théâtre d’opération d’une organisation militaire d’extrême gauche intitulé « Bataillon International de libération ».
Si cette unité prétend combattre Daech, elle se sert également du territoire dit du Rojava, à l’instar de Daech ailleurs en Syrie et en Irak, comme d’un sanctuaire pour s’organiser et entraîner ses membres pour un tout autre genre de lutte armée. Lutte qui risque plus tard, d’avoir lieu en Europe et qui ne serait ni plus ni moins qu’une relance du terrorisme d’extrême-gauche.
C’est pourquoi, nous pensions utile de traiter ce sujet.
Origine
L’idée d’origine de former pour le Rojava un bataillon International, rappelant les Brigades internationales de la guerre civile espagnole [1], est à chercher au sein de l’extrême gauche turque très implantée en Allemagne et aussi dans ses liens avec l’extrême gauche allemande mais aussi espagnole !
Cette initiative provient avant tout de la mouvance dite maoïste. Mais elle a aussi rapidement attiré les mouvances anarcho-marxistes européennes qui se sont rapprochées des maoïstes à cette occasion.
Qui en fait partie ?
Le parti à l’origine de ce bataillon est le MLKP (Parti communiste marxiste-léniniste en Turquie et Kurdistan). Ce « parti » turc maoïste est bien évidemment illégal en Turquie et ses militants se battent au sein des forces kurdes de Syrie (YPG) et de Turquie (PKK) depuis 2012 déjà.
Ce parti a créé des camps d’entrainement permanents au Kurdistan irakien.
Le MLKP a des liens étroits avec l’extrême gauche allemande via la communauté immigrée turque, au sein de laquelle la gauche radicale est très active. Ces liens sont démontrés entre autres par le fait qu’une jeune allemande [2] ait trouvé la mort en combattant au sein du BIL.
Par la suite, ce parti a été rejoint au sein de ce « bataillon international » par, entre autres :
TKPML (Parti communiste de Turquie marxiste-léniniste). organisation maoïste illégale qui possède une branche armée nommée TIKKO (Armée de libération des ouvriers et paysans de Turquie).
TKEP/L : Parti travailliste communiste de Turquie/léniniste. Organisation illégale en Turquie dont le siège est situé justement au Rojava, hors de portée des autorités turques.
DK : État-major révolutionnaire. Groupe maoïste turc qui a de nombreux liens avec le MLSPB-DC (lié aux BÖG dont on parle plus bas) et avec lequel, il a formé un bataillon mixte au sein du Bataillon international [3]
Parti marxiste-léniniste/Reconstruction communiste. Ce « parti » espagnol a des liens très étroits avec le parti turc fondateur du Bataillon international au travers d’une structure internationale dénommée ICOR (voir plus loin). Cette organisation a envoyé un nombre conséquent de volontaires au Rojava, dont certains ont été emprisonnés à leur retour en Espagne, pour avoir participé à un conflit étranger avec des organisations considérées comme terroristes telles que le PKK
BÖG : Forces unies de libération, série de groupes révolutionnaires turcs qui se sont réunis fin 2014 afin d’organiser des unités de combat pour le Rojava. Le BÖG, au contraire du Bataillon international, n’était pas sous le contrôle du MLKP [4] qui contrôle le BIL. Ce qui ne l’empêchera pas de rejoindre en 2015 ce Bataillon international. Les groupes qui composent les BÖG sont, entre autres, les suivants :
- DKP : Parti communiste révolutionnaire
- MLSPB-DC : Unité de propagande armée marxiste-méniniste / Front révolutionnaire
- TDP : Turqiye Devrin Partisi – Parti révolutionnaire de Turquie
- SI : Sosyal Isyan – Insurrection sociale
- PDKÖ : Proletarius Devrinci Kurtuleis Orgütü – Organisation révolutionnaire prolétarienne de libération.
Certaines unités de ce bataillon international sont organisées par nationalités :
Brigade Bob Crow : composé d’Anglais et d’Irlandais, utilisant le nom d’un leader syndical très marqué à gauche et décédé en 2014.
Brigade Henri Krasucki : composé de Français et utilisant le nom de l’ancien leader du syndicat communiste CGT. L’existence d’une telle « unité » est inquiétante vu la montée en puissance des groupes violents extrémistes de gauche en France.
Union révolutionnaire pour la solidarité internationale : composée de militants anarcho-marxistes de Grèce.
Antifascist Internationalist Tabûr : composée de militants gauchistes originaires d’Europe de l’Ouest. Ce « bataillon antifasciste » serait dirigé, selon nos informations, par un ressortissant italien.
Outre toutes les nationalités déjà citées, on trouve aussi dans ce « Bataillon international » des combattants gauchistes provenant des USA, d’Italie, de Grèce, d’Allemagne, d’Albanie, du monde arabe et d’Arménie.
Très récemment, ce Bataillon International a été renforcé par deux nouvelles structures :
International Revolutionary People’s Guerrilla Forces : groupe anarchiste qui prétend que ses membres viennent du monde entier.
The Queer Insurrection and Liberation Army (dont les initiales forment TQILA) : groupe qui se veut représenter les militants homosexuels. Il est à penser que cette unité n’existe que sur le papier et ceci, pour des raisons de propagande. Le problème est que les rares photos que ce groupe ait publiées semblent déplaire très fort à leurs camarades kurdes et turcs, dont le stalinisme semble être resté un peu conservateur au niveau des mœurs.
Un Al-Qaïda marxiste ?
Les deux principaux mouvements qui « alimentent » ce bataillon international (le MLKP turc et Reconstruction communiste espagnol), ainsi que nombre de groupes qui soutiennent cette initiative sur un plan politique et/ou logistique, appartiennent à une organisation communiste internationale peu connue mais très active.
Il s’agit de l’ICOR, qui signifie en français « Coopération internationale de partis et d’organisations révolutionnaires ». Cette coordination, créée en 2010, compte 49 partis/organisations présent(e)s sur 4 continents. Elle compte essentiellement en ses rangs des groupes de tendance maoïste.
Contrairement aux « internationales » communistes classiques [5], ICOR insiste sur le fait qu’elle est uniquement une organisation de coopération et de coordination « pour la coopération pratique » (vu l’engagement de l’ICOR dans la création des unités de combat au Rojava, on imagine aisément le genre de choses qu’ils veulent mettre en pratique) et le soutien mutuel aux organisations membres.
Bref, si on remplace le jargon marxiste par le blabla islamiste, on retrouve la même mission que celle que s’était fixée Al-Qaïda : être une sorte de base et de connexion entre les djihadistes du monde entier.
À noter d’ailleurs qu’une des pages Facebook de soutien au Bataillon international se dénomme « The Base », c’est-à-dire une des significations du mot « Al-Qaïda ». Ce qui démontre bien que si l’idéologie est différente, le concept de fonctionnement est le même : avoir un sanctuaire pour se préparer à la lutte mondiale.
Les soutiens en Belgique
En Belgique, le BIL peut compter sur le soutien du « Secours rouge », qui est une sorte de réceptacle de tout ce qui reste du maoïsme en Belgique, y compris le fan-club de l’organisation terroriste belge des années 80, les Cellules communistes combattantes.
Les anarchistes, oubliant un peu vite les nombreux morts qu’ils doivent aux staliniens/maoïstes dans l’histoire, sont également de fervents supporters du BIL. Nous pensons en tous les cas ici à Alternative libertaire, aux Jeunesses libertaires et à Bruxelles zone antifasciste.
À ce jour, le BIL ne revendique pas de volontaires belges… mais certains militants anarcho-marxistes semblent être « partis à l’étranger » sans plus de détails.
Des martyrs… pour la lutte armée de demain ?
Car là, il s’agit de la guerre, la vraie !
On n’a que peu de détails sur le rôle tactique dévolu sur le terrain à ce BIL. Certains prétendent qu’on ne confie aux volontaires occidentaux que des tâches subalternes et qu’ils servent avant tout à des fins de propagande.
Mais en tous les cas, le BIL a connu plusieurs martyrs, dont :
Ivana Hoffmann tué en mars 2015 à la bataille de Tell Tuer. Était allemande, d’origine togolaise, extrémiste de gauche et militante homosexuelle.
Un militant américain nommé Robert Grodt.
Les ressortissants turcs nommés Ayşe Deniz Karacagil et İbrahim Tufan Eroğluer.
Alper Çakas, militant turc tué en 2015.
Aziz Güler, haut responsable militaire des BÖG, tué en 2015.
Pris entre deux feux
Nos vaillants internationalistes ne se battent pas uniquement contre Daech. Ils servent aussi de porte-flingues du PKK dans la guerre civile larvée entre factions kurdes, avec d’un côté le PKK (de Turquie) et les YPG (de Syrie), et de l’autre le PDK (d’Irak). Tous ces groupes se préparent à se disputer l’hégémonie sur le futur Kurdistan réunifié qui se profile à l’horizon !
Dans ce contexte, le PDK apprécie moyennement l’arrivée de « renforts internationalistes » pour ses concurrents des YPG. C’est ce qui explique que régulièrement les milices du PDK arrêtent des volontaires pour le BIL en transit vers ou au retour du Rojava.
Anti-impérialistes armés par la CIA
Comme d’habitude, nos gauchistes anti-impérialistes, mais pas trop, n’ont pas de problèmes de conscience de parader dans les treillis d’origine US, avec des armes et des munitions fournies par la CIA et, pour les rares qui se battent, de profiter du soutien aérien des USA.
Mais ce n’est pas un étonnement pour les connaisseurs de l’extrême-gauche car les groupes gauchistes ont très souvent été manipulés par les USA [6].
Conclusion
Pour les gauchistes qui sont là-bas, s’il est évident que leur rôle militaire est des plus limités, il n’en reste pas moins que l’état de guerre leur permet de s’entraîner au maniement des armes, à la fabrication d’engins explosifs, etc.
Et il est à penser qu’à l’instar des djihadistes, ils ne reviendront pas forcément en paix du Rojava.
Bien au contraire, tout comme les djihadistes, ces combattants formeront des réseaux. Et ils pourront à leur tour former d’autres militants aux techniques de combat et de préparation de bombes.
Au moment où l’extrême gauche européenne reprend de plus en plus souvent une rhétorique de lutte armée, les liens entre ces groupes et ce véritable « califat gauchiste », qui existe dorénavant au Rojava, devraient inquiéter nos autorités. Dorénavant, puisqu’on sait que ces dernières nous lisent attentivement, elles ne pourront en tous cas pas dire qu’elles ne savaient pas !