Dans les années 1960, alors que le monde des produits de consommation dans lequel nous vivons était en plein essor, l’économiste d’Harvard Raymond Vernon exposa sa théorie du cycle de vie de ces produits, une théorie qui a prédit avec une remarquable clairvoyance la production mondiale de la marchandise 20 ans plus tard.
Les États-Unis auront un avantage en faisant de nouveaux produits de grande valeur, écrit Vernon, en raison de sa richesse et de sa prouesse technologique, il était logique, dans un premier temps, pour les ingénieurs, les travailleurs à la chaine et les marchands de travailler en étroite proximité – entre eux et avec les consommateurs – pour mieux obtenir des critiques rapides, et pour modifier la conception du produit et ainsi fabriquer de manière appropriée.
Comme le marché a progressé, et que le produit est devenu standardisé, la production s’est étendue à d’autres pays riches, et la concurrence en a résulté. Et puis, pour finir, le produit ayant atteint sa pleine maturité, sa fabrication se déplacera des pays riches vers les pays à bas salaires. Suite à l’intensification de la concurrence, le coût deviendra la préoccupation prédominante, et parce que la fabrication et la commercialisation du produit auront été bien comprises, il y aura peu de raisons de continuer à le produire aux États-Unis.
La théorie de Vernon a été confirmée à maintes reprises au fil des ans. Amana, par exemple, a présenté les premiers fours à micro-ondes domestiques – Radarange, fait à Amana dans l’Iowa en 1967, au prix de 495 $. Aujourd’hui, vous pouvez acheter un micro-onde à Wal-Mart pour 49 $ (l’équivalent de 7 $ pour une micro-onde de 1967) – et presque tous ceux que vous verrez la bas, une variété de marques et de modèles, auront été expédiés d’endroits où les salaires horaires ont toujours été mesurés en cents plutôt qu’en dollars.
Mais vers la fin des années 1990, quelque chose s’est passé qui semble avoir court-circuité ce cycle. Les travailleurs à bas salaires chinois avait alors inondé le marché mondial. (Même aussi récemment qu’en 2000, un ouvrier d’une usine chinoise typique gagnait 52 cents de l’heure. Vous pourriez embaucher 20 ou 30 travailleurs à l’étranger pour le coût d’un seul à l’Appliance Park.) Les progrès des communications et des technologies de l’information, ainsi que la libéralisation continue des échanges ont convaincu de nombreuses entreprises qu’ils pouvaient sauter directement à la dernière partie du cycle de Vernon : la production mondialisée, semblait-il, était devenu « homogène ». Il n’y avait aucune raison pour que la conception et la commercialisation ne puissent pas avoir lieu dans un pays alors que la production, dès le début, se passe moitié à l’autre bout du monde.
Vous pouvez voir ce changement de chiffres dans les données statistiques de l’emploi américain. Les emplois manufacturiers atteignent un sommet en 1979, à 19,6 millions. Ils dérivent lentement au cours des 20 années suivantes. Sur cette période, l’impact de la délocalisation et l’adoption régulière de technologies économisant le travail a été presque entièrement compensé par une demande croissante et une introduction continue de nouveaux produits « made in America ». Mais depuis les années 2000, ces emplois ont chuté précipitamment. Le pays a perdu des emplois d’usines sept fois plus vite entre 2000 et 2010 qu’il ne les a perdus entre 1980 et 2000.
Jusqu’à très récemment, cette tendance semblait inexorable – et l’importance de l’augmentation tant vantée de l’emploi manufacturier depuis les profondeurs de la récession semblait facile à écarter. Seulement 500 000 emplois en usine ont été créés entre janvier 2010 et septembre 2012 – soit une fraction infime des presque 6 millions d’emplois qui ont été perdus au total. Et une grande partie de cette augmentation, à première vue, pourrait sembler n’être rien de plus que le retour naturel (mais finalement limité) d’une partie des emplois perdus pendant la récession elle-même.
Pourtant, ce qui se passe au sein de GE, et ailleurs dans le secteur manufacturier américain, révèle une histoire différente et plus optimiste – une qui suggère que la courbure du cycle des produits de Vernon pourrait changer une fois de plus, cette fois d’une manière qui pourrait profiter très sensiblement à l’industrie et à l’économie américaines dans les années à venir.
Le chauffe-eau GeoSpring – celui qui vient juste de rentrer de Chine pour Louisville – ressemble un peu à R2-D2, le robot de Star Wars, en plus grand et plus mince. Il a un long corps gris, et une petite partie au sommet – le cerveau – en gris ou rouge-vif, avec un panneau de commande à pavé tactile.
La magie est dans cette partie : GE a mis la une petite pompe à chaleur, et le GeoSpring utilise la chaleur ambiante de l’air pour aider à chauffer l’eau. En conséquence, le GeoSpring utilise environ 60 pour cent d’électricité en moins qu’un chauffe-eau classique. (Vous pouvez également le contrôler à l’aide de votre iPhone.)
Le GeoSpring est le genre de produit que nous présumons arriver par bateau en provenance de Chine. Ce n’est rien de plus d’une courbe d’acier laminé, des tuyaux, des éléments de chauffage, un circuit imprimé, une couche de peinture, et une boîte en carton. Et pendant les deux premières années ou GE a vendu le GeoSpring, c’est exactement d’où il venait.
À l’Appliance Park, ce modèle de production conçu à la maison et produit à l’étranger, avait été la norme pendant des années. Pour le GeoSpring, cela semblait à la fois une victoire et une vulnérabilité. Le GeoSpring est un produit innovant dans une catégorie mature. La production offshore, dès le début, semblait réaliser des économies substantielles. Mais le faire fabriquer en Chine signifiait aussi prendre le risque qu’il puisse être contrefait. C’est ainsi qu’en 2009, alors même que le produit sortait, les gens de chez Appliance Park ont calculé un retour au siège.
Mais même alors, les changements dans l’économie mondiale qui apparaissaient en pleine lumière ont fait de cela plus qu’un simple exercice. Des changements qui ont continué jusqu’à ce jour.
Le prix du pétrole est trois fois ce qu’il était en 2000, rendant le carburant de cargo beaucoup plus cher aujourd’hui qu’il ne l’était alors.
Le boom du gaz naturel aux États-Unis a considérablement réduit le coût de fonctionnement d’endroits comme les usines, réclamant une aussi forte intensité énergétique. (Le gaz naturel coûte désormais quatre fois plus chère en Asie qu’au États-Unis.)
En dollars, les salaires en Chine sont environ cinq fois supérieures à ce qu’ils étaient en 2000, et ils vont continuer d’augmenter de 18 pour cent par an.
Les syndicats américains changent leurs priorités. Le syndicat de l’Appliance Park était si hargneux dans les années 70 et 80 que l’endroit était connu comme étant « la ville de la grève ». Ce même syndicat a accepté une échelle salariale à deux niveaux en 2005 et aujourd’hui, 70 pour cent des emplois là-bas sont au niveau inférieur, qui commence à un peu plus de 13.50 $ de l’heure, près de 8 $ de moins que ce que le salaire était autrefois.
La productivité du travail américain a continué sa longue ascension, ce qui signifie que les coûts de main-d’œuvre représentent une proportion de plus en plus petite du coût total des produits finis. Vous ne pouvez plus économiser beaucoup d’argent sur les salaires.
Tant de choses ont changé que les dirigeants de GE ont cru que le GeoSpring pourrait enregistrer des bénéfices a l’Appliance Park sans augmenter le prix du chauffe-eau. « Nous avons d’abord dit : Ramenons-le ici et de construisons exactement la même chose » raconte Kevin Nolan, vice-président de la technologie pour GE Appliances.
Mais un problème est vite devenu évident. GE n’avait pas fait de chauffe-eau aux États-Unis depuis des décennies. Toutes ces dernières années, la société n’avait fait que mettre les chauffe-eau dans les garages et les caves américaines, la compagnie avait oubliée comment les réaliser.
Le GeoSpring en particulier, dit M. Nolan, a « beaucoup de tuyaux en cuivre dans la partie supérieure ». Les travailleurs à la chaine « doivent acheminer les tubes, et ils doivent les souder entre eux et sceller les joints. La façon dont les tubes sont conçus affecte vraiment la facilité ou la difficulté à souder les joints. Et la soudure affecte la qualité, bien sûr. Et la qualité de ces soudures représente littéralement la qualité du chauffe-eau. » Bien que le GeoSpring ait été pensé, conçu, commercialisé et géré à partir de Louisville, il a été fabriqué en Chine, et, Nolan dit :« Nous n’avons vraiment eu aucune communication avec la chaîne de montage là-bas. »