Face à l’offensive des forces pro-Ouattara clairement soutenues par la France, la stratégie de Laurent Gbagbo était claire : attirer dans Abidjan, loin de leurs bases, les colonnes de son rival pour les y écraser, comme le président Deby l’avait fait à N’Djamena avec les rebelles venus du Soudan. A la faveur des combats urbains, le "nettoyage" ethnique du quartier nordiste d’Abobo aurait ensuite été effectué.
Parce que ses protégés nordistes allaient être défaits, l’Elysée ordonna à la force Licorne d’intervenir, ce qu’elle fit avec un grand professionnalisme, vengeant en quelque sorte les soldats français assassinés à Bouaké le 6 novembre 2004. Le plan de Laurent Gbagbo fut alors réduit à néant car les blindés constituant son principal atout furent pulvérisés ainsi que ses dépôts de munitions et la télévision nationale qui lui permettait de mobiliser ses partisans. L’armée ivoirienne capitula aussitôt. Raisonnant en Européens, Paris et Alassane Ouattara pensèrent alors que les jeux étaient faits.
L’erreur d’appréciation était totale car quatre éléments n’avaient pas été pris en compte :
1) L’"hétérogénéité" et le manque de professionnalisme des combattants pro-Ouattara, conglomérat de bandits de grand chemin, de coupeurs de route et de pittoresques chasseurs villageois.
2) Le fait que Laurent Gbagbo allait retourner la situation en sa faveur en prenant la posture du résistant nationaliste dressé contre l’ancienne puissance coloniale.
3) L’évidence que, dans tout Abidjan, ses partisans étaient prêts à la guérilla urbaine à laquelle les hommes de Ouattara sont incapables de s’opposer.
4) Enfin, et j’ose l’écrire au risque de paraître pour un déterministe, Laurent Gbago est un Bété, or les Bété, comme tous les autres Kru, reculent rarement.
L’urgence fut alors de forcer à capituler le président sortant, chaque jour passant renforçant sa posture. L’armée d’Alassane Ouattara en fut incapable en dépit de fortes déclarations qui n’étaient que rodomontades ; le mercredi 6 avril, elles furent même repoussées par la poignée de combattants restés groupés autour du bunker de leur chef.
Le jeudi 7 avril au matin, au moment où ces lignes sont écrites, nul ne peut prévoir le sort de Laurent Gbagbo. Une chose est néanmoins certaine, quoiqu’il advienne, il a déjà politiquement gagné et cela pour trois grandes raisons :
1) La faiblesse et l’impuissance d’Alassane Ouattara sont apparues au grand jour.
2) Aux yeux de la moitié des Ivoiriens et de l’immense majorité des Africains, Alassane Ouattara va porter le péché originel d’avoir été mis au pouvoir par l’ancien colonisateur.
3) De plus en plus nombreux sont les pays africains qui dénoncent l’intervention française et qui demandent la reprise du dialogue entre les deux présidents. Or, parmi ces pays figurent ces deux "géants" que sont l’Afrique du Sud et l’Angola.
Si, de plus, Laurent Gbagbo perdait la vie dans les combats, il apparaîtrait alors comme un martyr et serait célébré dans toute l’Afrique comme un nouveau Lumumba. La France serait alors vouée aux gémonies.
L’erreur des autorités politiques françaises est d’avoir une fois de plus refusé de regarder la réalité en face. Or, cette réalité est que la Côte d’Ivoire n’existant plus, la partition est devenue une évidence. Cramponnées au mythe européocentré de la victoire "démocratique" d’Alassane Ouattara, elles se sont au contraire engouffrées dans une impasse d’autant plus profonde que, pour la moitié des Ivoiriens, cette victoire n’est rien d’autre que la conquête du Sud par le Nord. Conquête qui ne réglera d’ailleurs aucun des problèmes de fond puisqu’ils sont ethniques et territoriaux et en aucun cas "démocratiques".
Il est désolant de devoir une fois de plus constater que l’impératif "démocratique" qui mène nos dirigeants comme des chiens de Pavlov, l’a emporté sur l’analyse. En Côte d’Ivoire comme en Libye, l’aveuglement idéologique conduit à la cécité politique ; donc à l’échec programmé.