Verneuil, Varennes, Vietnam
Le hasard du calendrier m’a fait regarder cette semaine trois films traitant de l’histoire.
Week-End à Zuydcoote, tout d’abord, film de Verneuil sorti en 1964.
Un film troublant à regarder en 2009. Rendez-vous compte, un film sur la guerre de 40 où l’on n’entend pas une fois les mots "nazis" ou "juifs". L’Allemand y est absent, juste le bruit du stuka, des bombes, et la voix nasillarde (avec cet accent un peu ridicule mais amusant, que l’on entendra à peu près jusqu’à Papy fait de la résistance, après quoi, le soldat allemand ne s’exprimera plus qu’en V.O., pour bien montrer son étrangèreté. Fini aussi, de nos jours, le brave soldat de la Wermacht. Place désormais au S.S., au gestapiste.) Un homme de l’an 2100, regardant un film de 2009, pensera que la chasse au Juif était la seule mission de la machine de guerre allemande.
Il n’y a pas vraiment de héros dans Zuydcoote, juste du populo français dans la merde jusqu’au cou, la Wermacht d’un côté, la mer de l’autre, et lui au milieu. Les Anglais, eux, ont le droit de réembarquer, mais laissent les Français sur la plage. On rage en pensant au nombre de fois où les Britons nous ont traités de "lâches" à propos de cette période. (Alors que les sujets de Sa Majesté ne se sont pas comportés différemment quand les Allemands ont occupé Jersey et Guernesey).
En cette lointaine année 1964, le manichéisme ne régnait pas encore. Ce populo que filme Verneuil, il est varié. Les uns (Mondy) sont des débrouillards, ayant déjà leur petite combine pour le marché noir. D’autres, essaient d’atténuer la souffrance de leur prochain (Marielle), ne pensent qu’à retrouver leur petit chez-soi (François Périer), veulent résister coûte que coûte (Georges Geret). Et notre héros (Belmondo) constate, impuissant et triste, ce désastre. Pense-t-il à l’incapacité des généraux, infoutus d’utiliser correctement leurs blindés, pourtant largement supérieurs aux panzers germaniques, d’employer à bon escient l’aviation (seulement très légèrement inférieure en nombre à la Luftwaffe), ou de prolonger tout simplement la ligne Maginot jusqu’à Dunkerque (là où la ligne était en place, les Allemands ne sont pas passés. Quand réhabilitera-t-on Maginot ?). Pense-t-il, Belmondo, à l’incurie des politiciens en place, amicaux avec une Allemagne inoffensive en 1925, bellicistes avec une Allemagne fanatisée et bien armée (1939) ?
Ou bien est-il las des morts et des blessés et des veuves et des orphelins, vingt ans seulement après la grande boucherie de 14-18 ?
Et que penserait-il, s’il vivait encore, de ces infects petits intellectuels donnant des leçons de courage et d’antinazisme, eux qui n’ont jamais connu la sirène angoissante du stuka ni les villes rasées ni les champs de bataille ?
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Autre époque, même pays : L’évasion de Louis XVI, téléfilm d’Arnaud Sélignac (?), avec Antoine Gouy ( ? bis ) dans le rôle-titre.
La nouvelle politique culturelle de France Télévision semble vouloir mettre un frein à l’invasion de séries policières (P.J. et compagnie) et redonner plus d’importance à l’Histoire de France. Le résultat est parfois désastreux (Les rois maudits de Josée Dayan : des textes débités mécaniquement dans des costumes digne d’un Paco Rabanne du XIVe siècle), parfois médiocre (L’assassinat de Henri IV). Ici, le résultat est moyen, sans plus. Points positifs : Louis XVI n’est plus présenté comme un benêt un peu lâche (comme il l’était dans La Marseillaise de Jean Renoir, navet de 1938), et si au début, Marie-Antoinette ne démérite pas de sa légende noire (son mépris du peuple, ses brioches et ses dépenses somptuaires), son évolution au cours du téléfilm réussit peu à peu à détruire ces légendes urbaines (légendes, on le sait trop peu, fabriquées en chaîne via le financement du duc d’Orléans, Philippe-Égalité).
Si dans Zuydcoote, on avait le cœur serré par le drame vécu par le peuple français, dans L’évasion, on ressent la même chose pour Louis XVI. Comme l’écrivait De Maistre, une sorte de fatalité presque divine devait conduire à l’échec de la fuite du roi. (A une heure près, Louis retrouvait les troupes de Choiseul ; à Varennes, malgré le tocsin, les hommes du marquis de Bouillé n’interviennent pas. Fatalité ou corruption ?).
Bref, un téléfilm qui eût pu être poignant, mais que de maladresses dans l’interprétation ! Les acteurs ont tous des têtes d’employés de la B.N.P. et ânonnent leur texte façon C.M.2, en articulant bien toutes les syllabes ("Ceula plaît-il à madame ?", "Certaineument votreu majesté"). On est loin d’Audiard et proche de Plus belle la vie...
Un dernier détail : pourquoi diable cette fichue mode voulant que tout film ou téléfilm se déroulant sous la monarchie soit joué de manière compassée, façon Comédie Française ? J’ai revu récemment Amadeus, le chef-d’oeuvre de Milos Forman. Tout le monde y parle de manière crédible, c’est-à-dire comme vous et moi. Encore un symptôme du dogme moderniste dont l’un des axiomes est : les gens du passé ne sont pas des gens comme nous.
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Terminons cette revue du cinéma historique avec Platoon. Bon, je ne dois pas le cacher, j’aime beaucoup Oliver Stone. Certains sont allergiques à son style coup-de-poing, son utilisation sans vergogne des effets spéciaux (même si c’est très atténué dans le film dont nous parlons ici).
Je ne dois pas cacher non plus que je n’évoquerai pas l’intrigue du film, assez basique. Non, ce qui m’a littéralement effaré, ce sont les mots de fin, prononcés par le héros, Charlie Sheen (sur fond de musique hollywoodo-guimauvesque).
"Je suis sûr maintenant, quand j’y repense, que nous ne nous sommes pas battus contre l’ennemi. Nous nous sommes battus contre nous-mêmes. L’ennemi était en nous. La guerre est finie pour moi maintenant, mais elle restera toujours présente, jusqu’à la fin de ma vie."
Le peuple vietnamien, sur lequel le gouvernement américain a déversé 7,8 mégatonnes de bombes (contre 3,5 Mt sur l’ensemble des fronts entre 1941 et 1945), dont pas mal d’armes chimiques (l’agent orange), qui a subi la perte d’un million de soldats et 4 millions de civils, ce peuple, donc, sera sans doute ravi de savoir que les boys de l’U.S. Army ne se sont pas battus contre eux.
C’était qu’une blague, les gars, juste un petit drame psychologique entre nous, Américains !
Colbert - E&R