Le Média, avec son Journal télévisé, devait tout casser. Les médias mainstream soumis au pouvoir allaient souffrir. Un mois plus tard, tout se casse la gueule : le fer de lance de La France insoumise s’est changé en caoutchouc. La pique anti-riches des ouvriers et des paysans – plus sûrement des bobos – ne fait plus peur à grand-monde. À vrai dire, dès le départ, cet organe audiovisuel managé par le trotskiste Gérard Miller ne pouvait s’en prendre qu’à la surface des choses, jamais au cœur du pouvoir profond. Puisque Miller en est l’émanation : il est là pour contrôler et construire une gauche d’opposition factice.
Après quelques JT mous du genou et une audience qui oscille entre 18 et 30 000 vues (sur YouTube, officiellement [1]), l’équipe dirigeante a décidé d’écarter la présentatrice Aude Rossigneux, qui bénéficiait d’un CDI mais sous réserve de quatre mois d’essai. Avant le terme de ce délai, elle a été convoquée un lundi matin, le 19 février 2018, à 9 heures du matin, nous apprend Ariane Chemin du Monde, dans les nouveaux locaux de la chaîne.
- Ariane Chemin, la plume vipérine qui a achevé Le Média
L’article du Monde, d’un vice consommé, jouit discrètement de la fin de ce mini-concurrent donneur de leçons. Il est en effet pas si facile de construire une télé, un journal, et surtout une audience. Fidéliser des milliers, des millions de Français ne se fait pas en un jour. Ariane Chemin, qui raconte la politique par l’humain, autrement dit le people, prend son temps pour décortiquer le crustacé condamné. On parle du Journal, pas de Rossigneux.
Son éviction a fait l’effet d’une bombinette dans le milieu très fermé des journalistes de cour, ou disons encartés, de ceux qui ont la Carte, selon l’expression de Philippe Vandel : cette communauté parisienne qui cultive l’entre-soi et une vision commune des choses. Autrement dit, la pensée unique. On déjeune ensemble, on part en vacances ensemble, on couche ensemble, on se cite bref, on est de la même Famille. C’est peut-être pour cela que la Rossigneux n’a pas supporté son licenciement. Elle évoque une méthode « brutale ». L’expérience que des millions de Français ont subie sans avoir la chance de profiter d’un écho médiatique disproportionné.
« Je m’y suis lancée à corps perdu, et pendant la période de pré-lancement, j’ai été envoyée au charbon chez les confrères plus ou moins bien disposés, pour présenter et défendre le projet. Le moins que l’on puisse dire, c’est que je me suis exposée…Tout ce travail, je l’ai fait bénévolement, sans recevoir un sou pendant plusieurs mois. Je ne le regrette pas, je demande seulement qu’on s’en souvienne. » (La lettre d’Aude qui a ému la France entière)
On ne rentre pas dans les détails, Aude se fait exclure du Média, et agite son réseau, ou le réseau de ses parents – Louis-Marie Horeau est un des dirigeants du Canard enchaîné et sa mère est journaliste dans le même canard – qui ont visiblement beaucoup d’influence dans le milieu. Plus que ce que le grand public imagine. Soudain, après le départ d’Aude, des journalistes la suivent : deux consœurs du JT mais surtout Noël Mamère, qui avait une case « magazine ». Il décide lui aussi de lâcher l’affaire. Officiellement, c’est à cause d’une chronique du correspondant maison au Liban à propos de la Syrie... Voici le paragraphe en question, qui montre à quel point Le Média est « indépendant » de la doxa sur le conflit proche-oriental :
« Une autre rébellion, plus discrète, gronde quelques jours plus tard. De retour d’un arrêt maladie, Catherine Kirpach doit présenter le “JT” du 23 février, où intervient un certain Claude El Khal, ex-publicitaire et réalisateur repéré sur Twitter et recruté par Sophia Chikirou pour en faire le “correspondant au Liban” de la chaîne. Il se trouve à Paris cette semaine et hante les locaux, émettant devant la journaliste des doutes sur la véracité des images des massacres perpétrés dans la Ghouta orientale, en banlieue de Damas, jamais “vérifiées de manière indépendante”. Diplomate, Catherine Kirpach explique que la pneumonie dont elle souffre n’est pas encore guérie, et ne s’affiche pas le soir sur le plateau aux côtés du fameux « “correspondant” ». Elle vient de démissionner sans revenir à Montreuil, où trois bureaux ont été ainsi abandonnés en quelques jours, et où le code de la porte a été changé. »
Où l’on saisit en quelle estime la journaliste du Monde, Ariane Chemin, tient le correspondant entre guillemets du Média, ce fantôme qui « hante » les locaux de la chaîne... Il a donc suffi d’une simple chronique de cinq minutes à peine dissidente, juste équilibrée, sur la réalité de la Ghouta pour que les révolutionnaires de l’info poussent des cris de chouette violée. En passant, on notera la perfidie des petits cailloux blancs empolsonnés lâchés sur le chemin par une Ariane qui nous fait bien comprendre une chose : les France insoumise sont des soumis comme les autres. Admirez le morceau qui suit :
« Dès la fin de l’été 2017, Sophia Chikirou prend en main le projet de webtélé chargé de fédérer, autour des “insoumis”, toutes les sensibilités de gauche. Durant l’été, elle contacte Aude Rossigneux, une journaliste passée par Le Point, “Mots croisés” sur France 2, l’émission “Ripostes” sur France 5 ou le journal de Reporters sans frontières, et qui se dit clairement “de gauche”. »
Crucifiée sur l’autel de la bien-pensance, la Rossigneux. Et on n’oublie pas la Chikirou, qui se fait tailler un portrait bien acide sous la sobriété :
« Avant de devenir la communicante des campagnes de Jean-Luc Mélenchon, la jeune femme a commencé à militer à Paris auprès du député socialiste Michel Charzat, son premier mentor, puis passé quelques années aux côtés du libéral Jean-Marie Bockel, le “droitier” du PS (elle déclare alors “soutenir la volonté de réforme de Nicolas Sarkozy)”. Mais, depuis 2011, elle met son énergie et son intelligence au service du projet “révolutionnaire” de Mélenchon. »
Passer allègrement de la droite à la gauche, de Sarkozy à Mélenchon, pour servir un projet révolutionnaire entre guillemets... Au Monde, on règle ses comptes en musique, avec la petite musique de la confraternité. La cruauté des femmes n’est pas une légende.
Bonus : la chronique qui a fait fuir les révolutionnaires de l’info
Et la réaction de l’agent sioniste insubmersible Claude Askolovitch, qui tient le rôle de commissaire politique – officiellement il est en charge de « la revue de presse » – sur la matinale de Nicolas Demorand sur France Inter...
En lisant son plaidoyer, on apprend que pour l’expert es Proche-Orient, ceux qui contestent ses niaiseries sont 1/ des colonialistes 2/ des parisiens 3/ des émules des barbouzes de renseignement de Assad. Brillant homme. https://t.co/rb37FLBD3X
— claude askolovitch (@askolovitchC) 2 mars 2018