La notion d’ennemi dans le judaïsme
Un article de Youssef Hindi en exclusivité pour le site E&R !
Sommaire
- Ennemi circonstanciel
- Ennemi ontologique
*
Depuis la nuit des temps, les groupes humains organisés – tribu, cité, État – se définissent par rapport aux uns et aux autres, et selon les critères « ami » et « ennemi ». Les Européens, qui ont vécu dans une paix relative, dans le mensonge de « l’Union européenne, c’est la paix », redécouvrent le conflit avec non pas la guerre en Ukraine, mais la guerre des membres de l’OTAN, les nations européennes, contre la Russie, sur le sol ukrainien, sur le sol européen. Notons au passage que la guerre de Yougoslavie, les bombardements de l’OTAN visant la population civile serbe, de même que le massacre des habitants du Donbass par le régime de Kiev, n’ont pas préoccupé les peuples européens qui n’ont pas non plus perçu le danger d’une extension de la guerre. Il n’est de guerre que télévisuelle pour les Européens, du boomer au plus jeune. Il en va de même pour l’actuelle génération des dirigeants occidentaux.
Le va-t-en-guerre en chef en France, Bernard-Henri Lévy, appuyé notamment par Raphaël Glucksmann (le fils de son père), pourrait, si la situation s’aggravait davantage, jouer le rôle de celui qui pousserait les dirigeants français à s’engager directement, militairement, contre la Russie, comme il l’a fait en Libye. Ce fauteur de guerre aurait l’appui de tous les médias français, comme des généraux de plateau télé, à moins que quelques frappes de missiles russes ne les refroidissent. La Russie étant la plus grande puissance nucléaire au monde, dotée de missiles hypersoniques impossible à intercepter, et la France la seule puissance nucléaire du continent européen, une telle confrontation contraindrait Moscou à neutraliser la France, d’une manière ou d’une autre.
Inutile de rappeler le rôle des États-Unis et de leurs bras armés, l’OTAN et l’UE, dans le déclenchement de la guerre contre la Russie. Nous essayerons ici de dépasser le niveau de la realpolitik, et de définir une autre notion d’ennemi pour répondre à plusieurs questions : pourquoi BHL, qui a avoué avoir contribué à détruire la Libye « en tant que juif » et en « fidélité au sionisme et à Israël » [1], travaille-t-il avec autant d’acharnement au déclenchement d’une guerre russo-européenne ? Pourquoi Israël, dont l’intérêt objectif était hier de préserver et aujourd’hui d’améliorer ses relations avec la Russie, soutient-il le régime de Kiev [2] ? Y a-t-il, au-dessus des intérêts nationaux, des objectifs d’ordre religieux et eschatologiques imperceptibles par les géopolitologues ?
Ennemi circonstanciel
Le champ du politique est celui de la distinction entre ami et ennemi, notamment dans les relations internationales.
« On ne saurait raisonnablement nier que les peuples se regroupent conformément à l’opposition ami-ennemi, que cette opposition demeure une réalité de nos jours et qu’elle subsiste à l’état de virtualité réelle pour tout peuple qui a une existence politique. Ce n’est donc pas le concurrent ou l’adversaire au sens général du terme qui est l’ennemi. Ce n’est pas davantage le rival personnel, privé, que l’on hait et pour qui on ressent de l’antipathie. L’ennemi, ce ne peut être qu’un ensemble d’individus groupés, affrontant un ensemble de même nature et engagé dans une lutte pour le moins virtuelle, c’est-à-dire effectivement possible. L’ennemi ne saurait être qu’un ennemi public, parce que tout ce qui est relatif à une collectivité, et particulièrement à un peuple entier, devient de ce fait affaire publique. » [3]
Les nations, les royaumes, les États ont des ennemis circonstanciels et des ennemis historiques ou héréditaires, mais pas d’ennemis éternels ni d’ennemis ontologiques. L’histoire politique des peuples est faite d’alliances, de renversement de celles-ci, de traités de paix, de guerres entre anciens pays amis, et d’alliance avec les ennemis d’hier contre les nouveaux ennemis de demain.
Les royaumes, empires et États chrétiens et musulmans ne font pas exception à la règle. Le christianisme ne prône pas la soumission à l’ennemi politique et l’islam n’ordonne pas la guerre d’extermination contre un ennemi absolu.
Le célèbre passage des Évangiles de Matthieu (5, 44) et de Luc (6, 27) « aimez vos ennemis » signifie « diligite inimicos vestros et non : diligite hostes vestros ; il n’y est pas fait allusion à l’ennemi politique » [4].
En effet, « inimicus » en latin signifie « ennemi personnel », tandis que « hostis » est l’ennemi politique. La désignation de l’ennemi politique revient au chef, à l’État, et non à n’importe quel individu qui n’a que des ennemis personnels, sauf dans le cas du partisan. Les monarques chrétiens, comme l’Église, ne confondaient pas l’ennemi personnel (inimicus) et l’ennemi politique (hostis). Et l’ennemi politique n’était pas un ennemi ontologique.
De la même façon, en islam, dès la période de Révélation, à l’époque du prophète Muhammad, et au plus fort de la guerre que menaient certaines tribus polythéistes contre les musulmans, le Coran autorisait la conclusion de pactes avec d’autres tribus polythéistes qui n’étaient pas entrée en conflit avec le prophète. Le pacte était rompu lorsque des tribus prêtaient main forte aux ennemis des musulmans. Ainsi, le Coran dénonçaient les pactes.
« Exception est faite en faveur des polythéistes qui, liés à vous par un pacte, n’y auront pas fait la moindre brèche, non plus que soutenu personne contre vous : dans ce cas, honorez pleinement leur pacte pour la durée de l’engagement. » (Sourate Le repentir, 9, 4) [5]
Le Coran n’ordonne pas de guerre d’extermination, de guerre totale. Ce qui signifie qu’il n’est pas de peuple considéré comme un ennemi ontologique. Même en pleine guerre, une porte reste ouverte à l’ennemi :
« Si quiconque parmi les polythéistes te demande sauvegarde, accorde-lui sauvegarde pour lui permettre d’entendre la parole de Dieu, voire fais-lui regagner son lieu de sûreté, considérant qu’ils sont un peuple dénué de science. » (Sourate Le repentir, 9, 6)
Les ennemis politiques ne le sont pas pour l’éternité selon la conception islamique. Ils peuvent ainsi devenir des amis, des alliés.
« Il se peut que Dieu loge de l’affection entre vous et d’aucuns que vous teniez, de leur fait, pour ennemis. Dieu est omnipotent. Dieu est Tout pardon, miséricordieux. Dieu ne vous a pas interdit de prendre pour alliés ceux qui ne vous combattent pas pour cause de religion, ni ne vous évincent de votre habitat, ni de vous montrer envers eux vertueux, équitables : Dieu aime les équitables. » (Sourate L’éprouvée, 60, 7-9)
« Ô vous qui avez la foi, efforcez-vous de témoigner de la justice en observant vos devoirs envers Dieu et que la rancune contre un peuple ne vous incite pas à vous montrer injustes ; soyez justes… » (Sourate La table servie, 5, 8)
L’histoire des rapports géopolitiques entre puissances chrétiennes et musulmanes est faite d’alliances et de guerres fondées dans la plupart des cas non pas sur des principes religieux, mais sur des intérêts et un réalisme politique.
Au XVIe siècle, le roi de France François Ier s’allie à la Turquie ottomane de Soliman le Magnifique. À cette époque, la France catholique a pour ennemi le Saint-Empire romain germanique qui est tout aussi catholique (précisons que c’est la période de la réforme protestante qui va miner l’Empire). Toujours au XVIe siècle, l’Espagne catholique fait alliance avec le Maroc musulman (quelques décennies après la fin de la Reconquista) pour repousser la Turquie musulmane.
Au début du IXe siècle, l’empereur Charlemagne et le calife abbasside Haroun al-Rachid s’envoient plusieurs ambassades. L’empereur franc avait alors tout intérêt à contenir sa rivale, Byzance, voisine de l’empire abbasside, et le calife à s’assurer du soutien de Charlemagne contre les Omeyyades d’Espagne.
Les exemples d’alliances croisées entre musulmans et chrétiens dans des guerres contres leur coreligionnaires sont innombrables, y compris durant la Reconquista et les croisades. Un peu plus d’une décennie après le début des invasions franques, l’empereur byzantin, Alexis Comnène, demandait instamment aux musulmans de s’allier à lui, empereur chrétien orthodoxe, contre les Francs chrétiens. Dans une lettre qu’il envoya au calife de Bagdad Al-Moustazhir, il lui demanda de s’unir à son armée « pour lutter contre les Franj (francs) et les expulser de nos contrées » [6].
Lorsque la reconquête définitive du Proche-Orient est entamée par Salahudin Ayubi (1138-1193), dit Saladin, Raymond III, un croisé franc comte de Tripoli et prince de Galilée, demande une alliance à Saladin (que celui-ci accepte) contre Guy de Lusignan, un autre croisé franc, roi de Jérusalem [7].
Nous pourrions poursuivre longuement l’énumération des exemples d’alliances de ce type [8]. Ainsi donc, l’alliance islamo-orthodoxe slavo-tchétchène et russo-syro-iranienne actuelle ne doit pas étonner.
Le fait est historiquement établi. Il n’est pas, dans la théorie et la pratique, d’ennemi ontologique du point de vue chrétien et musulman. Il en va tout autrement pour le judaïsme, qui a des ennemis ontologiques.
Ennemi ontologique
Dans le livre du prophète Daniel (qui aurait vécu durant l’exil à Babylone, entre 588 et 538 av. J.-C.), il est une prophétie relative aux quatre empires ennemis du peuple juif. Selon cette prophétie, tous les empires en question s’effondreront, à savoir, l’Empire babylonien, puis l’Empire des Mèdes, suivi de l’Empire perse et pour finir l’Empire romain.
Le grand rabbin et maître du Talmud, Eliezer ben Hourcanos, qui vécut au Ier siècle, a livré une interprétation d’un verset de la Genèse à la lumière du Livre de Daniel dont il tire ses conclusions quant à la victoire finale d’Israël. Il énumère les empires qui doivent tomber, les « ennemis » d’Israël qui seront « revêtis de honte », tandis que sur la tête du Messie des juifs « brillera son diadème ». Le quatrième et dernier empire ennemi d’Israël n’est autre que Rome [9], qui sera le siège impérial et religieux de la chrétienté à abattre.
Dans la tradition juive, ces empires n’appartiennent pas au passé, ils sont les archétypes d’ennemis ontologiques du peuple juif. Ennemis qui s’incarnent perpétuellement. C’est particulièrement vrai pour Édom (surnom d’Ésaü, le frère de Jacob) qui s’est incarné en Rome, devenue la Rome chrétienne, devenue l’Europe, et par extension l’Occident qu’il s’agit de détruire encore et encore. Chaque incarnation de l’ennemi ontologique doit être abattu.
Si la chute de Rome est une condition importante du triomphe d’Israël d’après l’eschatologie juive, elle n’est pas la seule. Les textes fondamentaux du judaïsme indiquent également que la destruction d’Ismaël (fils d’Abraham, père des Arabes et par suite des musulmans), de l’islam, est une autre des conditions de l’avènement du Messie.
Nous avons mentionné le maître du Talmud Eliezer ben Hourcanos, qui a interprété un passage de la Genèse à la lumière du Livre de Daniel pour conclure que la chute de Rome précéderait l’avènement du Messie. Son interprétation contient une autre « prophétie », selon laquelle c’est sur les « ismaélites (les Arabes) que le fils de David (le Messie) grandira comme il est dit dans les Psaumes (132:13-18) : "Car l’Éternel a fait choix de Sion. Il l’a voulue pour demeure : ’Ce sera là Mon lieu de repos à jamais, là je demeurerai, car je l’ai voulu : Je bénirai amplement ses approvisionnements. Je rassasierai ses pauvres de pain. J’habillerai ses prêtres de vêtement de triomphe, et ses hommes pieux éclateront en cris de joie. Là Je ferai grandir la corne de David. J’allumerai le flambeau de mon Oint. Ses ennemis. Je les revêtirai de honte et sur sa tête brillera son diadème.’" » [10]
« Le fils de David grandira sur les ismaélites » est interprété par les rabbins postérieurs comme signifiant que le Messie apparaitra après la chute de la descendance d’Ismaël, car c’est au milieu des Arabes (à Jérusalem) que le Messie des juifs fera son apparition.
Dans le Talmud, il est écrit que Dieu « se repend d’avoir créé les Chaldéens, les Ismaélites (les Arabes) et le mauvais penchant ». Il se repentirait donc d’avoir créé les Ismaélites car « les tentes (où vivent les Arabes) des brigands prospèrent, et ceux qui provoquent Dieu sont en sécurité, puisque Dieu les a amenés de sa main » (Mas. Sukkah 52b).
Ovadia Yossef (1920-2013), Grand Rabbin d’Israël, fondateur et guide spirituel du Shass, troisième plus important parti en Israël, « faiseur de rois de la quasi-totalité des gouvernements israéliens depuis trente ans » [11] (écrivait un journaliste en 2013), a fait plusieurs déclarations sur son désir d’extermination des Arabes :
« Puissent-ils disparaître de la Terre. Puisse Dieu envoyer un fléau aux Palestiniens, ces enfants d’Ismaël, ces vils ennemis d’Israël. » [12]
En 2001, Ovadia Yossef, a appelé à l’extermination des Arabes (tous les Arabes et pas seulement les Palestiniens) par des missiles :
« Il est interdit d’avoir pitié d’eux. Vous devez envoyer des missiles et les annihiler. Ils sont mauvais et détestables. »
Et d’annoncer que :
« Le Seigneur retournera les actions des Arabes contre eux-mêmes, épuisera leur semence et les exterminera, les dévastera et les bannira de ce monde. » [13]
Il en va de même pour la Perse, ennemie ontologique du point de vue du judaïsme, qui est incarné aujourd’hui par l’Iran. En 2012, Ovadia Yossef a appelé tous les juifs à prier pour l’annihilation de l’Iran. Des dirigeants du ministère de la Défense, ainsi que le président du Conseil à la sécurité nationale, Ya’akov Amidror, et le ministre de l’Intérieur Eli Yishai, avaient rendu visite au Grand Rabbin pour le persuader de soutenir une éventuelle attaque d’Israël contre l’Iran. Une semaine avant de les recevoir, Ovadia Yossef avait tenu un discours similaire à propos de l’Iran [14].
Ce type de discours ne se limite pas au monde rabbinique, il est aussi tenu dans les plus haute sphères du judaïsme politique et de l’État hébreu. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter par exemple le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Lorsqu’il s’est rendu à Moscou le 9 mars 2017 pour demander à Vladimir Poutine de chasser l’Iran de la Syrie, il a utilisé, en guise d’argument, le récit mythique d’un des livres de la Bible hébraïque, le livre d’Esther.
« Il y a 2 500 ans, dit Netanyahou à Poutine, il y a eu une tentative en Perse de détruire le peuple juif. Cette tentative a été échouée et c’est ce que nous célébrons à travers la fête de Pourim… Voilà qu’aujourd’hui l’Iran, héritier de la Perse, poursuit cette tentative de détruire l’État juif. Ils le disent de la façon la plus claire, ils l’écrivent sur leurs missiles. »
Vladimir Poutine rétorqua : « Oui, enfin, c’était au Ve siècle avant notre ère. Aujourd’hui nous vivons dans un monde différent. Alors parlons-en. » [15]
Un monde différent selon Poutine et l’écrasante majorité de l’humanité. Mais selon la vision juive, le monde n’a pas changé, ou plutôt, les ennemis des juifs demeurent les mêmes depuis l’Antiquité. Il y a une fixité du monde calqué sur l’histoire biblique de ce point de vue-là.
Les tenants du judaïsme mettent en avant ce mythe des Perses anti-juifs qui auraient voulu les exterminer et occultent la réalité historique, à savoir que les Perses ont mis fin à l’exil à Babylone et ont permis la reconstruction du Temple de Jérusalem.
De la même façon qu’aujourd’hui, on réécrit l’histoire, en faisant des Américains ceux qui ont « abattu Hitler » [16] (dixit BHL) et non plus les Soviétiques. Et cette année, pour la première fois, les Russes sont exclus des commémorations de la libération d’Auschwitz, alors que ce sont eux qui l’ont libéré, et ce sont eux qui ont fait tomber Hitler. Le directeur du musée d’Auschwitz, Piotr Cywiński, a déclaré que la Russie « aura besoin d’un temps extrêmement long et d’une très profonde introspection après ce conflit pour revenir dans les salons du monde civilisé. » [17]
Selon une certaine interprétation de l’eschatologie juive, la Russie fait également partie des ennemis d’Israël. La prophétie d’Ezéchiel et celle de Joël sur la puissance du Nord qui doit attaquer Israël à la fin des temps est la Russie qui n’est autre que l’incarnation de Gog du pays de Rosch, de Méschec et de Tubal. Les peuples du passé et ceux du présent et futur ne font qu’un. Par conséquent les ennemis d’Israël sont immuables, quelles que soit les alliances de circonstance et d’apparence de l’État hébreu et de ce que Gilles-William Goldnadel appelle « la communauté juive organisée ».
En 2018, Bernard-Henri Lévy publie un livre titré L’Empire et les cinq rois. Une transposition d’un récit biblique sur la géopolitique actuelle. Les cinq rois en question – dans le livre de Josué qui, à la tête des Israélites, fait la conquête de la Terre sainte – sont Adoni-Cédek, roi de Jérusalem, Hohâm, roi d’Hébron, Pirâm, roi de Yarmouth, Yaphya, roi de Lakhich, et Debir, roi d’Eglôn (Josué, 10,3). Ces cinq rois amorréens, défaits par Josué, se cachèrent dans une caverne. Josué les en fit sortir.
« Quand on les eut amenés devant Josué, il appela tous les Israélites et dit aux chefs des hommes de guerre qui l’avaient accompagné : "Approchez ! Posez vos pieds sur le cou de ces rois !" Ils s’avancèrent et mirent le pied sur leur cou. Josué reprit : "Soyez désormais sans crainte ni faiblesse, soyez courageux et résolus, car ainsi fera Yahvé à tous les ennemis que vous aurez à combattre." Et Josué les fit mettre à mort et pendre à cinq potences, où ils restèrent attachés jusqu’au soir. Au coucher du soleil, sur l’ordre de Josué, on les détacha des potences, on les jeta dans la caverne où ils s’étaient cachés, et l’on plaça à l’entrée de grosses pierres, qui aujourd’hui même y sont encore. » (Josué, 10, 24-27)
Les ennemis ne sont pas que les dirigeants, mais aussi et surtout leurs peuples. « Ce même jour, Josué avait pris Makkéda, l’avait passée par les armes et avait voué à la mort son roi, ainsi que tous les habitants, sans épargner personne ; et il procéda pour le roi de Makkéda comme il avait fait pour celui de Jéricho. » (Josué, 10, 28)
BHL se satisfait encore aujourd’hui d’avoir participé à la destruction de la Libye et donc à la mort de dizaines de milliers de libyens.
Le 4 mai 2018, sur le plateau de France 24, Bernard-Henri Lévy présente son livre. L’Empire qui combat les cinq nouveaux rois est selon BHL, « l’empire d’Occident, essentiellement l’Amérique et l’Europe », et les cinq rois « ce sont les cinq puissances autoritaires, dictatoriales, qui profitent de l’effacement de l’Occident pour s’affirmer avec force sur la scène mondiale. Donc ça veut dire la Turquie, ça veut dire l’Iran, ça veut dire la Russie de Poutine, ça veut dire les pays animés par le sunnisme radical, et ça veut dire la Chine, la Chine impérialiste. » [18]
Mais cet Occident, comprenant l’Europe, nous l’avons vu, fait également partie des ennemis ontologiques du peuple juif. Les États-Unis qui ont pris la tête de l’Occident et qui sont considérés par BHL, à la suite de nombreux rabbins, comme les héritiers d’Édom, de Rome, ne sont que des alliés de circonstance du point de vue de son judaïsme. Le rôle des États-Unis est d’entraîner le monde dans une guerre qui conduirait à la destruction mutuelle de tous les ennemis d’Israël : « les cinq rois » et Édom, l’Occident. Rappelons ici que la politique extérieure des États-Unis est largement influencée et orientée par le lobby pro-israélien, comme l’ont démontré les deux éminents géopolitologues américains Stephen Walt et John Mearsheimer [19].
Lors de la parution de son livre, BHL regrettait la rétention de la puissance américaine – comprendre l’hyper interventionnisme chaotique freiné par Trump – qui « atteint aujourd’hui des proportions dramatiques, c’est-à-dire qu’il y a une espèce de démission de l’Amérique sur les grandes scènes – en Syrie, au Kurdistan ou ailleurs – où sa voix serait attendue et même indispensable, qui laisse la place aux nouveaux barbares. »
Il faut savoir, dit BHL, que l’un des cinq rois, Poutine, « est un ennemi de l’Union européenne et des valeurs qui ont présidé à sa construction et qui sont dans la tête de ceux qui veulent la continuer ».
Il est intéressant de relever qu’il ne désigne pas Poutine comme un ennemi de l’Europe et des peuples européens, mais de cette création artificielle, supranationale, l’UE, qui torture les Européens et qui les met en danger de mort aujourd’hui en les traînant, contre leur volonté, dans une guerre contre une puissance nucléaire.
Les peuples européens ont manifesté à plusieurs occasions leur défiance vis-à-vis de l’UE, voire leur rejet. Si Poutine est l’ennemi de l’UE, suivant le raisonnement de BHL, il se trouve donc être l’ami des Européens, du moins l’allié objectif.
Et BHL ne s’y trompe pas quand il met également en accusation le populisme, « une mauvaise pente sur lequel le monde est engagé ». Ce dangereux populisme considérant que « le peuple a toujours raison ». Il pointe du doigt la Russie où le populisme trouve son expression radicale et « où en effet Poutine est réélu chaque fois avec des scores de maréchal, mais c’est une pente sur laquelle nous sommes engagés en France ».
BHL considère tous les peuples comme ennemis ; qu’ils soient européens, musulmans, russes ou ukrainiens. Des ukrainiens aujourd’hui sacrifiés par de faux amis dans une guerre eschatologique contre un des « cinq rois ». Une guerre dans laquelle les Européens risquent d’être entraînés.