La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert. Cette parole d’André Malraux, alors Ministre des affaires culturelles ne trouve pas encore son application dans le domaine de la transmission scientifique. Depuis plusieurs années, on assiste à une remise en cause croissante de l’universalité, de la valeur culturelle et de l’impact social du travail scientifique. L’incertitude normale, constitutive des premières étapes de tout développement scientifique ou technologique suscite parfois des inquiétudes. Des postures idéologiques fondées sur une défiance croissante vis-à-vis des processus d’acquisition des données scientifiques les alimentent. Dans ce relativisme culturel, la connaissance sociale de la science s’éloigne des considérants scientifiques.
Déjà en janvier 2008, une tribune d’académiciens, dans Le Figaro, s’inquiétait des freins portés à l’innovation en raison de cette atmosphère de suspicion. En 2013, Robert Badinter, Jean-Pierre Chevènement, Alain Juppé et Michel Rocard sonnaient l’alerte dans les colonnes de Libération, dénonçant l’impossibilité de conduire des débats scientifiques réellement ouverts et contradictoires sans être entravés par des minorités bruyantes, parfois violentes. L’incendie volontaire du centre de culture scientifique la Casemate en novembre dernier, au cœur de la technopole grenobloise, revendiqué par des minorités anti-progressistes, est un délit qui doit nous inquiéter. S’attaquant à l’expertise, la contestation se déplace dorénavant sur le terrain des symboles de la culture scientifique. L’atteinte démocratique est totale puisqu’elle touche l’essence même de la civilisation.
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Or, la précaution ne signifie pas résistance au changement mais elle a pour visée la protection de la santé des personnes et de l’environnement. Oter de façon systématique les vaccins, les produits pharmaceutiques, les micro-ondes, les compteurs électriques, la viande rouge, les fertilisants, le gluten, les satellites météorologiques et les outils de télécommunication à l’humanité aurait certainement des effets plus négatifs que positifs et constituerait dès lors une grave atteinte à l’esprit de la constitution. Il faut ainsi apprendre à faire la part des choses entre les effets réels d’une action, et ce qui relève de la légende sociale.
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La représentation nationale reconnaît une prise en compte insuffisante de l’expertise scientifique dans les processus de décision politique. De la biologie de synthèse aux nouvelles biotechnologies, les rapports de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sont très peu commentés. Ainsi, le succès d’essais cliniques chez des petites filles atteintes de leucémies incurables aux US en 2013 et en 2015 au Royaume-Uni par les nouveaux outils de la modification ciblée du génome n’a eu que peu d’impact social.
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Une structure de médiation qui assisterait les médias sur des sujets controversés doit être fondée. Les étudiants, toutes disciplines confondues, doivent être sensibilisés à la vulgarisation scientifique. Il importe de développer des médiations numériques pour s’adapter à la nouvelle économie de l’information à l’ère des réseaux sociaux. De nombreuses chaînes s’affirment sur Youtube, animées par des médiateurs sachant combiner le plaisir de la démonstration et de l’explication comme dans les musées scientifiques, avec celui de l’histoire culturelle des sciences comme dans les musées d’art. C’est à cette condition seule que le futur scientifique deviendra un présent offert par le passé, pour reprendre en le paraphrasant, André Malraux.