Esprit du protectionnisme
Emission comme toujours inintéressante ce soir sur F5, Yves Calvi ayant le don d’inviter des personnalités insipides et pontifiantes. Le thème, toutefois, inimaginable il y a encore trois ans, révèle bien que ces prometteuses années 2000 se terminent en apothéose. Protectionnisme, le mot est lâché. On y évoque même à demi-mot l’immigration. Dingue je vous dis.
Bien évidemment, le blabla habituel : plus on est ouvert, plus y’a de croissance, blablabla, renfermé sur soi-même, blablabli, "ne pas devenir l’Albanie", blablablu. Pas un seul invité pour défendre le protectionnisme (et surtout pas le faux opposant en carton idéal, le Besancenot économique, j’ai nommé le rédac chef d’Alternatives économiques, le magazine si mal nommé).
Cela dit, il est logique que tous ces hommes, libéraux de toutes nuances, ne puissent concevoir le protectionnisme. Cette politique est hors de leur schéma mental. Pourquoi ?
Parce que le protectionnisme induit les concepts suivants : nation, politique, diversité, production.
NATION
Un libéral ne connait que des consommateurs. Le consommateur n’en a rien à branler de l’origine des produits qu’il achète, du moment que ça lui coûte pas cher. Comme pour lui les frontières sont une sorte de vestige archaïque, un peu pittoresque, il ne conçoit pas que l’écroulement des usines de son pays puisse provoquer des désagréments (comme par exemple la montée de la délinquance, hausse des impôts pour payer les inactifs, etc.).
POLITIQUE
Un gouvernement mettant en oeuvre une politique protectionniste est par nature un tant soit peu interventionniste, il possède une vision à moyen ou long terme. Un libéral n’envisage pas cela. Et puis, les "entreprises" n’ont rien à voir avec le gouvernement. Vous voulez revenir au GOSPLAN, hein, sale archéogaulliste ?
DIVERSITE
L’un des intervenants nous a sorti la vieille fable qui faisait déjà rire les durs Wighs anglais de 1710 sur les bienfaits de la spécialisation. "Alors quand les marchés sont fermés, vous n’êtes spécialisé en rien, vous produisez du vin, des chaussures ou du blé, et vous êtes mauvais dans chaque domaine. Avec le libre-échange, vous vous spécialisez dans un domaine d’excellence". (dixit Christian Saint-Etienne ou Michel Godet). Je renvoie le lecteur aux démonstrations de Friedrich List ou Emmanuel Todd sur l’inanité du sempiternel exemple ricardien du vin portugais et des draps anglais (en gros : les portugais en acceptant le libre-échange, se sont fait niquer grave et se sont enfoncés dans la monoproduction comme une vulgaire Côte-d’Ivoire).
Mais même sans parler d’avantages ou d’inconvénients financiers, c’est vraiment l’esprit libéral, obsédé par l’efficience (c’est à dire la rentabilité à court terme) qui se manifeste dans la spécialisation. Possible en effet qu’on devienne les meilleurs en production d’anoraks si l’ensemble des forces productives françaises se spécialisaient dans ce domaine. Mais la nature est plus intelligente que ça. Qu’il s’agisse d’ADN ou d’écosystème des marais, elle prévoit la redondance et la diversité, pour parer à toute éventualité. Qu’un événement quelconque rende l’anorak inutile ou plus rentable ailleurs, et c’est la France entière qui sombre. Alors qu’un pays qui aurait conservé ses ateliers de chaussures, ses vignes, ses usines sidérurgiques, sa pêche, ses fermes charcutières, vivrait peut-être plus modestement, mais plus sûrement, il serait à l’abri de tout problème grave, et ses habitants, épargnés par le stress du chômage de masse, vivraient plus sereinement. Au fast food, la fast life, au slow food, la slow life. Lazy River, chantaient les Platters.
PRODUCTION
Le système libre-échangiste serait idéal dans un monde rempli de consommateurs et pas de producteurs. Le consommateur trouverait sans cesse des produits de moins en moins chers. Problème, dans le monde réel, le consommateur est aussi un travailleur. C’est bien beau de trouver des chaussures chinoises pas cher, mais sans pognon provenant de son salaire, il les achète comment, ses chaussures, hein ? Mmm ?
Ah, j’en vois venir certains, les petits malins du libéralisme. Première réponse : les emplois détruits seront remplacés par des emplois qualifiés.
Problème, j’attends toujours (depuis vingt ans que j’entends ce discours) qu’on me dise QUELS sont ces emplois qualifiés et COMMENT on transforme un pays abruti par vingt ans d’éduc-nat’ démago en une nation d’ingénieurs super-intelligents et tout et tout.
D’autres petits malins disent que le secteur industriel, c’est dépassé, et qu’il y a des "gisements" (j’adore cette expression comme si les emplois étaient là, sous nos yeux, suffit de les trouver ! simple !) d’emplois dans le tertiaire. Malheureusement, le tertiaire, ça ne fait (grosso-modo) que faire circuler la richesse (je donne mon pognon au coiffeur, qui le donne à sa femme de ménage, etc...), ça n’en crée pas.
Résumons : le monde idéal du libre-échangiste est un monde d’individus désincarnés, sans voisins, vivant toujours rapidement, toujours à l’affût de la bonne affaire, au milieu de congénères bosssant tous dans la même branche, à un rythme toujours plus élevé.
Le monde protectionniste est un monde plus lent, plus équilibré, j’oserais dire plus doux.
Colbert - E&R