Longtemps considéré comme la langue de la diplomatie et enseigné à ce titre dans toutes les cours d’Europe, le français est aujourd’hui délaissé au profit de l’anglais dans les institutions internationales et même, dans une moindre mesure, au sein de celles de l’Union européenne.
Le rang de première puissance économique mondiale des États-Unis et le pragmatisme de la langue de Shakespeare ont permis ce renversement dans un contexte de mondialisation marchande. Pourtant le français reste une langue mondiale, parlée sur les cinq continents et par près de 10 % de l’humanité.
« La limite de ma langue est la limite de mon monde » écrivait Ludwig Wittgenstein pour signifier l’importance du fait linguistique dans la construction de la pensée ainsi que dans l’élaboration des idées et des valeurs. À travers la langue, la francophonie propose un socle de valeurs communes qui fait contrepoids au « soft power » américain. Le développement de la Francophonie comme institution a d’ailleurs d’abord été souhaité par des intellectuels et politiques issus des anciennes colonies françaises.
Léopold Sédar Senghor parlait d’un « outil précieux trouvé dans les décombres du colonialisme ». L’intellectuel sénégalais estimait que la langue française était porteuse de valeurs universelles dont l’Afrique pourrait bénéficier d’une part pour son développement culturel, d’autre part pour s’imposer dans les relations internationales. Héritier du latin et du grec, le français est une langue précise et riche en vocabulaire, comme en témoigne la notoriété de sa littérature et de sa philosophie. Lorsqu’il écrit : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément », c’est ce lien entre structure linguistique et structure de pensée que Boileau met en avant.
La nécessité de promouvoir le français est parfois moins bien comprise en France que dans d’autres pays francophones. La défense de la francophonie comporte en effet souvent un enjeu politique et culturel dans certains pays. Le Québec est particulièrement vigilant sur la défense du français, notamment en traduisant systématiquement tous les titre de films américains. La proximité immédiate des États-Unis et les rivalités avec le Canada anglophone en sont la cause principale. De même, la francophilie de beaucoup de pays d’Amérique latine et des pays de l’ex-URSS dont la Russie peut s’expliquer en partie par la volonté d’échapper à l’influence culturelle et politique américaine.
L’anglais est en effet devenu porteur de l’idéologie libérale anglo-saxonne. La notion d’hégémonie culturelle de l’italien Gramsci explique que la domination politique passe d’abord par une victoire sur le terrain culturel. La progression de l’anglais moderne fait ainsi le lit de l’idéologie marchande. Dans un article à la gloire du « tout anglais », Frédéric Martel écrit ainsi dans Le Point du 8 juillet 2010 : « L’anglais est devenu la langue du cool (...). La marque Monoprix est vieillotte mais le Daily Monop, la nouvelle enseigne de Monoprix est beaucoup plus trendy ». Cet aspect « cool » ou « trendy » de la langue anglaise contemporaine est bien sûr profondément lié au fonctionnement de la société de consommation d’origine américaine. On retrouve ici l’idée développée par le sociologue Michel Clouscard selon laquelle l’idéologie libertaire (« cool et trendy ») serait au service du marché libéral (société de consommation, mondialisation). Frédéric Martel explique lui-même que « dans l’univers du tourisme, un trip ou même un travel, c’est mieux qu’un voyage, et on vous vend un package car vous ne voudriez pas d’un paquet ».
Bien sûr, aucune langue n’est immuable. De Rabelais à Flaubert et de Stendhal à Céline, le français a déjà connu de multiples mutations. Ces évolutions ne doivent pas être synonymes de perte d’identité. La langue française a largement les capacités de vivre et de se renouveler sans substituer des mots anglais à son vocabulaire actuel. De nombreux mots de « verlan » (pratique d’inversion des syllabes d’ailleurs spécifique à la France) issus des quartiers populaires sont de fait largement passés dans le langage courant, certes familier, acquérant même parfois une parfaite autonomie par rapport au mot original (cf. « ripou » et autres « vénère »). On peut également noter la réapparition de vieux mots français dans ces mêmes quartiers. Par exemple le mot « daron » signifiant « père », utilisé en banlieue puis plus généralement par les jeunes générations mais issu de l’Ancien Régime.