Une fois n’est pas coutume, aujourd’hui je suis d’accord avec le patron du New York Times. On a du mal à digérer la prédilection saoudienne pour le gore.
La maison royale des Saoud a choisi de fêter le Nouvel an, Noël et la Nativité du Prophète en faisant fusiller ou décapiter, ou étripailler d’une façon ou d’une autre, quelque quarante sept personnes, baptisées terroristes pour la circonstance. L’un des condamnés à mort est le poète palestinien Asrahf Fayadh, qui a terrifié les Saoud en tant que curateur de leur exposition à la Biennale de Venise, qui a écrit une poésie pleine d’esprit critique, et laissé pousser ses cheveux, tout en fumant des cigares ; autre exécuté, l’ayatollah (évêque) chiite Cheik Nimr al Nimr, « écho des critiques du régime et champion des droits de la minorité chiite dans la province orientale de l’Arabe, mais qui n’appelait nullement à l’action violente », selon le NYT. Il a été battu, torturé, et abattu.
Ses coreligionnaires horrifiés en Iran ont mis le feu à une annexe de l’ambassade saoudienne tandis que les Saoudiens rompaient leurs relations diplomatiques avec l’Iran. Le Bahreïn en a fait autant : tout petit État satellite à la population chiite et dirigé par des sunnites, foyer accueillant pour la Cinquième Flotte US, envahi et occupé par les troupes saoudiennes en 2011 (les Émirats, le Koweit et le Soudan avaient déclassé leurs missions militaires). Il s’avère que les Saoudiens « comptaient sur la furieuse réaction en Iran et ailleurs comme dérivatif aux problèmes économiques chez eux et pour faire taire les dissidents », dit le NYT. Ahurissant : ils ont voulu pousser leur pays au bord de la guerre, comme si les deux guerres en cours en Syrie et au Yémen ne leur suffisaient pas.
Sachant bien qu’ils ne sauraient combattre seuls leur véritable ennemi qui est l’Iran, ils ont appelé à l’aide la Ligue arabe et leur soi-disant OTAN islamique anti-terroriste, un « bloc militaire », selon leurs termes. Les dirigeants du dit « bloc islamique » ont appris par la presse qu’ils étaient censés combattre les terroristes de Daech sous la bannière saoudienne. Les exécutions de masse et la réponse iranienne vont peut-être servir à infléchir cette coalition de pays impliqués malgré eux dans le sens du front antichiite que souhaitaient les Saoudiens au départ. Daech est leur ami et leur poulain ; les derniers spectacles de décapitations montrent qu’il n’y a guère de différence entre ces frères siamois. Alors que l’Iran est une sorte de démocratie qu’ils abhorrent.
Je voudrais cependant partager avec vous les points de vue d’un universitaire russe indépendant qui a une expérience militaire et qui a la responsabilité de la distribution du Triple R (« Russian Ranger Reports ») au Yémen et en Arabie. Il propose une lecture différente du panorama.
À son avis il ne s’agissait pas d’une action froidement planifiée, mais plutôt d’un accès de rage spontané. Le prince Mohamed ibn Salman, fils du roi, déteste son principal concurrent pour le trône, le prince Mohamed ibn Naef, ministre de l’Intérieur (dont le père, le prince Naef, est récemment décédé, sapant les chances de son fils d’accéder au trône) et c’est lui qui aurait arrangé l’exécution du cheik Nimr pour mouiller le prince ibn Naef dans le conflit avec les chiites locaux. Il lui avait pris sa garde nationale, le laissant sans protection en cas de troubles. Peut-être est-ce bien là l’explication, et les guerres éclatent pour des raisons encore plus minimes ; ce genre d’évènements demandent à être minimisés, n’appellent pas à une analyse militaire ou politique. Nous avons oublié, à notre époque raisonnable, que les monarchies absolues sont mues par des facteurs très humains. Et quoi de plus humain que la folie ?