Lounès Darbois est né en 1982 en région parisienne. Entre études inachevées, petits boulots, débrouille et voyages, il a connu la pauvreté et la solitude. Mais ayant pu côtoyer, dans sa famille, les « derniers feux de la bourgeoisie classique », il était suffisamment armé intellectuellement pour ne pas assister passivement à son propre déclin et entreprendre non seulement sa rédemption, mais également la mise en perspective de cette arme de destruction massive, ayant pris conscience, avec Soljenitsyne, qu’« on asservit les peuples plus facilement avec la pornographie qu’avec des mirador ». Son premier essai sur la pornographie était une réflexion profonde sur notre époque. Il la poursuit actuellement avec une émission sur ERFM.
RIVAROL : Éloquence du vulgaire, votre émission sur ERFM, est dédiée au combat pour la beauté. Qu’est que le beau, pour vous ?
Lounès Darbois : C’est tout ce qui se trouve autour de nous et que nous ne remarquons plus à force de le côtoyer. Une façade, un feuillage, un feu, une pluie, un nuage, une allure, un geste, toutes ces choses et mille autres sont miraculeuses si l’on veut bien les regarder avec distance et concentration, en gardant le silence.
Saint Isaac de Ninive a parlé de « la beauté de la manière de vivre » : se réformer chaque jour, étudier, rencontrer notre idéal, jeter le superflu.
La beauté rassemble, elle fait taire les controverses, et même les constructions négatives. Comme vous le savez, les gens se droitisent en général par aversion pour leur époque qui ne fait qu’empirer. Or, se dire de tel ou tel positionnement « parce que l’on est contre la dégradation et que l’on veut retrouver les bijoux perdus » est un paradigme qui comporte une forte charge négative, cela révèle que l’on n’est pas acteur de nos choix mais passifs, agis, poussés au gré du vent de l’air du temps. Ce n’est pas notre faute, mais il faut d’abord bien identifier cela. L’identité française, hors de la stricte biologie, tient dans un certain idéal esthétique auquel certains arrivants peuvent se greffer dans un parcours individuel sincère (donc ni communautaire ni massif). Et attention, cet idéal est fragile, il signale un péril imminent toutes les fois qu’il est atteint. Le mobilier français avait atteint un équilibre parfait dans les années 1770-80, aussitôt après c’est la catastrophe, et la moitié du pays plonge dans la fosse. Ainsi certains peuples couvrent d’un voile leurs plus précieuses beautés... pour préserver leur race ! Est-ce grande arriération ou grande sagesse ? Pour en revenir à la France, il est étrange que l’un des plus beaux peuples au monde soit aussi celui qui anticipe le moins les prédations externes. D’où certains ennuis, hélas.
Enfin la beauté est objective, elle répond à des critères objectifs. Toutes les thèses contraires finissent un jour par signer leur fausseté en concluant que Caravage et Soulage se valent. Les escrocs ont intérêt à faire croire que tout est relatif, mais eux ne se trompent pas quand ils vous pillent, vous. La preuve de l’objectivité de la Beauté, c’est la beauté physique, car elle met tout le monde d’accord. Les plus belles étrangères sont celles qui ont les traits les plus européens, tout le monde le voit mais peu l’avouent. C’est ainsi, la beauté est objective, l’Europe est la civilisation de l’objectivité, y compris pour son propre malheur. En cela, elle est l’avant-garde du monde et aussi sa martyre. Mais elle ressuscitera. La Passion du Christ exprime beaucoup, beaucoup plus de choses qu’on ne le croit.
À travers vos émissions comme vos écrits sur votre blog, on découvre un univers esthétique très riche. Quelles sont vos influences ?
« L’amour et la violence », dirait Sébastien Tellier.
Vous rendez régulièrement hommage à deux écrivains français du XXe siècle : Louis-Ferdinand Céline et Paul Morand. Ils incarnent l’esprit français pour vous ?
Ils sont les jalons les plus récents d’une manière française d’exprimer l’émotion, une tradition qui remonte au moins à Villon. Des livres comme L’Homme pressé ou Les Beaux Draps, pour le lecteur qui a connu des jours un peu « borderline », sont là pour lui rappeler qu’il n’est pas fou, et bien plus, pour lui confirmer que sa manière à lui de sentir les choses est la « bonne manière ». Ces deux hommes sont beaucoup plus que des écrivains, ils sont des artistes créateurs d’une forme originale et neuve. Leurs œuvres sont des mines d’or où puiser lors de nos jours difficiles. Et non seulement ces grands anciens nous portent en mettant des mots sur nos intuitions muettes, mais encore leurs prédictions avérées sont la clé de compréhension de nos ennuis actuels, voire de la victoire. Voulez-vous aider vos amis identitaires à comprendre ? Rappelez-leur que tout ce qu’ils supportent au quotidien était prédit noir sur blanc chez Morand dans L’Europe Galante, Bouddha vivant, Magie noire, France-la-Doulce, Rond-Point, L’heure qu’il est, Chroniques de l’homme maigre, qui sont des livres sortis entre 1926 et 1941 ; chez Céline dans Bagatelles pour un Massacre (1937), L’École (1938), et dans sa correspondance privée.
Plus que les idées, c’est le style qui fait l’homme, pour vous ?
Le style oui, et le parcours, qui ensemble forment le seul CV authentique. Le style est la forme particulière et unique dans laquelle s’exprime un artiste, un artisan, un ouvrier, un quidam. C’est l’ensemble des choix, procédés personnels, qui lui permettent de rendre le travail le plus exact, le plus conforme à un idéal personnel, dont la portée est universelle. Cela peut être une méridienne en acajou sculptée par un menuisier, mais aussi le récit d’une anecdote par un de vos amis qui a une manière de parler particulière.
Notre parcours est la preuve de notre attitude devant la vie, c’est la grande épreuve concrète, c’est le contrôle continu du style. D’où l’importance de l’étude pour s’améliorer, de l’ascèse et de l’entraînement si possible chaque jour, toute la vie. Les orthodoxes appellent ce mode de vie la Nepsis : la vigilance, l’éveil, la sobriété, la simplicité.
Une authentique culture populaire existe-t-elle encore pour vous en France ?
Elle existe et elle s’ignore. Aussi sûr que le peuple français n’a pas de miroir ou de bureau central de la conscience commune qui lui permettrait de voir qu’il est beau (et il l’est), nous ne pouvons pas voir la cohérence qui unit par-delà espace et temps l’habitat traditionnel du pays, le type physique des habitants, sa manière de parler ou de bouger, sa peinture, sa vêture, son être et son œuvre, l’arbre et ses fruits. Pourtant cette cohérence existe. Il appartient aux grands artistes, y compris aux artistes politiques, de la montrer, de la transmettre, de l’expliquer. De belles choses à ce sujet chez Proudhon, Berth, Le Bon, Sorel, William Morris. Aussi chez le Balzac des essais : Traité des excitants, Physiologie du mariage, Théorie de la démarche.
Et si la culture est la preuve de la conscience de soi, il en va de même de la contre-culture qui est la conscience d’un peuple colonisé. D’où l’importance de la produire, de la célébrer, de la faire aimer, qu’il vente ou qu’il neige.
Du rap à Netflix, l’américanisation de nos mentalités européennes est-elle pour vous irrémédiable ?
Cela dépend à quel âge. Le goût bien formé s’acquiert par l’éducation, il exige du temps, un apprentissage par essais et par erreurs. L’intuition, elle, est innée, elle nous aide à trouver notre vocation, à identifier nos « dégoûts très sûrs ». Hollywood et Wall Street flattent nos penchants faciles, cette fausse Amérique est une fabrique de snobisme, elle excite la volonté mondaine de se démarquer, de se montrer, de se faire valoir. Snobisme de mauvais goût comme vous le savez, mais relayé, célébré partout... Vaincre le snobisme suppose d’intimider les snobs, de leur faire honte avec plus fonctionnel, plus raffiné, plus charmant, en somme de les rendre ringard, de démoder la mode elle-même. C’est facile sur le long terme car le snobisme vieillit mal, mais le ridiculiser lorsqu’il est jeune et insolent, immédiatement, est une prouesse plus élevée. Regardez le rap de 2002 avec le XXL velours, les slips sur la tête, le style Fifty Cent et les autres... On croit rêver. Comment de tels déguisements ont-ils pu faire la loi ? Les modes s’évanouissent, le classicisme seul sort vainqueur de l’épreuve du temps. Il existe un classicisme du vêtement de sport, de la musique électronique, de l’immeuble d’habitation, de tout. C’est non pas une forme intemporelle mais l’esprit intemporel de la forme la plus adéquate à une séquence de long terme donnée, forme à laquelle on ne peut alors plus rien ajouter ni retrancher. Élie Faure, Pierre Fournier, Hédi Slimane et d’autres vous en diront plus !
Observateur de la vie à travers son expression quotidienne et urbaine, en quoi la « rue » a-t-elle changé en 30 ans ?
Un mot : féminisation, un livre : Vers la féminisation. Les filles, même voilées, sont féministes. « Le féminisme n’est pas une idéologie mais une ontologie » (Félix Niesche). Les racailles qui avaient le crâne rasé ont les cheveux longs et le visage épilé, ils foncent au sucre comme des odalisques de harem (Capri Sun, Nutella, Red Bull, Mc Flurry, etc), et aux nourritures néfastes à la virilité. Les jeunes vivent enfermés dans un triptique écrans/sucre/drogue, soit immobilité/calories sans emploi/sensations sans effort. Mais la « muscu » sous « protéine » est probablement l’écueil symétrique : le bip de portique, la salle climatisée, les écouteurs pour couvrir le tam-tam sur haut-parleurs, le bilan comptable protéines absorbées contre calories dépensées, le « programme » sur des « machines », le narcissisme du corps à « acquérir » qu’il faut ensuite « vendre » sur un marché type Tinder (et qui mène à l’homosexualité), ce sont des idées assez curieuses.
La rue n’a plus sa « street credibility ». Que peut bien signifier une notion comme l’underground aujourd’hui ? Les bandes qui traînent par désœuvrement en cherchant « s’il y a moyen de gratter » sont crédibles jusqu’aux années 1990 mais guère plus loin, pour des raisons technologiques. Un « mec de rue » smartphone en poche avec 30 applications dessus sera éventuellement un singe connecté à un robot central mais certainement pas un prolétaire qui a faim ni un bonhomme. Toute cette connectivité fébrile pue l’angoisse du face-à-face solitaire avec la vie. « Rue », cela évoque la vieille pierre, les intempéries, la débrouille virile. La rue est devenue l’antichambre de la clinique esthétique. C’est un paddock pour hommes qui attendent que l’on mise sur eux en attendant de délivrer une performance entièrement domestiquée. Dans la métaphore de la comédie humaine comprise comme un hippodrome, qui sont les maquignons ?
Vos observations sur la gent féminine sont souvent justes et drôles. Comment définir la féminité du XXIe siècle ?
Aussi jolie qu’au XXe siècle mais moins bien habillée, un peu trop maquillée, beaucoup plus effrontée. La scène de l’auto-stoppeuse dans Once Upon a Time in Hollywood, censée se passer en 1969, n’est vraiment actuelle que depuis peu.
Que vous inspirent les leçons de virilités proposées par certains youtubeurs identitaires sur le net ?
Elles m’inspirent de l’incrédulité parce que les hommes qui connaissent la vie pratiquent en général la sous-expression : ils cachent leur musculature, ils parlent doucement, ils économisent leur force vitale. Regardez bouger et parler Cysia Zykë par exemple. Quant aux dissertations sur « les relations hommes-femmes », hormis 2 ou 3 livres bien vus sur le sujet (et toujours humbles d’ailleurs), vous ne pouvez pas expliquer les choses vénériennes par des raisonnements rationnels. Ces affaires relèvent toujours de l’irrationnel puisqu’elles vous mettent en contact direct avec la Nature. Comment voulez-vous expliquer le principe même qui régit l’Espèce, puisqu’il vous domine et vous fait agir comme il veut, y compris lorsque vous croyez le saisir ? À moins d’être un ascète vétéran ? Dans ce cas de figure, les leçons deviendraient inopérantes, d’ailleurs. « L’expérience est une lanterne sourde qui n’éclaire que celui qui la porte. »
En 1999, dans la cour du lycée, bien avant YouTube, je moquais les « conseillers en bais... » comme on les appelait alors. Ils avaient du succès et en profitaient pour vous expliquer la vie. Leur vocation profonde était acteur porno, stade le plus accompli de l’exhibition publique d’un pouvoir sur les femmes, dans le cadre de la rivalité mimétique des mâles. Les mœurs du babouin, qui sont les pires de tout le règne animal, ne procèdent pas autrement, à leur échelle. Chez l’homme, cette rivalité est autant cruelle mais beaucoup plus dérisoire puisque nul engendrement n’advient au bout de ce tintamarre social sous contraceptif (en cela nous sommes des sous-babouins). Quitte à croire au darwinisme, assurez-vous au moins qu’il vous rapporte au plan de la réplication des gènes, chers amis, non ? Dans Les Infiltrés (2006), Scorsese fait dire à Matt Damon, sur le point d’abattre Jack Nicholson, cette apostrophe qui résume bien la condition masculine actuelle : « Tu m’as toujours considéré comme qui ? Comme ton fils, c’est ça ? Alors c’est ça la vie pour toi ? Tous ces meurtres, tout ce sexe... et pas de fils ». Tout est là.
Vous avez écrit un très bon livre sur la place de la pornographie à notre époque. Quel impact cette industrie produit dans les esprits selon vous ?
Elle produit à la fois la rage et l’inhibition. Grand paradoxe. D’où ces tiraillements en apparence sans remède, cette impression d’enfermement quand on est adolescent. Pourtant la rage est la condition du courage, et le courage la condition du surpassement de l’inhibition.
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