On parlera de déplacement éditorial, pas encore de perversion ou de manipulation. Ce n’est pas un mensonge, mais un déplacement de la focale sur un problème qui fait des génocidaires des victimes du génocide en cours. Victimes psychologiques, s’entend.
Manuel Bompard : « Sur BFM TV, je trouve scandaleux que vous continuiez d'inviter le porte-parole de Tsahal, une armée génocidaire.
Auriez-vous donné la parole à un porte-parole de l'armée russe ? Non !
La démocratie, ce n'est pas une minute pour les victimes et une minute… pic.twitter.com/lZPx16PW3u
— L'insoumission (@L_insoumission) September 17, 2025
Génocide à Gaza, le docteur en philosophie Mathias Leboeuf torpille le plateau de Cnews : : « À vous écouter, on dirait qu'il ne se passe rien à Gaza », pic.twitter.com/YOjusQOPy8
— Oumma.com (@oumma) September 15, 2025
Le bourreau a des doutes, il souffre de SPT (stress post-traumatique), il se pose des questions morales... Pendant ce temps, on ne parle pas de la souffrance puissance hiroshimesque – et le terme n’est pas trop fort puisque le nombre de morts du 6 août 45 a désormais été dépassé – de l’autre côté.

NÉTANYAHOU MENACE LE MONDE.
Je n'exclus pas de nouvelles frappes contre des terroristes dans des pays étrangers.
"C'est donc un principe que nous avons
établi. C'est un principe que nous suivons. Il n'a pas changé." pic.twitter.com/Qs6ggFYAhl— L'oeil Medias (@LoeilMedias1) September 16, 2025
Pourquoi les Israéliens n’ont-ils pas balancé une bombe H sur Gaza le 8 octobre 2023 ?
Cela aurait été plus simple et évité deux ans de souffrances inutiles aux civils. Ah, c’est vrai, la réprobation internationale... Pff, Netanyahou et ses sbires s’assoient dessus ! C’est pas la Kallas avec sa menace de sanctions et de solution à deux États qui va mettre un terme au massacre et à la grande déportation en cours.
Nous en sommes à la solution finale du problème palestinien. D’ailleurs, toujours dans la presse de déplacement, on note souvent l’expression problème palestinien, comme si le Palestinien était le problème (idem avec le problème noir aux États-Unis). Les mots, toujours les mots, pour façonner les esprits.
Le Monde a donc tendu son micro à Yonathan, un réserviste qui doute :
Le soir de mars où il a appris qu’il était expulsé de l’armée, Yonathan a immédiatement téléphoné à son père. « J’étais au bord des larmes », se souvient ce réserviste israélien, qui demande à témoigner sous un prénom d’emprunt. Quelques heures auparavant, il s’était exprimé publiquement afin de dénoncer une guerre devenue inutile et source de dommages disproportionnés pour les soldats, les otages, les Palestiniens de l’enclave. Dans le même élan, il avait estimé que les appelés à Gaza ne devraient plus répondre aux convocations de l’armée israélienne, dont le gros des troupes est constitué de réservistes (plus de 400 000 personnes, pour seulement 170 000 soldats d’active).
La situation de ce jeune homme est extrême : très peu de militaires ont été rayés des cadres pour insubordination. Mais sa tristesse, son angoisse et son indignation donnent un aperçu des dilemmes qui traversent ce corps indispensable au fonctionnement de l’armée israélienne.
On rappelle qu’en 1941, en URSS, les membres des bataillons de police intégrés dans les Einsatzgruppen qui refusaient de fusiller des civils juifs n’étaient pas punis pour autant. Tuer un ennemi militarisé, éventuellement un partisan, oui, mais pas une femme ou un enfant. Huit décennies plus tard, les hésitations et la souffrance morale des génocidaires font les gros titres. On peut leur dire comment ça va finir.
« Les opérations de nettoyage ethnique, menées en collaboration avec la Wehrmarcht [Tsahal], la police et d’autres organismes locaux, faisaient partie intégrante de la politique d’expansion raciale et de domination totale promue par Hitler [Netanyahou]... »
À 3’40, on a cette petite remarque intéressante en voix off :
« Cependant, au fil du temps, Himmler découvrit que les méthodes de meurtre utilisées par les Einsatzgruppen étaient extrêmement inefficaces, non seulement elles étaient coûteuses, mais elles sapaient également le morale de leurs troupes. certains des auteurs de ces actes souffraient de problèmes de santé physique et mentale, et beaucoup se tournèrent vers l’alcool et les métamphétamines. Les chefs des Einsatzgruppen tentèrent de transformer les exécutions de masse en un acte collectif sans responsabilité individuelle. toutefois, cela ne fut pas suffisant pour que chaque auteur se sente exempt de culpabilité. Avec le temps, trois types de bourreaux furent définis : ceux qui étaient impatients de participer dès le début ; ceux qui y participaient uniquement parce qu’ils en recevaient l’ordre ; et une minorité qui refusait de coopérer. »
Il y a comme une congruence, non ? Du côté des réservistes israéliens (et non des SS), 15 à 25 % des effectifs refusaient de participer au génocide, et c’était en novembre 2024. Le Monde explique que depuis, le gouvernement israélien ne publie plus de chiffres. On a du mal à ratisser les réservistes pour faire le sale boulot, pour paraphraser Korsia. Un capitaine de 26 ans, qui ne voit aucune bonne raison à cette guerre, a fait 20 jours de prison.
« Les décisions actuelles du gouvernement vont contre l’intérêt d’Israël, soutient Raphaël Becache, un officier franco-israélien de 26 ans ayant combattu à Gaza. En continuant cette guerre, le pouvoir fait le jeu du Hamas. » Pour Tomer, 29 ans, qui préfère ne pas donner son nom de famille, « non seulement cette guerre sert les intérêts de Nétanyahou, qui entend se maintenir au pouvoir à toute force, mais elle n’est pas en accord avec nos valeurs ». Les dommages infligés aux Gazaouis n’arrivent pas forcément en tête des motifs de refus, mais ils sont souvent évoqués. Par Tomer, notamment : « Le gouvernement ne se soucie pas des civils, il ne respecte pas les lois internationales. Tout cela abîme terriblement l’image de notre pays et m’afflige, moi qui suis Israélien et sioniste. »
La fleur au fusil le 8 octobre 2023, un gros doute et le sentiment diffus que ça va mal finir pour leur grade en septembre 2025. Après Le Monde, Le Figaro s’empare du problème, toujours chez les juifs, pas chez les Palestiniens. On parle de juifs et pas d’Israéliens car le doute commence à tenailler les diasporas.

Kotkin a beau prendre la chose avec le sourire, on sent quand même un sourire jaune derrière :
Quand on lui demande s’il est inquiet des fractures qui se font jour sur la question d’Israël et de la Palestine parmi les Juifs d’Amérique, le politologue Joel Kotkin commence par sourire : « Les Juifs se sont toujours bagarrés, cela fait des milliers d’années que ça dure ! », rappelle ce Juif libéral modéré, qui se sent « orphelin » du Parti démocrate de John Fitzgerald Kennedy.
Le problème accessoire, le doute dans la communauté juive, remplace doucement le problème principal, un génocide au XXIe siècle, siècle des médias et des images en direct. Il est vrai que le basculement de la jeunesse de gauche américaine en faveur des Palestiniens est un mauvais signal pour la suite, c’est-à-dire le lien indéfectible entre la Maison-Blanche et Tel-Aviv. On s’oriente vers un retour de cent ans en arrière. Kotkin le pressent :
« La situation s’européanise. Nous nous sentions totalement intégrés et respectés dans les médias, les universités, les différentes institutions. Mais nous revenons à notre statut historique plus habituel de groupe détesté et marginal. »
Le virage électoral new-yorkais donne un aperçu de ce changement.
Le fait que l’accusation de génocide ait commencé d’être relayée quelques jours à peine après le 7 Octobre, alors que la guerre ne faisait que commencer, lui paraît révéler le « parti pris » immédiat qui s’est imposé. Mais il note aussi que la fuite en avant de Netanyahou, contre l’avis de nombreux militaires, donne de plus en plus raison aux critiques, laissant les Juifs d’Amérique déchirés entre leurs loyautés envers Israël, leur conscience de l’impasse et leur devoir d’humanité.
En juin, la victoire aux primaires démocrates new-yorkaises de Zohran Mamdani, candidat proche des thèses décoloniales et critique virulent d’Israël dont il prône le boycott, a été un révélateur des fractures. Près de 67 % des Juifs new-yorkais de 18 à 44 ans ont voté pour lui, acceptant de reprendre à leur compte l’idée « de l’Intifada globale » contre une majorité de leurs aînés, attachés à Israël. « Beaucoup de Juifs plus âgés que je connais sont choqués et effrayés par cette victoire. Israël reste pour eux le seul refuge fiable », écrit le journaliste Ezra Klein. Mais parmi les jeunes, on craint « un Israël devenu État d’apartheid, gouvernant les ruines de Gaza et des bantoustans en Cisjordanie ».
C’est l’Afrique du Sud, pays que l’État hébreu soutenait du temps de l’apartheid.