Jamel est devenu réalisateur, mais par hasard. Beaucoup de comédiens ou d’acteurs, une fois leur temps passé, passent derrière la caméra. Jamel a réalisé, assez mal parce que ses cadrages sont perturbants, un documentaire sur la pêche au gros dans la Seine.
« La vie d’ma mère Paname c’est un truc de fou, Paname. Wallah Paname, eh Paname c’est un truc de fou ! »
"La vidéo du siècle" : Jamel Debbouze a filmé une pêche au silure (un poisson pouvant mesurer jusqu’à 2m75) dans la Seine, en plein Paris. pic.twitter.com/Wru2MAVH8Y
— Mediavenir (@Mediavenir) May 2, 2025
Homo fabeur
La saynète est intéressante, au-delà des people présents (Jamel et Mélissa) : on voit un Français de souche, probablement de droite, puisque pêcheur – nous dirons ontologiquement de droite, même s’il vote à gauche [1] – entrer en interaction avec une star de l’antiracisme, cette lubie gauchiste, dans un moment de travail thermodynamique, c’est-à-dire non virtuel.
Or, le cinéma, c’est du vent, et la pêche, c’est du sport, un travail musculaire autant qu’un calcul mental. Deux univers se rencontrent, et Jamel est en état de choc, choc ténu, certes, mais il découvre que des gens, eh bien, travaillent, et avec une dextérité qu’il ne connaissait pas. N’y voyez aucun jeu de mots avec dexter, la main et l’accident de l’acteur.
De plus, dans les six minutes de ce plan séquence haché, Jamel est encore plus impressionné par celui qui descend dans l’eau prendre le requin (les silures sont des « requins » d’eau douce) par la gueule. Après la séquence sur les remparts, au bord de l’eau, on aperçoit un troupeau de femelles de race gauchiste, une bouteille d’anesthésiant (éthanol) à la main. La scène se passe sur l’île Saint-Louis, quai d’Orléans, juste à côté de l’immeuble où habitait Théodore Monod, qui était avant tout ichtyologue. On voit le pont de la Tournelle. Voilà pour le cadre.
Le retour de la main
Elles non plus n’ont pas l’air de connaître autre chose que la bouteille : une canne à pêche, ça ne leur parle pas. Le jour de l’apocalypse nucléaire, ou plutôt le lendemain, le pêcheur blancos, survivant d’un autre temps, tout désuet qu’il semble être, saura survivre. Les créatures autour de lui auront plus de mal. C’est lui qui deviendra leur chef, ou ils mourront.
Il ne s’agit pas ici d’accuser les gauchistes parigots de déconnexion du réel, mais d’analyser les effets de l’interaction entre deux mondes. C’est comme si Jamel et les alcooliques tiers-mondaines avaient découvert un homme préhistorique en train de dépecer un mammouth. De manière plus générale, on peut dire qu’il y a plusieurs France : sortez du centre ville, traversez la banlieue, entrez dans la campagne, vous allez remonter le temps, passer de 2025 à 1980, puis à 1960. La hiérarchie entres les France n’est pas ce qu’on croit, au premier regard.
Par exemple, on pourrait croire Jamel, qui est ici clairement l’apprenant, très au-dessus du pêcheur, qui est pourtant le sachant, et seul survivant potentiel. La fortune de Jamel lui fera gagner deux semaines sur les autres, mais il finira au même point, comme les alcoolo-gauchistes, dont la seule arme est la bière, qui est une arme contre soi-même. C’est un outil d’un nouveau genre, un outil qui symbolise le manque d’outil (ou d’autre chose).
Homo faber