La nouvelle pièce de BHL, Hôtel Europe, prévue pour être jouée de septembre à janvier, est forcée de s’arrêter en novembre faute de spectateurs. Pourtant BHL n’avait pas ménagé ses efforts en invitant Sarkozy, Hollande et Valls pour promouvoir sa pièce. Un comédien suisse, Matthieu Béguelin, a commenté ainsi ce fiasco : « La pièce de BHL fait un four. » Dans le vocabulaire théâtral cela désigne effectivement une pièce faisant un flop. La presse suisse a réagi [1] en rappelant que Bernard-Henri Lévy était juif, et que le « four » pouvait aussi bien évoquer « l’insuccès du spectacle que des crématoires de sinistre mémoire ». Le comédien s’est notamment amusé à souligner que tous ceux qui évoquaient la débâcle de la pièce de BHL n’osaient pas employer l’expression incriminée. Quel commentaire vous inspire cet épisode ?
Gilad Atzmon : Comme je l’ai dit auparavant, les juifs contemporains insistent pour construire leur identité autour de la primauté de leur souffrance, la Shoah et son symbolisme (chambres à gaz, fours, marche de la mort, etc.). Cela ne doit pas nous surprendre que d’autres personnes se référent aux juifs à travers leurs tragédies.
Deux soldats israéliens ont récemment partagé leur journal de guerre à Gaza [2]. Ces témoignages révèlent une armée spirituellement démotivée. Vous aviez dit que c’était lié à la nature hédoniste de la société israélienne. Pensez-vous que l’hédonisme est un signe qui pourrait annoncer la fin d’Israël ?
Effectivement, il s’agit de témoignages révélateurs, et le fait qu’ils aient été publiés par l’organe de presse israélien le plus populaire est encore plus révélateur. Israël est une société hédoniste sans pour autant être une société occidentale. Israël est un mélange unique de technologie, de fanatisme, d’ardent suprémacisme juif, de matérialisme et d’hédonisme. Ce n’est pas exactement l’idéal culturel et l’amalgame idéologique nécessaires à alimenter une société insistant pour vivre sur la terre d’autres gens.
Israël est voué à l’échec et c’est quelque chose que j’ai compris dès le début des années 90. La judéité de l’État juif inflige un aveuglement tragique qui est manifestement incrusté dans la notion de « peuple élu ». Israël est incapable de penser à la paix, à l’harmonie ou à la réconciliation. Il est imperméable à l’altérité. Et comme nous pouvons l’apprendre, il n’est pas uniquement cruel envers les Palestiniens et les populations immigrées, il l’est également à l’égard de ses propres pauvres. Nous avons appris récemment qu’un tiers des Israéliens seraient ravis de quitter le pays.
Il serait équitable de dire que les soixante-cinq ans d’existence d’Israël ont mis en lumière les aspects les plus dévastateurs de la mentalité du ghetto juif mais ont également révélé certains traits qui ont mené à la souffrance juive.
La Haskala (philosophie émancipée juive) a engendré la création d’une culture juive laïque. L’idéologie juive que vous critiquez actuellement n’est-elle pas l’enfant, dénué de spiritualité, de la Haskala ?
Totalement ! La Haskala a eu pour rôle d’implanter une manière profondément sournoise au cœur de l’existence juive. Elle était motivée par une aspiration à l’intégration et à l’assimilation mais a insisté pour conserver la notion de « tribu ». Les juifs de la Haskala ont persisté à faire monter leur popularité tout en célébrant leur culture de manière clandestine.
Le slogan accrocheur du poète de culture hébraïque Judah Leib Gordon, « Sois un juif sous ta tente mais un homme dans la rue », souvent attribué à tort à Moïse Mendelssohn, met l’accent sur l’approche malhonnête de la Haskala. Le juif de la Haskala est là pour mentir au goy dans la vie publique, en prétendant faire partie d’une humanité ordinaire et post-tribale. En réalité il ment aussi à Dieu en privé en prétendant être un bon juif. Par quoi ce mensonge est-il motivé ? L’acceptation. C’est particulièrement triste car il faut avoir conscience que c’est le juif de la Haskala qui a provoqué l’opposition européenne, qui a très tôt évolué en antisémitisme institutionnel, qui a lui-même fini par aboutir à la Shoah.
En réalité, le sionisme, à ses débuts, a déploré la tentative désespérée de la Haskala pour apaiser le goy. Il avait prédit que le projet était voué à l’échec et a insisté pour sauver les juifs par le moyen d’un « retour au foyer » fantasmé.
Il est important de mentionner que la manière sournoise de la Haskala est intégrée dans la culture israélienne et sioniste contemporaine et il est facile de l’expliquer. En dépit de l’inclination antijuive du sionisme originel, le sionisme a été vaincu par la judéité. Il est devenu la voix des juifs parce qu’il était suffisamment juif.
La manière sournoise de la Haskala est allée encore plus loin. Elle est désormais incrustée au cœur de la pensée de gauche et progressiste. Une fois de plus, il est aisé de l’expliquer. Pendant qu’à droite nous assistons à une claire dichotomie entre l’érudition et l’activisme, au sein de la gauche une telle séparation fait défaut. La tentative désespérée pour devenir un mouvement populaire, qui exclut les particularités, a mené la gauche à adopter une culture de suppression de la vérité. La conclusion de nouvelles alliances semble certainement plus importante à ses yeux que de dire la vérité et s’aliéner une petite partie.
Cela pourrait expliquer pourquoi par exemple, la solidarité à l’égard des Palestiniens insiste pour qualifier Israël d’État apartheid ou colonial. Les commentateurs intelligent et qui font preuve d’honnêteté intellectuelle ont compris qu’Israël était bien pire – c’est en réalité un purificateur ethnique raciste qui actionne une philosophie assimilable à celle du Lebensraum (espace vital) hitlérien. Cela explique également les raisons qui ont poussé l’activiste palestinien Ali Abunimah ainsi que les dirigeants de Jewish Voice for Peace (JVP) à me conseiller, il y a quelques temps, de cesser de parler de culture juive et de me concentrer sur le sionisme. Ils sabordent délibérément la vérité dans leur effort pour s’adresser aux juifs.
En résumé, la Haskala, ou devrions-nous plutôt dire « la tromperie », est profondément enracinée à la fois dans le discours sioniste et antisioniste mais également dans la pensée de gauche contemporaine. Il n’est pas étonnant que l’antisionisme ne soit jamais parvenu à rien et que la gauche soit devenue l’ombre isolée d’un jargon en décomposition.