Deuxième partie : La paternité en crise
Tout ce qui vient d’être dit de la figure du père explique les attaques des ennemis de Dieu contre toute forme de paternité. Le monde, au sens biblique du terme, le monde royaume des ténèbres, a toujours eu en horreur la Croix, et plus encore Celui qu’elle portait. L’homme moderne ne peut que rejeter cette croix décrite par Claudio Risé, et plus encore cette paternité qui à chaque instant parle de Dieu. C’est ainsi que, dans l’acte même de leur refus de Dieu, les révolutionnaires français rejetèrent leurs pères. Ce n’est pas un hasard si leurs folies iconoclastes, loin de détruire les seules effigies divines, se déversa également sur les rois de Judée et d’Israël qui encadrent le portail de Notre-Dame de Paris. S’ils en vinrent à décapiter leur roi, c’est parce qu’ils voulaient détruire à tout jamais cette paternité collective qu’il représentait. Les révolutionnaires pensaient s’émanciper et ainsi entrer dans le « monde adulte », entendez le monde sans Dieu. Ils ne réalisèrent pas qu’ils régressaient au contraire dans un monde infantile, ainsi que l’indique le titre de leur texte fondateur, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le monde du droit subjectif qu’ils construisent est caractéristique de l’enfance : il n’y a plus de devoir, seulement des droits. Était alors réclamé de la Cité qu’elle assume le rôle maternel, tout d’assistance. Ce trait de notre histoire, à lui seul, révèle le triple aspect de la crise de la paternité :
d’abord, l’adulte y devient un éternel enfant, et c’est probablement la principale cause du manque de maturité de notre jeunesse ;
ensuite la cité n’est plus paternelle – orientant vers le vrai et le bien – mais maternelle, assouvissant les besoins de ses sujets. C’est que la déclaration des droits fut celle de l’homme et du citoyen, qui a donné naissance à la fameuse Big mother décrite par nombre d’analystes ;
troisième révélation enfin : la crise de paternité n’est pas un phénomène récent, ce qui réclame donc de découvrir préalablement ses origines profondes.
À l’origine de la crise de paternité, la sécularisation
En universalisant les droits de l’enfant solitaire pour en faire les droits de l’homme et du citoyen, la Révolution fut la première grande manifestation du déficit de paternité. Mais les racines en étaient plus anciennes, et l’on peut sans trop hésiter les faire remonter au protestantisme. C’est en effet la doctrine de Luther qui ôta à la figure du père terrestre ce reflet divin, constitutif et garant de sa grandeur. Divisant l’expérience humaine en Règne du Christ et Règne du monde, il sépara résolument le père charnel du Père Divin, donnant ainsi naissance à la sécularisation. Or, ce même Luther plaça le mariage dans l’ordre terrestre, désormais indépendant du monde divin. Le père n’est donc plus le représentant de la paternité divine, il cesse d’être le témoin sur Terre de la loi du Dieu créateur, rôle que saint Joseph illustrait si profondément. Le voici même incapable ne serait-ce que d’enraciner l’enfant dans sa dimension éternelle : le monde présent, dont le père est dépositaire, est résolument séparé du Royaume du Christ. Aussi le religieux, loin d’être transmis par le père – qu’il soit individuel ou collectif – ne relève plus que la stricte individualité. Nous voici à la racine d’une conception erronée de la liberté religieuse, hélas omniprésente aujourd’hui.
La « dé-mission » paternelle ne s’arrête pas à ce stade. Si le père n’est plus sur Terre le gardien familier de l’ordre naturel et divin, s’il n’est plus le tranquille représentant de la loi éternelle, il perd par là même sa fonction éducatrice. Ce n’est plus sur lui que l’enfant aura à se conformer pour avancer dans le chemin de la vie et pénétrer ainsi dans le monde adulte. Luther, en donnant à son « épouse » le titre de Docteur Käte, avait parfaitement saisi cette conséquence de la sécularisation qu’il initiait. Avec lui commence le transfert de la fonction éducatrice vers la mère [1]. Nous ne sommes guère sortis de ce règne excessif de la femme en matière éducative, qui est allé jusqu’à envahir tout un pan de la pédagogie catholique moderne, ainsi qu’en témoignent les tentatives d’une Rose Marie Miqueau : Issue – et déçue – de l’Éducation nationale, elle voulut, en fondant l’Institut Alcuin, retrouver une pédagogie profondément catholique. C’est tout à son honneur. Mais, faute de pouvoir s’appuyer sur une philosophie pérenne et sur une théologie de l’homme digne de ce nom, elle ne sait éviter les écueils de l’éducation moderne, notamment cette hyperprésence de la femme au sein de la famille, ainsi qu’en témoignent ses écrits. Après avoir fait de l’amour maternel l’image de Dieu le Père [2], elle présente ainsi le père de famille : « L’homme déclare sa flamme. Il demande à être aimé. Il y a de l’enfant là-dedans. L’enfant du Royaume, tourné vers le Père dont il attend la vie [3]. » La mère, au sommet de la famille, a détrôné le père, devenu premier enfant. Cette dérive de la femme est hélas d’autant plus grande qu’elle correspond chez elle à son instinct protecteur. Nous avons dit tout à l’heure combien il lui était douloureux de couper le cordon psychologique qui place l’enfant dans son entière dépendance. Pour peu qu’elle renâcle devant cette déchirure que l’on comparait il y a un instant à la Croix, la mère développera, souvent de manière inconsciente, cette hyperpuissance sur ses enfants, au point de rendre sa présence étouffante car non conforme à la nature d’un enfant qui grandit. D’où ce signal d’alarme lancé par Aldo Naouri :
« Les mères ont une propension naturelle à vouloir rester éternellement enceintes de leur enfant, ce qui génère chez ce dernier un certain nombre de troubles que les pédiatres constatent. L’enfant qui ne demande qu’à rester dans le giron qui lui apporte tant de plaisir n’est pas suffisamment aguerri. Les mères sont mues par une inquiétude excessive […] Les femmes agissent comme si l’enfant était promis à la vie tant qu’il est en elles, mais voué à la mort dès qu’il en est sorti. Du coup, elles déploient contre ce destin une force considérable, et tissent une sorte d’utérus virtuel, extensible à l’infini. »
Et Aldo Naouri de conclure :
« Sauvons les enfants de la fusion inquiète dont elles les accablent [4]. »
Sans ce sauvetage, apparaîtra ce que j’appellerais le syndrome de surprotection, tout à l’opposé de cet aguerrissement attendu. Fait-il à peine froid que l’enfant est affublé d’autant de manteaux que de recommandations. Rien de mieux que ce cadre étouffant pour inciter l’enfant, une fois dehors, à se débarrasser de tout cet accoutrement qui l’empêche de se mouvoir. La même erreur se produit parfois, hélas, d’un point de vue éducatif, avec à la clé des désastres similaires, mais d’une portée beaucoup plus grave. Cette surprotection est d’autant plus fréquente que le père, dépossédé de son rôle éducatif, pensera le retrouver au moins partiellement ici, et donnera à plein dans ce défaut maternant.
Car, revenons au père. Que devient-il, ainsi dévalué ? Ne pouvant plus inculquer à l’enfant cet amour de soi qui s’exprime avant tout dans la responsabilité et le soin des autres – ce à quoi Dieu l’avait destiné – le père ne peut que subir une profonde crise d’identité. Dans le pire des cas, il est réduit à un être dominé par des motivations aussi égoïstes qu’hédonistes, rapetissé au monde des biens matériels et d’une affectivité contractuelle, se réservant le droit au divorce à chaque fois que l’insatisfaction se fera sentir. Au mieux, il revêt une dimension essentiellement économique, ayant en charge le développement du monde de la matière, et éventuellement la survie financière des siens. Ce dernier aspect lui permettra d’ailleurs de reconquérir une place dans la famille, mais quelle place ! Parce que toute dimension transcendantale lui a été ôtée, il est contraint de reconquérir son épouse par sa puissance affective ou sa surface financière. Il se doit de mériter l’attachement de ses enfants en correspondant à l’affection qu’ils réclament – en devenant une deuxième mère par la satisfaction de chacun de leurs caprices – en capitulant de son rôle paternel. En un mot, au lieu d’accomplir son devoir avec autant d’assurance que de simplicité, le père a laissé naître en lui cette obsession masculine de la performance. La figure transcendantale du père cède alors le pas à la loi du succès, toute centrée finalement sur la productivité des biens de consommation.
Le père, dépossédé de sa mission comme de ses enfants, n’est pas le seul à subir les tristes conséquences de la froide logique luthérienne. L’enfant en est la première victime car, en lui ôtant son père, la sécularisation fait de lui un orphelin. L’absence paternelle transforme l’être humain en un individu solitaire et, une fois rendu impossible le rapport symbiotique avec la mère, en un homme perdu. Son seul refuge est alors de trouver un substitut à sa mère, et ce de deux manières :
Au niveau individuel lorsque la concubine remplace l’épouse. La femme n’est alors plus cette compagne que Dieu lui a donné comme aide pour accomplir la mission qui lui a été divinement confiée, mais elle est d’abord perçue comme celle qui assouvit un besoin affectif en permettant une nouvelle symbiose ; autrement dit, elle est considérée comme une mère de remplacement.
Dans le domaine social, le processus sera identique. On réclamera de la cité qu’elle devienne une société maternante, où le social et l’économique se sont substitués à ce que les Anciens appelaient le politique.
Avant d’aborder ces conséquences sociétales de la crise de paternité, décrivons d’abord ses effets sur l’individu esseulé.
L’enfant sans père
Nous l’avons dit : pour être restée dans le giron de sa mère faute de l’influence paternelle, l’humanité présente est en quelque sorte dénaturée, déchue. Éternels enfants, hommes et femmes resteront leur vie entière au plan horizontal des besoins, incapables de surmonter la tension de l’attente et de la médiation, immédiateté et omnipotence étant les caractéristiques de l’enfance. Loin de s’élever vers Dieu et tout ce qui les grandit, ils se tournent vers ce qui les nourrit. Cette enfance continuelle n’est pas sans conséquences psychologiques sur l’individu, à commencer par l’anxiété caractéristique des enfants gâtés, si connue des éducateurs : celle qui cherche à éviter le plus possible l’expérience de la limite, de l’interdiction et de la règle ; celle de l’enfant inquiet jusqu’à défier sans cesse le monde de l’autorité. Il le fait dans un esprit apparemment frondeur, voire violent. Mais, à un niveau plus profond, il y a cette quête désespérée de quelque chose capable de le contenir, de l’arrêter, de lui faire découvrir ses propres limites et par là même de le faire sortir d’une vacuité existentielle par l’apport de la norme. Il cherche par tous les moyens une Loi qui lui soit supérieure, une transcendance qu’il n’a pas trouvée en son père. Il est anxieux et comme désespéré de sa solitude. Cette anxiété engendrée par l’absence de norme, ce désir violent de contrôle de l’existence, est l’unique cause du fameux syndrome ADHD (Attention Déficit Hyperactivity Disorder), le « déficit de l’attention par hyperactivité », soigné médicalement par le psychotrope et l’antidépresseur Prozac. Le remède est pourtant tout autre…
D’un point de vue psychologique encore, l’enfant par trop materné sera facilement sujet à des troubles de personnalité, surtout s’il s’agit d’une fille : manque de confiance en soi, dépendance excessive du regard d’autrui, quête perpétuelle de reconnaissance. Comme le dit avec justesse la psychothérapeute Laura Girelli :
« C’est le regard du père, à la fois amoureux et fier, qui jette les bases et fait croître la personnalité, conférant à la fille cette autonomie psychologique qui lui permet de vivre comme une personne. »
À l’inverse, une attitude par trop maternante peut provoquer chez l’adolescent une baisse de l’estime de soi, d’où une difficulté de contact avec ses contemporains. On le verra alors guetter constamment, par une quête stérile et narcissique, un regard d’approbation. La psychologie clinique démontre comment ce sentiment, attribué souvent à une faible estime de soi, peut se traduire par des comportements velléitaires, voire d’autoflagellation ; ou au contraire, comme cela se produit plus souvent, par une compétitivité exaspérée destinée à masquer ce manque de tranquille confiance en soi. Ce trouble de personnalité, ai-je envie de dire, va jusqu’à marquer nos sociétés elles-mêmes, qu’elles soient politiques ou religieuses. Nous parlions il y a instant d’autoflagellation. La France, par ses lois portant sur le contenu éducatif, mais aussi l’Église, par sa manie nouvelle de la repentance, n’en sont-elles pas imbues ? C’est qu’en réalité le sujet postmoderne, qu’il soit individuel ou social, se sait fugitif face aux épreuves de la vie qui devraient faire de lui un homme adulte, et cette attitude de fuite qui est sienne le remplit de honte. Il devine qu’il n’est pas de taille à affronter le conflit. Parfois, cette faiblesse remplit paradoxalement l’individu de haine. L’illustration la plus patente de ce trait réside peut-être dans l’attitude contemporaine de l’Europe face à la montée de l’Islam. Si la société prise dans son ensemble se sent totalement démunie devant un tel phénomène et n’a trouvé pour toute issue de fuite que la relativisation, cette même société engendre cependant chez nombre de ses sujets un racisme éhonté, inexistant en France à l’époque coloniale par exemple.
Le dernier aspect psychologique que je voudrais souligner avant d’aborder les conséquences morales de cette crise de paternité, concerne plus spécifiquement les garçons. On constate chez les jeunes mâles des difficultés toujours plus grandes à maîtriser leur agressivité. Tout jeune homme, en effet, est doué d’une dose d’agressivité correspondant à sa vocation. « Dieu, est-il dit dans la Genèse, prit l’homme [mâle] et le plaça dans le jardin d’Éden pour le garder et lui faire porter du fruit. » (Genèse, II, 15.) Ce travail de transformation, par lequel l’homme change le monde, est une action extraordinairement agressive. Qu’il bêche ou qu’il bâtisse, il bouscule les apparences de la réalité. Dieu donc lui a conféré cette dose d’agressivité qui, une fois canalisée, devient force de volonté. Mais que se passe-t-il si précisément le père, par l’apport vécu de la loi contraignante et sa finalité, n’a pas dirigé cette agressivité en aidant l’enfant à la dominer ? Cette impulsivité reste alors à son état indompté, favorisant chez l’adolescent tous les accès de violence.
Si nombreux soient-ils, ces traits psychologiques caractéristiques d’une enfance sans père demeurent secondaires. Les drames les plus profonds engendrés chez l’individu par cette crise de paternité sont d’ordre moral. Le premier est bien évidemment ce déficit chronique de volonté. L’adolescent, le jeune adulte, loin d’avoir développé en soi une puissance active, en est resté à une passivité d’ordre affectif. Toute une série de phénomènes témoignent de cette chute de vitalité : l’âge tardif auquel on quitte le toit parental, la disparition des grands idéaux, la multiplication des phobies en tout genre, ou encore la propension à réagir uniquement en fonction de l’impression reçue. Ce scénario infantile, passif, de maigre initiative et de grande dépendance, est justement le résultat de la destruction de la fonction paternelle. N’est-ce pas au père qu’il revenait de conduire l’enfant à une personnalité adulte, d’orienter ses énergies dans une relation créative avec le monde extérieur ? De la même manière, le sacrifice, entendu ne serait-ce que dans son sens profane comme abandon nécessaire afin d’obtenir quelque chose, semble toujours plus douloureux, parfois impossible à supporter ; d’où le défaut chronique de persévérance constatable chez nombre de nos jeunes contemporains. Le devoir et l’engagement en viennent à être considérés comme anachroniques. La notion de droit, quant à elle, perd toute exigence – la justice me fait rendre à l’autre ce qui lui est dû – pour se déduire, d’un point de vue psychologique, à ce que les autres me doivent. La disparition du père semble être également l’une des causes, et non des moindres, de l’explosion de l’impureté, notamment féminine. Coupé brutalement de cet être fusionnel qu’était sa mère – parce que le père absent n’a pu opérer cette transition progressive – l’adolescent(e) cherche un substitut. Et loin de trouver en l’autre l’être cher qui permettra de construire au sein de la société une nouvelle famille, on ne verra en lui, en elle, que l’âme sœur dont on sera compris et aimé, l’être fusionnel qui permettra de combler le vide existentiel laissé par la disparition de la mère.
Crise de paternité et mue de société
Outre ses conséquences sur l’individu, la crise de paternité a également des répercussions extrêmement profondes sur la société elle-même. Aldo Naouri les résume d’un mot :
« Notre société, dit-il, est devenue totalement maternante. Elle fait comme les mères, elle organise autant que possible la satisfaction immédiate et totale de tous les besoins. Elle y a intérêt : la paix sociale, aujourd’hui, est à ce prix [5]. »
La Cité n’est plus ce grand corps social, à l’instar des autres corps sociaux que sont l’armée, la corporation, ou encore les ordres religieux. La raison en est simple : toute notion de corps renvoie à celle de tête, autrement dit à la paternité qui précisément a été rejetée. Du fait même de son rejet du père, la société a banni la notion de corps social. La Cité n’est plus ce « tout organisé », animé d’une vie tout orientée vers le bien commun que le politique a charge de promouvoir. Elle devient un agrégat d’individus restés au stade infantile, et qu’une structure maternera en subvenant à tous leurs besoins. Le corps constitué cède le pas au monstre Léviathan, socialisant. Nos chefs d’État, dont la fonction se réduit à fournir la béquée à tous les habitants du nid, se transforment alors en représentants commerciaux marchandant à qui des centrales nucléaires, à qui des avions… Michel Schneider a décrit ce phénomène de société maternante dans un ouvrage devenu justement célèbre : Big mother, psychopathologie de la vie politique [6]. Pour avoir placé en son centre la valeur maternelle de satisfaction des besoins, la société est devenue comme une mère de substitution, une mère en charge de nourrir et de satisfaire 67 millions d’enfants… the big mother !
L’habitant d’une telle cité est alors réduit à un Homo consumens, dont le degré de consommation forme le nouveau critère de citoyenneté. À titre d’illustration, citons un homme d’État qui, voici peu, invitait au nom de la citoyenneté les Français, notamment les personnes âgées, à se déposséder de leur patrimoine en vue de relancer la consommation. C’est le fameux crédit hypothécaire renouvelable, adopté par l’Assemblée au cours de ce quinquennat. Le patrimoine, héritage des pères transmis à l’enfant, est sacrifié sur l’autel de la consommation. Homo consumens : le citoyen est donc réduit à une dimension réceptive et passive, gage de tranquilité publique. Homo consumens : en cas d’agitation sociale, on le ramène à cette passivité par le déblocage de crédits. Ce processus vide peu à peu le sujet de tout ce qu’il a d’actif, de créatif, d’aptitude à l’originalité, à la singularité, au risque, à la fantaisie et à l’idéal.
La féminisation de la société se retrouve encore dans les valeurs post-soixante-huitardes : la douceur l’emporte sur la force, le « peace and love » sur l’ordre, le dialogue sur l’autorité, la tolérance sur la conviction, la précaution sur le risque, l’assistanat sur l’éducation, la relativité sur la vérité… A été totalement oubliée la phrase si vraie de Saint-Exupéry, dans Citadelle [7] : « Jette-leur du pain et ils se haïront, force-les à bâtir une tour, ils s’uniront. » L’accélération récente de cet abandon des vertus masculine, qui doit beaucoup à la philosophie post-68, ne consacre-t-elle pas la victoire du féminisme et de l’égalitarisme ? Non seulement les femmes s’habillent et se comportent comme des hommes, mais ces derniers adoptent les habitudes des femmes (modes, parfums, crèmes, épilations…). En fait, l’égalitarisme n’a bâti qu’un être unique, mi-femme mi-homme, un être androgyne.
La vague féminisante n’a pas épargné l’Église. Sans insister sur ces femmes à qui l’on confie systématiquement la lecture à l’église, ni même sur celles qui, à la suite de Corée, Dathan et Abiron (Nombres, XVI, 1-35), veulent usurper le sacerdoce, je voudrais surtout mentionner ici, avec Giovanni Ventimiglia, la tendance plus profonde à la féminisation de Dieu dont nous sommes témoins : « De nos jours, les livres où Dieu a le visage d’une mère se multiplient, ainsi que les expériences ecclésiastiques à fortes connotations matriarcales. » Ce phénomène est surtout vrai dans les pays anglophones et principalement aux États-Unis, mais il commence également à se développer en Europe. Il est en tout cas patent qu’avec le concile Vatican II, les attributs féminins l’ont emporté sur les vertus masculines, tout comme l’avait fait la révolution de 1968 pour la Cité.
[Fin de la deuxième partie.]
Bibliographie
Les titres cités permettront d’aller plus avant dans les descriptifs psychologiques donnés au cours de cette conférence. Mais la portée simplement psychologique de ces ouvrages dit suffisamment leurs limites.
Claudio Risé, Le père absent : Enquête sur la place du père dans les familles occidentales, Rémi Perrin, 2005
Tony Anatrella, Le Sexe oublié, Flamarion, 1990.
Rose Marie Miqueau, Harmonies éducatives, Institut Alcuin, Saint-Léger, 2002).
Aldo Naouri, Les pères et les mères, Odile Jacob, 2004.
Michel Schneider, Big mother, psychopathologie de la vie politique, Odile Jacob, 2002.
René Bergevin, Révolution permissive et sexualité – De la tolérance comme argument à la transgression comme processus, François-Xavier de Guibert, 2004.
Henri-Marie Manteau-Bonamy, La doctrine mariale du père Kolbe, Lethielleux, 1975.
Autres livres consultable :
Xavier Lacroix, Passeurs de vie : Essai sur la paternité, Bayard, 2004. Aldo Naouri, Les filles et leurs mères, Odile Jacob, 2000.
Iconographie : Victor Hugo – Le Bonheur d’être grand-père.