Pendant des années, Umm Mohamad, qui habite dans le camp bédouin [1] d’Abou Nawar situé au nord de la partie occupée de Jérusalem, a essayé de trouver une maison pour son fils Walid, afin qu’il puisse se marier et s’installer dans la région où elle vit. Ses efforts ont été vains, car les forces d’occupation israéliennes interdisent aux Bédouins de construire une nouvelle maison et même d’installer une tente.
Le seul toit qu’Umm Mohamad et ses fils pourraient éventuellement obtenir l’autorisation de se procurer est une tente, mais même cela n’arrivera pas car Israël veut les expulser de leurs terres pour les relocaliser dans un autre endroit construit spécialement pour accueillir les Bédouins et d’autres communautés déplacées. « De temps en temps, l’armée d’occupation effectue un raid dans le village, compte les maisons et les gens et détruit sur le champ toute nouvelle construction », a-t-elle confié à Al-Monitor.
Une autre habitante, Umm Khaled, fait partie, avec sa famille composée de son mari et ses huit enfants et petits-enfants, des 700 Bédouins qui vivent en face de la colonie de Ma’ale Adumim, la plus grande de la Cisjordanie, située à l’est d’Al-Eizariya sur le territoire d’Abou Nawar.
Israël a signé, le 14 mai, un arrêté de transfert de la population vers un endroit situé au nord d’Al-Eizariya qui concerne 46 camps de Bédouins des hautes terres de Jérusalem.
La communauté bédouine d’Abou Nawar vit dans cette région depuis les années 1960, avant que la colonie de Ma’ale Adumim n’ait été créée en 1977.
Les hautes terres de Jérusalem sont une région stratégique reliant la Cisjordanie à Jérusalem. Israël cherche à en prendre le contrôle total et séparer Jérusalem de la Cisjordanie pour créer le Grand Jérusalem avant 2020.
Umm Khaled et d’autres habitants ont confié à Al-Monitor qu’ils ne quitteraient jamais leurs terres volontairement, qu’ils ne voulaient pas vivre un nouveau déracinement forcé. Leurs parents et leurs ancêtres ont déjà été contraints de quitter leur patrie, Tel Arad, dans le désert de Beersheba, pendant la guerre de 1948 qui a suivi la création de l’État d’Israël.
Abu Imad al-Jahalin, un représentant de la communauté d’Abou Nawar, a dit à Al-Monitor que ce n’était pas le premier avis d’expulsion qu’Israël leur envoyait. Depuis 2006, chaque fois que les Bédouins ont installé une nouvelle tente, ils ont reçu un nouvel avis d’expulsion. « Mais le dernier avis d’expulsion était collectif », dit-il.
« La menace contre notre communauté s’est accentuée ces dernières années comme jamais auparavant. Nous sommes confrontés à une nouvelle Nakba. »
L’avis d’expulsion a alloué 35 terrains à l’ensemble des plus de 170 familles concernées par l’expulsion, a déclaré Jahalin qui a ajouté :
« Le lieu où ils nous transfèrent sera un cimetière pour les Bédouins. Nous allons être entassés dans une surface d’à peine un dunam [10 ares]. C’est une densité urbaine qui ne convient pas du tout aux besoins des Bédouins ».
Le mode de vie des Bédouins repose sur l’élevage d’animaux qui paissent dans les pâturages. Les Bédouins font maintenant face à la menace imminente d’être privés du style de vie qu’ils connaissent et d’être jetés de force dans une vie urbaine avec des maisons en béton, sans pouvoir bouger ni faire paître leurs troupeaux.
Les Bédouins paient le prix de leur fidélité à leur terre et de leur résistance aux ordres d’expulsion. Ils sont confrontés à des problèmes sans fin, allant de la pénurie d’eau au manque d’écoles et d’infrastructures. Les Bédouins ne sont pas autorisés à construire d’habitations ni à faire paître leur bétail qui leur est parfois même confisqué, et les enfants bédouins sont pourchassés par les colons.
« Cela fait 25 jours que nous sommes sans eau dans la région. Nous sommes obligés d’amener l’eau aux tentes à dos d’animaux. Il n’y a pas d’école, pas de centre de santé ni de service d’urgence dans la région. Les Bédouins doivent faire 4 km à pied pour atteindre le centre le plus proche », a ajouté Jahalin.
Al-Monitor a rencontré des élèves de primaire, lors d’une tournée des campements. L’un d’eux, Majed, 10, nous a dit :
« Je vais à pied à l’école. Je pars à 6 heures du matin et j’arrive à 8 heures. Parfois, des jeeps de l’armée nous bloquent le passage et ils nous laissent attendre en plein soleil. »
Umm Sleiman, qui vit dans la région bédouine, a déclaré que, comme l’école est trop loin, elle a décidé de ne pas y envoyer deux de ses filles, Hajar, 8 ans, et Asia, 11 ans, et elle s’est arrangée avec la seule école maternelle du coin pour qu’elles aillent y étudier. Elle ne veut pas qu’elles s’inscrivent à l’école et soient obligées de parcourir de longues distances à pied.
Elle craint également les attaques des colons. « Il y a trois ans, un colon a poursuivi ma fille aînée, Youssra » dit-elle. « Elle a réussi à s’échapper et à revenir au camp sans dommage. Mais depuis, je ne l’envoie plus chercher [les enfants] à l’école. »
Naja Fraihan, une enseignante, a fondé l’école maternelle Azhar Abu Nawwar avec l’aide de son amie, Amal Krishan, il ya deux ans. Elle a déclaré à Al-Monitor :
« Les enfants de la région bédouine ne pouvaient pas aller à l’école maternelle parce que la plus proche était à 6 km. Ils devaient rester chez eux jusqu’à ce qu’ils aient 6 ans, l’âge de rentrer en primaire. C’est pourquoi nous avons ouvert cette école maternelle ».
Fraihan, l’une des rares personnes du camp à avoir bénéficié d’une formation universitaire à Al-Quds, où elle a fait des études d’arabe, a déclaré :
« Nous avons demandé une participation aux parents pour acheter un peu de matériel puis nous avons commencé à enseigner dans une tente. Ensuite, nous avons demandé une subvention à l’Union européenne et nous avons pu ouvrir ce petit jardin d’enfants qui accueille actuellement 24 enfants ».
Fraihan nous indique que le camp bédouin comporte 74 enfants, de 4 à 14 ans. Ils ne peuvent pas tous aller à l’école. Ils sont également privés d’activités parascolaires et de loisirs. Elle a demandé l’appui officiel du gouvernement palestinien, qui semble complètement indifférent à leur sort.
Selon le gouverneur du district de Jérusalem, Adnan al-Husseini, l’avenir d’Abu Nawar s’annonce fort noir, surtout après les derniers avis d’expulsion qui viennent de frapper cette zone située au centre de trois grandes colonies de l’est de Jérusalem.
Husseini a ajouté que les forces d’occupation ne permettent pas à l’Autorité palestinienne de construire des bâtiments administratifs ni de travailler dans cette région qui est sous le contrôle total d’Israël. En conséquence, les citoyens doivent se rendre à Al-Eizariya, à environ 8 km, pour faire toutes leurs démarches. « Si les Israéliens parviennent à expulser les Bédouins de cette région, ils construiront de nouvelles colonies sur ces terres et étendront les colonies existantes », a déclaré Al-Monitor.
« Cela bloquera également l’extension naturelle de Jérusalem Est [2]. Ce projet est des plus dangereux et doit être résolument combattu. »
Selon Husseini, toutes les communautés bédouines de Jérusalem, et pas seulement Abou Nawar, sont menacées d’expulsion. La communauté bédouine de cette région se monte à environ 120 000 Bédouins répartis sur quatre camps : Abou Nawar, Abu Hindi, Arab al-Jahalin et Jabal al-Baba.