C’est la blague systémique du jour. Le CSA, qui a autant d’autorité en télé qu’un prof de français de gauche dans un collège du 93, a considéré que le temps de parole du conseiller politique Steve Bannon serait décompté de celui du Rassemblement national. À ce tarif, aussitôt, la pensée saute sur les dizaines d’interviews et autres passages radiotélévisés des conseillers et soutiens de Macron que sont – et ce ne sont pas les seuls – BHL et Cohn-Bendit. Pour eux et pour le Président, la loi d’airain du CSA ne s’applique pas. Allez savoir pourquoi...
C’est le 27 mars 2019, rappelle le site de vérification de l’info de Libé, CheckNews, que le CSA a établi ses règles pour la campagne.
« Les services de radio et de télévision visés dans la recommandation devront transmettre au Conseil supérieur de l’audiovisuel, par voie électronique, les relevés des temps de parole des listes de candidats, des partis et groupements politiques et de leurs soutiens, selon le calendrier fixé par le Conseil. »
CheckNews diffuse le tweet de l’interview de Bannon chez Bourdin le 20 mai 2019 pour prouver le soutien de l’Américain au parti de Marine Le Pen :
« C’est en se basant sur cet article que les équipes de BFMTV et RMC ont compté le temps de parole de Steve Bannon lors de cet interview, comme du temps de parole RN. Comme le confirme à CheckNews Maxime Daridan, responsable de la pluralité du groupe NextRadioTV (propriété de Patrick Drahi, qui possède aussi Libération). Il justifie ainsi ce choix : “Les parties de l’interview où Bannon exprime sa préférence pour Marine Le Pen, on les a comptées comme du temps de parole RN. De la même façon, lorsqu’un micro-trottoir est diffusé, si une personne interrogée affiche sa préférence pour tel ou tel candidat, on le compte aussi”. »
Le mondialisme européiste macronien joue sa tête le 26 mai
C’est une évidence que la présence de celui qui a grandement contribué à la victoire de Trump en novembre 2016 aux USA irrite le pouvoir français. Le 17 mai, il donnait une grande interview au Parisien dans une suite du Bristol (l’hôtel où Ardisson reçoit lui aussi ses rendez-vous). Voici les éléments clés de son analyse...
« Si vous remontez le temps, à l’été 2016, il y a eu le vote sur le Brexit, et puis la victoire de Trump. Mais en mai 2017, il y a pile deux ans, Macron a remporté une grande victoire sur Le Pen. Il l’a fait avec un positionnement mondialiste. Le mouvement populiste d’insurrection a été stoppé net par Macron, qui a été choisi par le “système”. La révolte nationale populiste semblait finie. Mais le week-end prochain, vous aurez une situation où Matteo Salvini, Marine Le Pen et Nigel Farage peuvent être à la tête de trois des quatre plus gros partis présents au Parlement européen. Tout a changé en deux ans. C’est pour cela que la France est si importante : je ne suis pas un fan de Macron mais il adhère à ce qu’il dit. Son discours de septembre 2017 à la Sorbonne était la conclusion logique du projet européen de Jean Monnet. Il veut les États-Unis d’Europe et a, de fait, pris la tête de la liste Renaissance : il n’y a même pas le visage de la tête de liste sur ses affiches ! C’est un référendum sur lui et sa vision pour l’Europe. »
Marine Le Pen, invitée de L’Émission politique sur France 2 le 22 mai 2019, a bien ciblé Macron en l’assimilant au mondialisme européiste comme Bannon le suggère :
« Il faut voter contre l'Europe de #Macron, qui est une Europe de la concurrence déloyale et de l'immigration dérégulée. Si jamais Macron arrive en tête, il se sentira légitimé, il pourra revenir sur ce qu'il a concédé ! » #LEmissionPolitique #Le26MaiVotezRN pic.twitter.com/RPbuN1OUBQ
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) 22 mai 2019
Et effectivement, le CSA ne se trompe pas en considérant que Bannon a un rôle actif dans la campagne pour le RN. Il le dit lui-même :
« Je voulais y aller mais vu comme les choses se déroulent en France, je serai plus utile ici où j’interviendrai dans les médias pour parler du RN. À Milan, les gens verront le potentiel d’un super-groupe, la possibilité de voir se réunir des voix qui étaient divisées dans différents groupes du Parlement européen. Tous ces gens à Milan ont beaucoup en commun. Peut-être plus en réalité que ceux qui soutiennent les États-Unis d’Europe. Parce que, eux, je ne les vois pas se réunir dans un grand rassemblement. L’élection européenne sera un tremblement de terre. »
Quand Le Parisien lui demande de clarifier son rôle, par exemple sur l’argent, Bannon répond de manière très directe :
« Je n’ai jamais donné de capital et personne ne m’en jamais demandé. Je suis un conseiller informel, je ne me fais pas payer. Même avec Trump, j’étais bénévole. Ce que je fais en revanche, c’est faire des observations à certains partis et donner des conseils sur la levée de fonds. Vous savez, je suis un ancien banquier d’affaires chez Goldman Sachs. La clé, pour moi, est de s’adresser à sa propre base. Ce qui est déterminant, c’est le nombre de petits donneurs. »
Pour Bannon, la législative européenne est donc un référendum pour ou contre Macron, et c’est bien l’axe de la campagne du couple Bardella-Le Pen. Selon lui, si une masse critique de 30% est atteinte par les populistes (de droite), alors le basculement peut avoir lieu en 2022. Il dit encore que le lendemain de l’élection du 26 mai, le top sera donné de la campagne présidentielle 2022.
Les accusations pleuvent sur le camp national, lancées par les soldats de la Macronie. Après l’accusation d’ingérence et de soutien russe au RN, voici venu le temps de l’influence américaine. Marine Le Pen y répond avec humour :
Les seules influences russes à ma connaissance sont celles-là... MLPhttps://t.co/hkgKcJtrUf
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) 19 mai 2019
L’Europe, terrain de jeu des trois grandes puissances
Mais il y a bien un axe populiste en Europe, malgré les dissensions entre ses représentants (Orban, Salvini, Le Pen, Wilders...), qui est soutenu soit par Poutine, soit par Trump, soit par les deux. Mais pas pour les mêmes raisons : si Bannon affirme que l’intérêt américain dans l’élection européenne est de constituer une base pour la réélection de Trump en 2020, il omet de dire que le marché européen, plus ou moins protégé par les règles de l’Union, fait saliver les États-Unis. Une Europe déstructurée, renvoyée à ses pôles nationaux, permettrait aux USA de réaffirmer leur domination économique (chancelante depuis la montée de la Chine, et tout juste maintenue par la force des armes) par des échanges bilatéraux de nation à nation.
Inversement, l’intérêt russe dans la fracturation européenne est de créer un grand marché de l’Atlantique à l’Oural, selon la prophétie du général de Gaulle. Les pays européens apporteraient leur puissance économique, la Russie sa puissance militaire. Mais il y a l’OTAN, dont Bannon ne parle pas...
On le voit, l’Europe intéresse les grandes puissances, Chinois compris, qui construisent tranquillement leur nouvelle route de la Soie. La politique extérieure chinoise est discrète, mais efficace. Elle avance ses pions pendant que les autres parlent...
L’idée cachée de Bannon et de Trump derrière leur intérêt pour l’élection européenne ne serait-elle pas de contrer la stratégie chinoise en créant un bloc occidental opposé à l’extension de la superpuissance asiatique ?
La lucidité du général de Gaulle sur l’Europe, l’URSS et les États-Unis