Il ne faut pas être grand clerc pour s’en rendre compte : les jeunes picolent à tous les coins de rue, comme des SDF, mais dans les bars, sur les quais, chez eux, moins en boîte parce que ça coûte cher. La consommation d’alcool ne cessait de reculer en France depuis 1945, les 30 Glorieuses ont changé les mentalités, les campagnes sanitaires ont limité le fléau, mais voilà qu’il revient en force, suite à une crise économique et sociale sans précédent.
Mais aussi pour des raisons culturelles : boire, c’est s’intégrer, surtout chez les étudiants, les jeunes travailleurs, et depuis peu chez les lycéens. On ne parlera pas ici de la drogue fumable ou injectable, mais c’est le même topo. On restera sur la boisson, qui reste une drogue dure. Cependant, une drogue dure autorisée fait moins peur.
Le site actu.fr a publié une vaste enquête sur les jeunes et l’alcool.
Dr Stéphane Billard, chef du service d’addictologie à l’hôpital psychiatrique de Quimper : « La consommation d’alcool chez les adolescents peut s’apparenter à un rite initiatique. Ce type de consommation peut être un facteur identitaire d’appartenance à un groupe. Il s’agit aussi d’un phénomène reconnu socialement, renforcé par les réseaux sociaux – principalement sur TikTok – avec l’apparition notamment de jeux autour de l’alcool depuis la crise sanitaire. »
Passons sur le phénomène de l’alcoolisme de socialisation (appartenir au groupe ou crever dans le coin des rabat-joie), le binge-drinking (boire vite et beaucoup, et du fort, pour être « bien » quand on sort), le goût de la transgression, et bien sûr le besoin de se désinhiber pour draguer. Tout cela est connu.
Mais la corrélation n’est pas faite, dans l’enquête, avec l’environnement économico-social, celui d’un pays néolibéralisé qui déchire le filet de protection sociale et les traditions rassurantes (couple, famille, travail, patrie). En outre, les conséquences psychiques du covidisme (masque, distanciation, pass, injection, crédit social) sur les jeunes sont à ranger dans les effets secondaires graves de la pandémie mondialiste. C’est bien simple, les cabinets de psychologues et de pédopsychiatres sont pleins de dépressifs et de suicidaires. Marie-Estelle Dupont peut en parler :
Si la crise du covid a engendré une pandémie mentale et de nombreux changements psychosociaux, aggravé les addictions et multiplié les dépressions, la perte de motivation des jeunes adultes s explique non pas par la difficulté mais par la perte de sens. @CNEWS pic.twitter.com/NRiUCbApIC
— Marie-Estelle Dupont (@dupontmarieest1) November 17, 2022
L’étude d’actu.fr, statistiquement intéressante, porte sur l’âge de plus en plus jeune de la rencontre avec l’alcool, la comparaison des consommations hommes/femmes, les conséquences plus graves de l’alcoolisation chez la femme (qui élimine moins facilement l’eau de feu), avec évidemment les grossesses à risques.
On ne dit plus « alcoolique » mais « qui a une dépendance à l’alcool »
Le marronnier, c’est évidemment la Bretagne qui vient en tête de liste de la consommation par habitant, où, à 17 ans, 95 % des jeunes ont déjà picolé.
Cette tradition de l’alcoolisation à outrance se retrouve dans des expressions usitées dans l’ouest breton comme « partir en piste » ou encore « partir en bordée » (utilisée dans le milieu de la pêche). « La notion de piste, c’est le fait d’endurer l’alcool, de boire sur une longue période dans différents endroits », explique Christophe Moreau.
Pour lutter contre ce fléau qui frappe une partie grandissante de la jeunesse, en proie au doute sur son avenir, et il y a de quoi, le gouvernement lance une campagne baptisée « C’est la base ». Et comme toutes les campagnes pondues par les crânes d’œuf sans imagination, elle est nulle. Flinguée ici en trois mots :
Bonsoir. Cela vous a, semble-t-il, complètement échappé, mais ce que vous nous présentez là est très exactement une campagne pour la banalisation de la consommation d'alcool chez les jeunes. https://t.co/nulr058YSF
— Sébastien Fontenelle (@vivelefeu) September 25, 2023
On remarquera une chose : moins on a de projets, moins on a d’avenir, même imaginaire, moins on dispose de relations sociales solides (famille, boulot, études, passions), plus on est susceptible de s’alcooliser. La limite inférieure, ce sont les teufeurs au cerveau cramé qui piétinent dans la boue. Au-dessus, les étudiants en école de commerce boivent aussi énormément, et pourtant, eux ont un avenir, selon les critères bourgeois. Alors ?
Eh bien ce sont deux alcoolisations différentes : il y a l’alcool désespoir – en 1914 on appelait ça du brise-tête – et l’alcool festif (qui peut finir en alcool désespoir, sur la durée). Ça se marie avec tout.
À l’arrivée, tout le monde est alcoolique, mais avec des différences de degrés, de prise en charge, et de conscience sociale. Le teufeur peut boire jusqu’au coma, le jeune cadre doit être en forme le lundi matin.
Il y a donc plusieurs alcoolismes, si l’on se place d’un point de vue social. Et ils ne se mélangent pas : vous avez déjà vu un cadre sup trinquer avec un clochard ? Les jeunes, qui boivent au début entre eux sans distinctions de classes ou de couleurs, prendront des chemins alcoolisés différents dans la vie.