Hooligans domestiqués
Un article de Lounès Darbois en exclusivité pour le site E&R
Voici un mois se tenait la finale de la Ligue des champions Liverpool-Madrid au Stade de France et les « incidents » sont désormais connus : des racailles ont dépouillé des Anglais et les CRS ont noyé indistinctement la foule dans le gaz lacrymogène... Tous les commentateurs de cette affaire passent à côté de l’histoire récente du mouvement casual.
L’Angleterre est le pays du hooliganisme ravageur de villes, dont les firms se sont toujours enorgueillies de régner partout dans les bastons de groupe et de piller l’Europe comme au XVe siècle. Les hooligans du XXe siècle reprennent l’œuvre des soudards de Henry V Lancastre en employant d’autres moyens (Je vous renvoie ici vers Éloquence du vulgaire numéro 5, émission et section bonus).
La ville la plus dangereuse d’Europe est Paris : les Anglais l’ignoraient-ils ? Ils le savent désormais. Naples est adorable et familiale. Sheffield ? Rotterdam ? Barcelone ? Mais ce sont des « escapades en amoureux », comparé à Paris ! Dites cela à un Anglais, il vous rira au nez... Jusqu’à ce que son nez à lui se pointe à Paris.
Liverpool, dont les initiales LFC sont aussi celles du plus grand écrivain français du XXe siècle, est le club anglais dont les supporteurs ont causé les deux pires tueries de stade connues, appelées catastrophes du Heysel (1985) et de Hillsborough (1989). Les temps ont changé. Il pourrait y avoir un juste milieu entre la qualité de prédateur et celle de proie mais non : aujourd’hui les supporteurs de LFC sont des proies qui se font dépouiller, chose inimaginable il y a encore seulement vingt ans.
Comment a pu advenir un tel retournement ? Par la domestication des masses.
Qu’est-ce que la Premier League depuis vingt ans sinon une entreprise de soumission mentale progressive ? Passages obligatoires par des portiques de gestion de bétail d’abattoir. Multiples contrôles nécessaires pour « valider » sa place. Sur le terrain, bien en vue, brassards No room for racism systématiques. Attendez, où sommes-nous ? De qui, à qui, parlons-nous exactement ? Il n’y a pas plus écrasé, colonisé, piétiné qu’un Blanc en Europe depuis quarante ans et il faudrait encore que cette dégradation ait lieu au son d’un avertissement qui signifie « Pas de place pour toi chez toi si tu te défends » ? Ensuite. Brassards LGBT. Agenouillements BLM. Panneaux dans les stades appelant les spectateurs à dénoncer à la police toute personne qui émettrait un seul son « xénophobe ou homophobe », même à Anfield Road, chose vérifiée sur le terrain en 2019. Caméras partout. Bref toute la Premier League est une vitrine de la propagande du pouvoir, elle a trié les spectateurs, les a sélectionnés, les a domestiqués, affaiblis énormément, et vingt-cinq ans plus tard il ne reste plus dans les stades que des geignards, même à Liverpool, la ville portuaire, la ville prolétarienne dure avec ses quartiers pauvres, ses docks, sa culture ouvrière. Oh certes Liverpool a changé, le mode de production a changé... Mais c’est la propagande médiatique et le contrôle carcéral des stades qui ont broyé les firms, pas la tertiarisation du travail.
Deux dates clés pour évaluer la baisse de régime des supporters anglais : Marseille 1998 (Angleterre-Tunisie) et Marseille 2016 (Russie-Angleterre). À chaque fois les Anglais ont été battus par présomption (manque de prudence, ivresse). En 1998 ils étaient inférieurs en nombre, en 2016 nettement supérieurs, et pourtant, débordés et hors de forme à chaque fois.
On pourrait rappeler enfin les lignes de force qui président à dissocier peu à peu des clubs dont les capitaux, les dirigeants et les joueurs sont nomades, mobiles et mondialisés... et des spectateurs citadins, fixes, sédentaires, qui voient se transformer leur football comme les vaches regardent passer les trains. Il est évident que le mouvement casual est une épopée qui prend fin dans les années 90, en raison des transformations du mode de production du spectacle du football.
Les firms, expressions d’une certaine vitalité mâle européenne basée sur la fierté des terroirs locaux, ont peut-être été punies par leurs propres excès qui ont renforcé le pouvoir global. Dès les années 70, en Europe continentale elles frappaient principalement sur des quidams légitimes chez eux, qui n’avaient pas la culture de la baston, effarés de ce niveau de violence. Les firms s’en retournaient en Angleterre en proclamant partout une supériorité martiale sur les autres peuples héritée du Moyen Âge, réactualisée, vérifiée à l’époque contemporaine. Il semble que cette époque soit révolue. Il y avait dans cette gloriole quelque chose du roman national britannique tel que célébré dans une pièce comme Henry V. On a tout dit de Shakespeare pour le célébrer, et à raison, mais pas assez qu’il était un histrion. Les chevauchées d’Edward III et d’Henry V, à bien y regarder, ne sont que des actes de piraterie barbaresque, des razzias sur oasis, et ne correspondent à aucune tradition du combat européen à la loyale : jeter des soudards excités par la promesse du butin et du viol sur des villages de paysans et de bergères est une méthode de pillard du désert « lâche, fourbe et pillard ». Du Moyen Âge à la guerre de Crimée, l’Angleterre n’a envoyé de troupes sur le continent que les fois où son I.S. lui a fourni les preuves chiffrées qu’elle était sûre de gagner. Toutes les autres fois elle a eu recours à la « politique de la bascule ». Les supporters de Liverpool furent punis au Stade de France par la dialectique de l’histoire : devenus gentils, le continent se fit méchant, selon la cruelle loi de l’histoire humaine qui veut que la violence ne s’exerce jamais contre le puissant mais contre celui qui a été puissant. Autre bascule.
Si Paris est la ville la plus dangereuse d’Occident, c’est à cause de l’impunité judiciaire dont jouissent chez nous les vandales. La multi-récidive n’est pas la marque du grand voyou intrépide mais procède de la certitude d’absence de sanction. Les forces de l’ordre d’habitude si laxistes avec la racaille ont cette fois noyé dans le gaz lacrymogène de façon indistincte les agresseurs comme les agressés. Ces nappes de brouillards semblent avoir enfumé jusqu’à la conscience critique de chaque vigilant observateur qui prétend balbutier un commentaire. Ne voient-ils pas l’immense hypocrisie de ce jeu à trois ?
1/ Le pouvoir français fait semblant d’accuser « le hooliganisme anglais ».
2/ Le pouvoir anglais fait semblant d’accuser « les Français » (tradition du french bashing).
3/ Le pouvoir médiatique, école Hanouna, invite la racaille à s’exprimer et fait semblant d’accuser « la gestion du Stade de France » (en taisant la tradition racailleuse de hagra sur les « Babtous »).
Ainsi chaque élite mondialisée s’en tire à bon compte... sur le dos des peuples pacifiques. Jusqu’à leur révolte ?