Un tribunal de Washington a autorisé la Banque mondiale à ne pas répondre de ses actes devant la justice étasunienne [1]. Les plaignants indiens ont déjà fait appel de cette décision qui confère à la Banque mondiale une immunité qui la place de facto au dessus des lois.
Le litige oppose des pêcheurs et des paysans indiens à la Société financière internationale (SFI) – la branche de la Banque mondiale chargée de soutenir le secteur privé – qui a financé à hauteur de 450 millions de dollars la construction d’une centrale à charbon (dans l’État fédéré de Gujarat situé dans la partie ouest de l’Inde). Les plaignants demandent aux juges de Washington, où se trouve le siège de la Banque mondiale, de condamner la SFI (Banque mondiale) à réparer le préjudice social et environnemental causé par cette centrale de charbon construite près des terres où ils vivent et travaillent. Les conséquences néfastes sont multiples : dégradation de l’air et de l’écosystème marin, empoisonnement de l’eau, déplacement de populations, destruction du mode de vie des communautés locales.
Ce qui est reproché précisément à la Banque mondiale est « sa conduite irresponsable et négligente » à toutes les étapes du projet. La SFI a non seulement financé la centrale à charbon mais a également fourni des conseils et supervisé l’ensemble de sa construction. Pourtant, dès le début de ce projet, la SFI a elle-même reconnu qu’il comportait des risques importants et que ses impacts néfastes étaient potentiellement irréversibles sur les communautés locales et leur environnement. Une plainte en interne a ensuite été déposée par les paysans et pêcheurs indiens auprès du service de médiation de la Banque mondiale : the Compliance Advisor Ombudsman (CAO). Ce dernier a donné raison aux communauté locales dans un rapport concluant que la SFI n’a pas respecté ses propres procédures de sauvegarde environnementale et sociale. Mais la banque a décidé de rejeter ces conclusions et de poursuivre la projet.
Cette affaire est loin d’être un cas isolé. La Banque mondiale a admis en mars 2015 que « la supervision de ces projets était souvent peu ou non documentée, que l’application des mesures de protection ne faisait pas l’objet du suivi nécessaire et que le risque élevé de certains projets pour les populations environnantes n’avait pas été suffisamment évalué » [2]. Selon une étude d’OXFAM, la SFI « n’a qu’une connaissance limitée des résultats pour les bénéficiaires finaux [3] » car l’évaluation des projets qu’elle finance se base uniquement sur des chiffres transmis par l’institution financière cliente et intermédiaire de la SFI.
Comme l’a souligné le Conseil consultatif belge sur la cohérence des politiques [4], plusieurs projets financés par la SFI se sont traduits par de graves infractions aux droits humains : accaparement des terres, répression, arrestations arbitraires ou meurtres afin de faire taire les mouvements de protestation contre certains projets financés par la banque. Le cas de la l’entreprise Dinant au Honduras illustre bien cette situation [5]. En 2010, Dinant avait été impliquée dans un conflit foncier au cours duquel six paysans avaient été abattus par les forces de sécurité privée de la firme. L’enquête subséquente du CAO de la Banque mondiale a démontré que la SFI était au courant des problèmes entourant les activités de Dinant. Mais aucune condamnation n’a suivi. Citons également l’enquête de terrain réalisée dans quatorze pays, couplée à un travail d’analyse de milliers de rapports par le consortium international de journaliste d’investigation (ICIJ) [6], qui révèle que les projets financés par la Banque mondiale ont contraint près de 3,4 millions de personnes à quitter leur domicile depuis 2004, parfois avec le recours des policiers armés chargés de les expulser.
Constatant toutes ces violations, le Rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté Philip Alston a présenté devant l’Assemblée générale de l’ONU le 4 août 2015 un rapport cinglant consacré à la Banque mondiale, affirmant que « la Banque mondiale s’assied sur les droits humains, elles les considère davantage comme un maladie infectieuse que comme des valeurs et des obligations universelles [7] ».
Ce comportement de la banque est en total décalage avec ses obligations juridiques. En effet, la Banque mondiale a non seulement l’obligation de respecter ses règles internes (comme les procédures de sauvegarde environnementale et sociale) mais aussi toute règle pertinente du droit international général incluant les instruments de protection de droits humains. Comme l’a rappelé récemment le Comité de l’ONU pour les droits économiques, sociaux et culturels dans une déclaration officielle datée du 24 juin 2016, la Banque mondiale comme toute autre organisation internationale doit impérativement respecter la Déclaration universelle des droits de l’homme, les principes généraux du droit international et les Pactes de 1966 sur les droits humains [8]. De plus, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), en tant qu’agences spécialisées de l’ONU, sont liés par les objectifs et principes généraux de la Charte des Nations Unies, parmi lesquels figurent le respect des droits humains et des libertés fondamentales [9]. Par conséquent, il leur est interdit d’imposer des mesures qui empêchent les États de se conformer à leurs propres obligationss nationales et internationales en matière de droits humains [10].
La Banque mondiale agit donc dans l’illégalité lorsqu’elle finance des projets, tels que la centrale à charbon en Inde, qui ont des conséquences préjudiciable sur les droits humains et l’environnement mais aussi lorsqu’elle fixe avec le FMI des conditionnalités à leurs prêts, qui vont à l’encontre des droits humains.