Jean-Pierre Rondeau : "Vendre immédiatement en acceptant une baisse sous le marché si celui-ci semble bloqué".
Jean-Pierre Rondeau, PDG de MEGARA Finance, conseil en gestion de patrimoine indépendant (CGPI), conseil en « Family office » et conseil en finances d’entreprises et tutelles.
Ses statuts : conseil en investissement financier (CIF), démarchage financier, intermédiaire en opérations de banque et services de paiement (IOBSP), courtier en assurance et titulaire de la carte professionnelle en matière de transactions sur immeubles et fonds de commerce.
Il bénéficie en outre de la compétence juridique appropriée (CJA) qu’il exerce au titre accessoire de son métier de CGPI. Jean-Pierre Rondeau a occupé et assure toujours de nombreuses responsabilités en matière financière. Il a été vice major du diplôme national de Master en Gestion de Patrimoine d’Aix-Marseille III en 2004. Il prodigue quelques conseils pour se prémunir du "krach immobilier à venir".
1) Pour quand prévoyez-vous le krach immobilier ?
On ne peut pas parler de krach immobilier comme on en parle pour la bourse. L’immobilier baisse par paliers. Quand les vendeurs finissent par accepter une baisse, cela fait une rémission. La dernière baisse s’est étalée de 1990 à 1996. Pour moi, il s’agit d’une correction de la bulle, celle-ci pouvant être très forte sur plusieurs années. Je ne suis pas un gourou. Et le propre d’une bulle, c’est comme le ballon que vous gonflez : Quand va-t-il éclater ?
2) Quels seront les signes avant-coureurs ?
Les signes sont déjà là : une baisse déjà entamée depuis plus d’un an dans la plupart des villes de Province, des dizaines d’articles sur la baisse de l’immobilier qui n’existaient pas il y a encore deux ans. Certes, certains ne vous parlent que de petits pourcentages, d’autres excluent Paris, d’autres enfin disent que cela repartira en 2013. Et puis les aveux mêmes de certains professionnels : promoteurs, agents immobiliers et même notaires. tous doivent faire face à un marché bloqué parce que les vendeurs restent sur leurs positions (prix) quand les acheteurs attendent que cela baisse. Comment faire comprendre aux vendeurs qu’il faut baisser sans paniquer les acheteurs potentiels ? Enfin, nous les CGPI qui pratiquons l’immobilier en intermédiaires, nous constatons que de très grands promoteurs comme Kaufmann & Broad, Cogedim et Bouygues nous sollicitent pour que nous proposions leurs produits.
Quand le marché va bien, ils vendent par leurs propres réseaux et se refusent à nos propositions de partenariat. Maisons Phénix propose des réductions de prix qu’elle affiche commercialement en disant « nous vous offrons 10M² ». Mais c’est le cas de nombre de promoteurs qui offrent des rabais, des commissions plus fortes pour les intermédiaires (parfois jusqu’à 12%), des primes ou cadeaux (challenges), les frais de notaires et bien d’autres avantages pour les acheteurs, comme des cuisines équipées. Et puis nous nous voyons reproposer nombre de biens à la baisse avec la mention « retour », ce qui traduit le fait que le compromis signé n’a pas été concrétisé (faute de crédit). Tout ceci ne peut tromper.
3) Quelles en sont les raisons profondes ?
Les ressources (trop faibles) des ménages qui achètent pour se loger et la rentabilité médiocre pour les propriétaires bailleurs, ne justifient pas de tels prix. ».
FRIGGIT, qui est à mes yeux l’un des meilleurs analystes de l’immobilier en France, prévoyait dès 2008 une baisse pouvant aller jusqu’à 40% quand il comparait les prix de l’immobilier en France par rapport aux revenus moyens de nos ménages, depuis 1950, soit sur une période de 58 ans à l’époque. Jusqu’en 2000 ils avaient évolué dans une fourchette de plus ou moins 10%. Si on prend le même critère, il suffit de comparer une hausse du revenu moyen des Français de 27% en dix ans, comparable à celle des loyers (29%), alors que l’immobilier a progressé en moyenne de 100%, et, bien sûr, beaucoup plus sur Paris. Ceci a rendu beaucoup de Français insolvables, même si en contrepartie ceci a été partiellement corrigé par les baisses des taux des crédits immobiliers. Une correction a commencé en 2009, mais la bulle est par la suite repartie de plus belle.
Pourquoi la France échapperait-elle aux corrections intervenues aux USA et dans la plupart des pays d’Europe, et je ne parle pas de l’Espagne seulement, à l’exception de la Grande Bretagne et de l’Allemagne, mais cette dernière n’a pas connu de bulle. C’est pourquoi le marché semble y repartir actuellement. Un placement devrait se comparer hors critères sécurité et disponibilité par celui du rendement. Un bien immobilier à Paris rapporte aujourd’hui du 2,5%. Bien sûr, on peut se dire que le taux n’est pas pire que celui d’un livret et pas loin d’un contrat d’assurance. Mais il subit de lourds frais d’entretien et une imposition tout aussi lourde.
Mais pourquoi cette bulle a telle perduré en France. ? Pénurie de logements, rareté du foncier, achats des étrangers, vieillissement de la population, accroissement exponentiel des gens seuls (divorces), effet inflationniste des aides publiques, mais aussi et surtout baisse des taux d’intérêts suite à l’Euro, puis à la crise de 2008 et l’allongement des crédits. Enfin, parce que le marché de l’immobilier est soutenu de façon malsaine depuis des dizaines d’années par l’État. Je rappelle le slogan « quand l’immobilier va tout va ». Il est vrai qu’il représente des dizaines de milliers d’emplois. Mais partant de bons sentiments, comme le fait que la France manquer de logements, on a construit des logements dont beaucoup ne correspondent pas au besoin qui est celui de logements sociaux. On a surtout favorisé des promoteurs, certes souvent sérieux, mais parfois beaucoup moins, et des réseaux de vendeurs encore une fois plus ou moins sérieux.
Le manque de foncier dans les villes a conduit à construire dans des villes sans potentiels, à des endroits dits « banlieue » sans transports, en promettant à des acheteurs obnubilés non pas par l’emplacement et la qualité, mais par le fait de « diminuer » leurs impôts, des loyers futurs gonflés. Ceci pose et posera de plus en plus de problèmes à ces acheteurs dont le dossier crédit a tout aussi été gonflé par un achat supérieur à leurs possibilités, quitte à tricher sur la réalité de leurs salaires.
Aujourd’hui le dernier avatar, le Scellier qui avait succédé au Robien que j’avais un peu contribué à faire sauter (première émission télévisée, « les Robiens de la colère » qui a eu un retentissement exceptionnel) disparait, comme d’ailleurs d’autres niches fiscales en cours d’extinction qui ont surtout servi à enrichir ces promoteurs d’immobiliers ou de produits de défiscalisation et leurs réseaux de vendeurs.
Le nouveau gouvernement continuera à augmenter impôts et prélèvements, car l’Europe, les déficits et la Crise sont là. Parallèlement, une aile du gouvernement souhaite limiter la hausse des loyers. La crise entraîne des centaines de milliers de gens au chômage et ceux en poste peuvent souvent s’inquiéter pour leur propre sort. Cela n’incite pas à la prise de crédit. D’autant qu’au même moment, les banques sont conduites à réduire leurs crédits pour cause de renforcement de dépôts à mettre en face (contraintes réglementaires pour éviter les risques systémiques) et par peur de situations aggravées pour ceux à qui elle prêtent. D’autre part, à la recherche d’argent, elles peuvent s’inquiéter d’avoir à trouver demain des fonds parfois à court terme pour faire face aux crédits longs terme accordés.
C’est ainsi qu’elles réduisent le nombre d’années de remboursement et donc la capacité à emprunter. On va revenir de 30 à 18 ans, voire 15 ans comme cela était le cas par le passé, et non plus 30 ans on envisageait 50 avant la crise ! Elles réduisent aussi le critère d’endettement qui était passé de 25% à 30, puis à plus, alors qu’elle demandent un apport personnel plus important. Dernier risque, mais ce n’est pas encore le cas, la remontée des taux des crédits, notamment si la France voyait sa notation dégradée, mais aussi si une réelle inflation survenait.
4) Que faut-t-il donc faire ? Que préconisez-vous pour le moment à un propriétaire qui souhaite vendre son bien ? Même question pour un particulier qui souhaite acquérir un logement ?
Vendre immédiatement en acceptant une baisse sous le marché si celui-ci semble bloqué. Offrir même une baisse supplémentaire si l’acheteur renonce à emprunter. Il n’y a rien de pire que de devoir tout recommencer, près de deux mois après avoir cru vendre, quand ce dernier s’est vu refuser son crédit. Et les prix peuvent avoir baissés. Bien sûr, on peut se dire que l’on espère une plus value. Ceci n’empêche pas de penser qu’il faudra certainement mieux acheter après l’éclatement de la bulle, surtout si la correction doit être forte. Bien sûr, je parle d’abord pour les investisseurs. Le problème peut-être différent s’il s’agit d’acheter son domicile principal (pour moi, la plus sûre des retraites puisque l’on s’évite une éventuelle future inflation des loyers), de vivre plus confortablement (le conseil s’arrête au choix de vie de nos clients), ou d’arbitrer un bien principal ou locatif pour un autre.
Même en cas d’achat plus grand et donc plus cher, le risque ne porte que sur la différence. D’autre part, pour tout ce qui est usage personnel, l’amortissement d’un bien un trop cher payé se fera sur la vie entière puisqu’en cas de vente on reportera le montant sur le nouvel achat. Simple remarque amusante : il est curieux de voir les Français se sentir riches (mais aussi l’État avec son ISF) quand leur appartement, qu’ils ne vendront peut-être jamais, prend de la valeur. On appelle cela l’effet de richesse dont on constate qu’il pousse à la consommation !
Attendre pour acheter, sauf si on a un coup de foudre pour son prochain logement à un prix abordable et si on a la possibilité de faire une très belle affaire en terme de prix pour un investissement locatif. Peut-être plusieurs mois, voire années.
5) Quelles sont les erreurs qu’il ne faut absolument pas commettre ?
Croire que l’immobilier monte toujours, que les arbres montent jusqu’au ciel et qu’il remplit toujours son rôle de valeur refuge. Si la catastrophe que certains gourous prédisent arrive, on aura un locataire qui ne paiera son loyer pendant des années et certainement l’impossibilité de l’expulser.
6) Hormis l’immobilier, existe-t-il une autre planche de salut ? L’or et l’argent par exemple ?
L’Or n’est monté depuis 2008 que par la spéculation. Celle qui fait que des grandes banques, des grandes fortunes, des fonds de pension, etc. stockent de l’Or et des matières premières, y compris alimentaires affamant ainsi des populations, mais aussi, pardon pour vos lecteurs mais il n’y a pas d’autre mot, stockent du PQ. C’est-à-dire qu’ils vendent à découvert des stocks qu’ils n’ont pas.
Curieusement, l’Or ne sert pas actuellement de valeur refuge pour les vrais investisseurs, c’est le dollar, voire l’Euro allemand (rémunéré actuellement à zéro%). Le ralentissement en cours fait que bijouterie et industrie auront de moindres besoins. La hausse récente a permis d’aller chercher avec de meilleurs équipements, voire plus profond et des mines rouvrent. Certes la Chine achète, l’Inde aussi. mais d’autres pays ont besoin de vendre et l’Or est ne se perd jamais, d’où les boutiques qui fleurissent pour vous racheter vos bijoux et n’oublions pas les vols. Nous ne sommes pas en pénurie. L’Or monte souvent contre le dollar, mais pas actuellement, d’autant que ce dernier se tient. Non, à mes yeux la seule chose qui fera monter l’Or c’est l’inflation, la vraie, comme entre 2004 et 2008.
Contrairement à ce que certains pensent au vu des injections de milliards et milliards- la planche à billets- nous sommes en déflation et donc en désinflation : taux 1,2% d’inflation pour l’Allemagne paru ce mois-ci ! Autre élément : il n’y a pas actuellement de prime sur la pièce d’Or et il faut toujours se rappeler que le lingot valait 120 000F et qu’il est descendu à 60 000F, prix auquel il est resté pendant 27 ans. On peut avoir de l’Or, mais il faut savoir qu’acheter aujourd’hui c’est spéculer. L’Or baisse depuis le début de l’année et a perdu environ 16,5% sur ses plus hauts. Quand à l’argent, même réflexion que sur les matières premières.
7) Les petits porteurs doivent-ils définitivement abandonner les placements boursiers ?
Il est difficile ici de donner un conseil à quelqu’un que je n’ai pas vu, surtout s’il a des actions ou des OPCVM actions. Néanmoins, j’ai conseillé à mes clients de vendre avant la correction de l’été 2001, comme je l’avais fait en 2007 et 2008 avant le krach de 2008. La correction n’est pas finie. Mais dans tous les cas, être positionné est un pari et de la spéculation. Quand je ne sais pas, je n’investis pas ou très peu. Se méfier de tous les produits annexes comme les hedge funds, les produits structurés ou à formules prétendument garanties par les banques (quand elle ne savent plus quoi vendre). Et ne pas oublier que la majorité de ceux qui sont sur les marchés sont des spéculateurs et que les cours sont manipulés notamment souvent en fin d’après midi par les grands établissements.
Je n’investis pas non plus directement ou à travers des OPCVM en obligations car historiquement, nous sommes au plus bas des taux (pour les états ou entreprises bien notés). Risques des dettes pour les états, risques de récession pour les entreprises. Et si l’économie repart, l’inflation repart, les taux monteront et les obligations baisseront.
8) Comment voyez-vous évoluer la situation d’ici la fin de la décennie ?
Dur ! Dur ! Il va falloir payer 20/30 ans de vie à crédit, crédit qui favorisait la Finance et l’Immobilier. On a fait croire aux gens que leur Pouvoir d’achat était maintenu en leur permettant d’acquérir immobilier et biens de consommation à crédit. Tout cela générait des emplois. Mais nous sommes au bout du système, il faut corriger. Or, les mesures à prendre vont contre le développement économique. Et puis de nouveaux concurrents d’autres continents sonnent à la porte pour avoir leur part de gâteau, même s’ils connaîtront des corrections (comme actuellement en Inde, Brésil et Chine, cette dernière pouvant vivre une véritable crise de l’immobilier et donc une crise des « subprimes » et des banques).
Réponse de Michel Drac :
"Les constats sont justes, et la recommandation est judicieuse dans un scénario de poursuite du trend déflationnaire. Mais j’aurais un complément important à apporter : rien ne dit que ce trend va perdurer. La déflation enclenche un processus si mortifère que, historiquement, les pouvoirs finissent toujours d’en sortir par l’inflation - et s’ils ne le font pas, l’Histoire s’en charge pour eux. Si la zone euro explose, cela pourrait aller très vite en France. En ce sens, le conseil de monsieur Rondeau, "restez liquide en temps de crise", parfaitement valable aujourd’hui, peut devenir mortel du jour au lendemain. A chacun de doser ses risques ! L’idéal est de rester liquide pour acheter de l’immo la veille du jour où l’on bascule de la déflation dans l’inflation... mais gare à ceux qui resterons liquide un jour de trop ! Souvenons-nous de l’Argentine...
Pour ma part, je reste du même avis que notre ami Piero San Giorgio : la seule valeur sûre aujourd’hui, c’est la valeur d’usage. Rien ne vaut, donc, une BAD. Pas de meilleur placement à mon avis. Et tant pis si cela implique d’acheter de l’immobilier qui peut baisser à court terme - acheter à la campagne, évidemment, où les prix sont en train de devenir vraiment très intéressants, surtout pas à Paris ou dans les grandes agglomérations. De toute façon, il ne s’agit pas d’acheter pour revendre, mais de garder un bien sur le long terme, de le mettre en valeur et d’avoir les moyens de son autonomie, dans un système où plus rien de sûr n’existera.
Et s’il en reste un peu ? Eh bien, contrairement à monsieur Rondeau, je dirais, là encore comme Piero, l’or et l’argent. Il est exact qu’il n’y a pas de pénurie aujourd’hui. Mais il ne reste dans le sol qu’une petite dizaine d’années de réserves d’argent, et deux décennies d’or. Pas plus. Alors, la pénurie, elle viendra. Pas tout de suite. Mais elle viendra. Pour du long terme, les métaux, ça me paraît bien. Et quoi qu’on en dise, cela vaudra toujours quelque chose.
En résumé, je comprends parfaitement les conseils de monsieur Rondeau. Dans une perspective classique de conseil en patrimoine à l’instant T, ils sont judicieux. Si le système tient le choc et assume une longue période de déflation, c’est même la bonne stratégie à long terme.
Et pourtant, je ne suivrai pas ses conseils. Parce qu’il me paraît trop incertain de parier sur "le système tient le choc". Peut-être. Peut-être pas.
Une BAD. De l’eau. De la terre. Une autonomie énergétique, les moyens de se passer à peu près complètement du système. Et un peu d’or et d’argent pour acheter demain, si l’ordre monétaire explose. Pas de meilleur placement pour moi. Il est possible que cela me fasse acheter de l’immo un peu trop tôt. Exact. Mais je préfère la certitude d’acheter un peu trop tôt, au risque de garder du liquide un peu trop longtemps."