Cet article a été publié le 2 octobre 2009. Cette analyse demeure au coeur de l’actualité avec la révélation des Panama Papers.
La crise économique qui s’est déclenchée en 2008 était prévue depuis longtemps par de nombreux économistes, notamment à cause de la bulle financière liée à la spéculation. Mais concernant les dérives de l’économie capitaliste, la responsabilité des banques, de la dette et des paradis fiscaux est à la fois plus profonde et plus ancienne qu’on ne l’évoque généralement. Au cœur de l’Etat et de la gouvernance économique et politique, domine le pouvoir financier de manière légale, mais aussi parfois sous des formes illégales et souvent peu démocratique. Dans le cadre de cet article nous allons exposer différents mécanismes centraux du pouvoir des banquiers sur le monde. Les banques et les paradis fiscaux, sont des accélérateurs de la gouvernance néolibérale. Cette dérégulation vient alors renforcer les délits politico-financiers, du fait de la carence et de la dissolution des règles de contrôle. La dette, en particulier celles des PED, est un instrument de domination des pays riches sur les PED. Tandis que la privatisation du pouvoir de création monétaire par les banques privées, conduit à un vol l’égal d’un bien public.
1-LES BANQUES DES PARADIS FISCAUX, ACCELERATEURS DE LA GOUVERNANCE NEOLIBERALE ET DES DELITS POLITICO-FINANCIERS
Les banques et les propriétaires des grandes banques (Rockefeller, Rothschild, Morgan, City Group, Goldman Sachs [1]…) représentent un des pivots du pouvoir mondial. D’une part parce que ces propriétaires disposent de sommes énormes. Le magazine Forbes décomptait 1 125 milliardaires en 2008 (Kroll, 2008) [2]. Au classement Forbes de 2005, Bill Gates était l’homme le plus riche du monde avec 46,5 Mds $ et Warren Buffet 44 Mds $. La fortune des plus grandes banques dépassent largement celles des plus riches individus, puisque la fortune de City Group était de 10 fois supérieure à celle de Bill Gates et celle de la Bank of America l’était de 16 fois. On trouvait au classement Forbes 2005, cinq banques, dont Citigroup (484,10 Mds $ d’actifs), Bank of America (776,42 Mds $ d’actifs), puis HSBC, ING Group et UBS. Ceci leur permet d’acheter potentiellement absolument, tout ce qui peut servir leur objectif de puissance : entreprises, médias, biens divers et ce jusqu’à corrompre si besoin est les dirigeants politiques, qui sont susceptibles de se laissent soudoyer.
Les flux financiers illégaux et massifs dans les paradis fiscaux
Les paradis fiscaux et les chambres de compensation (Clearstream) sont un instrument majeur de la corruption politique et de la spoliation économique des citoyens. Les estimations concernant l’importance des capitaux licites ou illicites drainés par les paradis fiscaux sont assez difficiles à établir. On estimait, en 2000, que les capitaux, détenus hors frontières, s’élevaient à plus de 5 000 milliards de dollars, soit 54% des capitaux mondiaux (EAEF, 2001) [3]. De son côté, le FMI estimait, en 2003, que 50% des flux de capitaux passent dans les places off-shore, que circule dans le monde entre 600 et 1 500 milliards/an d’argents sales, que le blanchiment représente 5% du PIB mondial. Selon l’office des Nations unies pour le contrôle des drogues et la prévention du crime, en 1999 ; 50% des 4 800 Mds de francs annuels dégagés par l’ensemble des activités criminelles du monde (trafics de drogue, prostitution, fausse monnaie…) seraient blanchis dans les paradis fiscaux (ODCCP, 2000) [4].
Pour la France, le conseil scientifique d’Attac France mentionnait qu’en 1999, 350 milliards de dollars étaient blanchis pour être réinvestis dans l’économie légale. Il évaluait ainsi un manque à gagner pour les caisses des États de plus de 300 milliards d’euros auxquels s’ajoutent la fraude et l’évasion fiscale. Ces dernières représentaient, en 2003, environ 50 milliards d’euros pour la France, c’est-à-dire 17% du budget de l’État soit l’équivalent du déficit budgétaire (Attac, 2004) [5]. Pour les PED (pays en développement), l’évasion fiscale conduit à un manque à gagner dans les recettes fiscales de 50 milliards de dollars. L’équivalent de l’APD annuelle de l’ensemble des pays de l’OCDE. La quasi‑totalité des grandes banques et entreprises européennes ou américaines a ouvert des succursales dans des paradis fiscaux. C’est par exemple le cas de la BNP Paribas, présente aux Bahamas et aux îles Caïman, idem pour le Crédit Agricole,la CIC, le Crédit Lyonnais, Natexis Banque Populaire, la Société Générale, etc. Total réalise la plus grande partie de ses bénéfices dans des filiales enregistrées aux îles Bermudes et autres territoires off-shore, etc. (Foutoyet, 2005).
Contrairement aux idées reçues, les paradis fiscaux ne sont donc pas un « sous système » à la marge de la machine économique : ils en sont l’un des rouages. En effet, on estime que plus de la moitié des transactions financières internationales transite par les paradis fiscaux. Les paradis fiscaux facilitent donc :
l’évasion fiscale, la limitation du système fiscal,
le blanchiment de l’argent sale,
les opérations occultes,
le secret bancaire,
l’immunité judiciaire, l’absence de coopération judiciaire internationale sous la responsabilité et l’accord du G8,
C’est un accélérateur de la criminalité grâce au blanchiment de l’argent lié au trafic de drogue, à la prostitution, à la fabrication de fausse monnaie, au racket…
Les sociétés-écrans sont des instruments utilisés contre la transparence démocratique. Une société-écran est une pseudo-entreprise qui cache son véritable propriétaire par l’utilisation de prête-noms. Elle est très utilisée la fraude fiscale. Selon l’office des Nations unies pour le contrôle des drogues et la prévention du crime, les paradis fiscaux abriteraient quelque 3 millions de sociétés-écrans. (ODCCP, 2000) [6].
Les détournements et le blanchiment par les banques grâce aux paradis fiscaux
En 1991, le scandale international de la BCCI (Bank of Crédit and Commerce International), conduit à sa fermeture par la justice, a montré la liaison pouvant exister entre le trafic de drogue, le terrorisme, la haute finance et les services spéciaux. Enregistrée au Luxembourg, la BCCI recueillait pêle‑mêle les comptes d’Abou Nidal, de Saddam Hussein, du général Noriega, des services de la CIA et des sociétés liées au trafic international de la drogue, du marchand Kashoggi, entre mille autres places de même nature. Des connexions apparaissent entre ben Laden (héritier multimillionnaire d’une grande famille saoudienne) et la BCCI. Ces pratiques litigieuses ont creusé un passif de 13 milliards de dollars (Verschave, 2003).
Les banques sont au cœur du pouvoir financier, ce sont les lieux de dépôt de l’argent et le lieu de transit des flux financiers qui sont l’énergie, le sang du système. Le blanchiment d’argent sale passait autrefois, par les banques des pays développés notamment, à présent cet argent transite plutôt préalablement par les banques des paradis fiscaux (Andorre, Caïmans, Luxembourg, Jersey…) ou encore au sein de Clearstream (la banque des banques) comme le soutien Denis Robert (2001). De plus, quasiment toutes les grandes banques disposent de comptes dans les paradis fiscaux (Foutoyet, 2005) [7]. Ainsi, certaines, telle la FIBA d’Elf ont blanchi de l’argent, ou participé à l’évasion fiscale (Verschave, 2001 : 73). Mais, au cœur même de Londres, la City qui accueille les plus grandes banques britanniques a des pratiques analogues, aux banques des paradis fiscaux.
Les banques suisses, luxembourgeoises, notamment, avec les paradis fiscaux, renforcent les dérives du capitalisme illégal et la corruption, en blanchissant de l’argent sale, notamment grâce à la culture du secret, au refus de faire la transparence sur l’ensemble des comptes présents et des virements qui s’y déroulent.
Denis Robert (2001), a mis à jour une des techniques de blanchiment, dans son ouvrage Révélation, en analysant le fonctionnement des banques Clearstream et Euroclear. Or, concernant, les médias se limitent à évoquer « l’affaire Clearstream », c’est-à-dire l’intrigue Villepin-Sarkozy, en n’évoquant quasiment jamais, le véritable dossier Clearstream. Cette dernière grâce à un « mécanisme de compensation », fait ainsi disparaître certaines transactions douteuses. Denis Robert estime que les chambres de compensation, parce qu’elles sont au cœur de la finance mondiale, blanchissent des sommes largement plus importantes que ne le font les paradis fiscaux. Par conséquent, elles sont encore plus puissantes et dangereuses pour le maintien de l’État de droit dans l’économie mondiale. Par exemple, Denis Robert, affirme que la BGPI, filiale du Crédit Agricole Indosuez, possède elle aussi un compte S0418, chez Clearstream (Robert, 2007).