« Les nations d’Eurasie développent des moyens propres pour assurer la croissance de leurs économies à l’abri des sanctions financières du Trésor américain. »
Le gouvernement russe a récemment annoncé qu’il émettra l’équivalent de près d’un milliard de dollars en obligations d’État, mais non pas libellées en dollars américains, ce qui est généralement le cas, mais plutôt en yuan chinois. Il s’agit de la première vente d’obligations russes dans cette devise.
Alors que un milliard de dollars peut sembler peu par rapport à la dette totale de la Banque populaire de Chine de plus de 1 000 milliards de dollars ou à la dette fédérale américaine de plus de 20 000 milliards de dollars, sa signification dépasse le faible montant nominal. Il s’agit, pour les deux gouvernements – Russie et Chine – de tester le potentiel de financement par l’État de ses infrastructures, et d’autres projets, à l’abri du risque du dollar provenant d’événements tels que les sanctions financières du Trésor américain.
Dette russe et Yuan chinois
Depuis le défaut souverain de la Russie, en août 1998, déclenché par l’Occident, les finances publiques du pays ont été prudentes. Le volume de la dette publique nationale est le plus faible de tous les grands pays industriels, à peine 10,6% du PIB pour l’année en cours [98% en 2016 pour la France]. Cela a permis à la Russie de résister aux sanctions de la guerre financière imposée par les États-Unis depuis 2014 et a obligé la Russie à chercher ailleurs pour sa stabilité financière. Cet « ailleurs » s’appelle de plus en plus la République populaire de Chine.
Maintenant, le ministère russe des Finances planifie, pour la première fois, la vente de la dette russe sous forme d’obligations libellées en monnaie chinoise. La taille de la première offre, testée sur le marché, sera de 6 milliards de yuans, soit un peu moins de un milliard de dollars. La vente est organisée par la société publique russe Gazprombank, la Bank of China Ltd. et la plus grande banque publique chinoise, Industrial & Commercial Bank of China. Le mouvement est accéléré par des rapports annonçant que le Trésor américain étudiait les conséquences potentielles d’une extension des pénalités, jusqu’à présent concentrées sur les projets pétroliers et gaziers russes, pour inclure la dette souveraine russe dans sa guerre commerciale de sanctions. Le nouvel emprunt en yuan sera négocié à la Bourse de Moscou et destiné à être vendu aux investisseurs de Chine continentale ainsi qu’aux emprunteurs internationaux et russes à des taux d’intérêt intéressants.
Les sanctions occidentales ou les menaces de sanctions forcent la Russie et la Chine à coopérer de façon plus stratégique sur ce qui devient le germe d’une véritable alternative au système du dollar. Les offres de dette russe en yuan donneront également un coup de pouce significatif à la volonté de la Chine d’installer le yuan comme devise internationalement acceptée.
Le pétro-yuan chinois
Les démarches pour commencer à émettre la dette de l’État russe en yuans vont de pair avec un autre développement majeur pour promouvoir une acceptation internationale plus large du yuan vis-à-vis du dollar américain. Le 13 décembre, les autorités de réglementation chinoises ont achevé les tests finaux en vue du lancement d’un contrat à terme sur le pétrole, non soutenu par le dollar, mais par le yuan, et négocié sur le Shanghai Futures Exchange. Les implications sont potentiellement importantes.
La Chine est le plus grand pays importateur de pétrole au monde. Jusqu’à présent, le contrôle des marchés financiers à terme du pétrole a été la chasse gardée étroitement surveillée des banques de Wall Street et des marchés à terme de New York, Londres et d’ailleurs, qu’elles contrôlent. L’émergence de Shanghai en tant que grand centre de contrats à terme sur le pétrole, adossés au yuan, pourrait considérablement affaiblir la domination du dollar sur le commerce du pétrole.
Depuis le choc pétrolier des années 1970 et la hausse de 400% du prix du pétrole provoquée par les pays de l’OPEP, Washington a maintenu un régime strict dans lequel le produit le plus précieux au monde, le pétrole, serait négocié uniquement en dollars américains. En décembre 1974, le Trésor américain a signé à Riyad, avec l’Agence monétaire saoudienne, un accord secret visant à « établir une nouvelle relation, par le truchement de la banque centrale de New York, avec les opérations d’emprunt du Trésor américain » pour acheter la dette du gouvernement américain avec les pétrodollars excédentaires.
Les Saoudiens ont accepté de faire exécuter, seulement en dollars, les ventes de pétrole de l’OPEP en échange de ventes américaines d’équipements militaires de pointe (achetés en dollars bien sûr) et d’une garantie de protection contre d’éventuelles attaques israéliennes. Ce fut le début de ce que le secrétaire d’État américain de l’époque, Henry Kissinger, a appelé le recyclage du pétrodollar. À l’heure actuelle, seuls deux dirigeants de pays exportateurs de pétrole, l’Irakien Saddam Hussein et le libyen Kadhafi, ont tenté de changer ce système et de vendre du pétrole contre des euros ou des dinars d’or [pour leur plus grand malheur, NdT]. Maintenant, la Chine conteste le système du pétro-dollar d’une manière différente avec le pétro-yuan.
La différence avec Saddam Hussein ou Kadhafi est que des pays beaucoup plus influents, la Russie et maintenant l’Iran, avec le soutien implicite de la Chine, coopèrent pour éviter que le dollar ne soit imposé par la pression américaine. C’est un défi beaucoup plus important pour le dollar américain que ceux que représentaient l’Irak ou la Libye.
Le contrat à terme sur le pétrole, libellé en yuan chinois, permettra maintenant aux partenaires commerciaux de la Chine de payer avec de l’or ou de convertir le yuan en or sans avoir besoin de placer leur argent dans des actifs chinois ou de le changer en dollars américains. Les exportateurs de pétrole, comme la Russie, l’Iran ou le Venezuela, qui sont tous ciblés par les sanctions américaines, peuvent maintenant y échapper en évitant les transactions pétrolières en dollars. En septembre dernier, le Venezuela a réagi aux sanctions américaines en ordonnant à la compagnie pétrolière d’État, et aux négociants, de libeller les contrats de vente de pétrole en euros et de ne plus payer, ni être payés, en dollars américains.