Karim Ouchikh est l’un des hommes politiques français ayant le plus clairement et le plus ouvertement témoigné de son soutien au projet du groupe de Visegrád ; il aime souvent se référer à Viktor Orbán. M. Ouchikh a accepté de répondre aux questions du Visegrád Post.
Ferenc Almássy : Nous nous sommes connus il y a à peu près un an, suite à votre soutien déclaré à Viktor Orbán, au moment où la crise des migrants battait son plein, et que le gouvernement hongrois s’est retrouvé sous le feu des médias mainstream. Vous avez pris non seulement la défense de Viktor Orbán à ce moment-là mais vous avez voulu témoigner publiquement de votre soutien en organisant une manifestation en ce sens. Est-ce que vous pouvez nous expliquer la raison de ce positionnement, alors que même un parti comme le Front national n’a pas fait de déclaration aussi forte de soutien envers Viktor Orbán, dont la politique migratoire est qualifiée par certains médias occidentaux comme « d’extrême-droite » ?
Karim Ouchikh : Mon objectif en 2015 était de soutenir clairement la politique volontariste et courageuse de Viktor Orbán, lequel avait pris conscience du chaos migratoire qui frappait à l’époque l’Europe : il avait souhaité alors dresser des barrières pour protéger l’intégrité de son pays mais également celle de l’espace Schengen, car la Hongrie se doit de protéger les frontières extérieures de l’Union européenne, tout comme sa frontière avec la Serbie.
À un moment où Viktor Orbán était accablé d’innombrables critiques venant de toutes les chancelleries occidentales, il me paraissait important que le SIEL puisse lui apporter clairement son soutien politique. C’est pourquoi j’avais appelé à soutenir Viktor Orbán en organisant, le 7 novembre 2015, un rassemblement devant l’ambassade de Hongrie à Paris. Une initiative qui d’ailleurs faisait suite, deux mois auparavant, à une autre manifestation du SIEL, cette fois-ci organisée devant l’ambassade d’Allemagne à Paris, où nous contestions, pour le coup, la folle politique migratoire de Mme Merkel.
Après avoir adopté cette attitude offensive contre la chancelière, nous entendions aussi faire valoir, de façon générale, nos vifs encouragements à la politique menée à Budapest par Viktor Orbán, l’un des artisans les plus actifs de ce redressement spirituel, moral et culturel de l’Europe qui est actuellement à l’œuvre sur notre continent.
Nous considérons que c’est un grand homme d’État, une des grandes consciences européennes, une personnalité dont l’action courageuse permettra, je l’espère, de renouer avec cet idéal européen que nous avons malheureusement que perdu de vue ces dernières années.
Soyons honnêtes, il y a parfois, on peut le voir dans les milieux d’opposition, en particulier en France, une propension à trop élever sur un piédestal certaines personnalités politiques étrangères, on a pu le voir aussi bien avec Poutine qu’avec Trump. N’avez pas une vision trop idéalisée de Viktor Orbán et n’en attendez-vous pas trop de lui ?
Non, nous prenons acte de son courage politique, lorsqu’il affronte sans état d’âme le diktat de Bruxelles, et du souci du bien commun magyar qui l’anime lorsqu’il mène, à la tête de la Hongrie, une politique volontariste tournée aussi bien vers le redressement économique de son pays que vers la prospérité économique et sociale de son peuple. Le souverainiste français que je suis prends tout autant acte de sa volonté de fonder une nouvelle Europe.
Depuis près de trente ans, l’Union européenne est marquée en effet du sceau d’un fédéralisme qui tend à abolir les frontières et à nier les peuples et, pour s’opposer à ce projet supranational, je constate que peu d’hommes d’État proposent un projet alternatif qui réviserait radicalement la construction européenne en le fondant sur un modèle institutionnel confédéral. Et parmi les rares acteurs politiques qui défendent cet autre modèle, celui qui porte haut et fort la voix des peuples européens, c’est bien Viktor Orbán ! Avec d’autres, il est celui qui incarne parfaitement cette volonté farouche des peuples européens à ne pas sortir de l’Histoire, sans jamais renoncer à un dessein européen ambitieux. Nous ne surévaluons donc pas exagérément l’écho qu’il produit auprès des opinions publiques européennes.
Il a été aussi à l’origine de la « réactivation » du groupe de Visegrád, cette instance régionale qui œuvre à valoriser les convergences économiques et culturelles de la Hongrie, de la Tchéquie, de la Slovaquie et de la Pologne, en utilisant toujours intelligemment ce levier politique local pour peser à l’égard du pouvoir technocratique qui siège à Bruxelles. Je vois cette institution d’un bon œil car j’espère que pourra ainsi se créer un bloc eurosceptique puissant, capable de damer le pion au bloc européiste aujourd’hui composé de l’Allemagne et de ses alliés (Benelux et pays scandinaves) qui, pour l’instant, domine à Bruxelles. À cette force eurobéate, il faut donc opposer une puissance politique alternative dont l’épicentre se trouve à Budapest ; à mes yeux, Viktor Orbán est en quelque sorte l’âme de ce groupe de Visegrád, mais aussi l’artisan d’un renouveau identitaire de l’Europe qui puise ses forces au sein du V4.
Concrètement, en tant que personnalité politique française, comment voyez-vous les liens qu’il pourrait y avoir entre la France et le V4, et quels pourraient être les intérêts français ? Parce que c’est une chose que ça vous soit sympathique idéologiquement, mais quels intérêts pour la France ?
Je constate que la France est sous l’emprise d’une double-dépendance. Les gouvernements de droite comme de gauche qui se sont succédés au pouvoir depuis plus de vingt ans ont fait preuve d’un atlantisme extraordinaire qui confine à une servilité diplomatique criminelle ! Le Quai d’Orsay a renoncé à pratiquer une diplomatie indépendante, fidèle à cette tradition capétienne que Charles de Gaulle avait si bien préservée dans les années 60 : une politique indépendante, une politique d’équilibre œuvrant contre toutes les hégémonies, qui place l’intérêt supérieur du pays au cœur de notre action internationale de la France. Au lieu de cela, la France se cale tragiquement dans le sillage de Washington.
Mais je déplore aussi vivement l’assujettissement de la politique étrangère de la France aux intérêts économiques de l’Allemagne, notamment en ce qui concerne la diplomatie pratiquée à l’égard de la Russie. Cette nouvelle donne tend à pervertir la mission assignée au couple franco-allemand qui, depuis les années 60, a été le cœur nucléaire de toute construction européenne. Le fait que la France renonce désormais à tenir son rang vis-à-vis de l’Allemagne crée évidemment un déséquilibre politico-diplomatique au bénéfice de l’Allemagne, ce qui est manifestement inquiétant pour l’avenir du continent ; je crois fortement en la nécessité de préserver un équilibre entre les grandes puissances européennes, sans quoi le risque est bien réel de voir se disloquer toute ambition européenne sur les prétentions hégémoniques de Berlin.
À titre personnel, je souhaiterais que la France rejoigne ce groupe de Visegrád, sous un statut et un mode de coopération à définir, afin que Paris apporte sa contribution au redressement identitaire de l’Europe ; ce faisant, se renforcerait aussi en Europe, – avec ce V4 élargi qui entrainerait sans doute dans son sillage les pays latins (Portugal, Espagne, Italie, Grèce) –, une Entente confédérale qui ferait utilement contrepoids à ce Bloc fédéraliste rhénan qui s’étend à présent, avec l’Allemagne, jusqu’à la mer Baltique. Si nous parvenons à bâtir cette alliance diplomatique inédite, nous pourrions nous dispenser d’une sortie de l’UE et de la zone euro, ce dilemme qui tracasse tant les Français à l’approche des élections présidentielles et des législatives à venir. Si l’on demeure en effet dans le cadre actuel de l’Union européenne, nous sommes condamnés à poursuivre une aventure qui a fait la preuve de son échec institutionnel, économique, et social.
L’alternative est simple : soit donc on sort de l’UE, en faisant application de l’article 50 du traité de Lisbonne, à l’image du Royaume-Uni, mais aussi de la zone euro, soit on décide de renégocier radicalement le modèle institutionnel européen pour nous tourner vers un système confédéral. Cette perspective de modification des traités européens, de l’intérieur, est aujourd’hui possible alors qu’elle ne l’était pas voici quatre ans en raison des rapports de force de l’époque qui ont, depuis, profondément changé au sein de l’Union européenne : l’euroscepticisme domine désormais dans de nombreuses chancelleries et cette nouvelle donne doit nous permettre de renégocier les traités, sans avoir à sortir formellement de l’UE. Toutefois, je n’écarte pas l’option de recourir au vote référendaire des Français pour sortir des traités européens, si d’aventure ces négociations devaient ne pas aboutir.