Le 3 octobre, l’intellectuel qui a prédit l’effondrement de l’URSS et le printemps arabe a donné une conférence à Sciences Po, où il était l’invité de Critique de la raison européenne, l’association souverainiste de l’école de la rue Saint-Guillaume à Paris.
Le macronisme, on en mange tous les jours, mais sait-on vraiment ce qu'il y a dedans ?
Et qui mieux qu'un "esprit triste" (dixit @EmmanuelMacron) pour en parler ?
"Qu'est-ce que le macronisme ?" - Emmanuel ToddCRE vous convie à sa conférence de rentrée : https://t.co/JbDwjIZgTK pic.twitter.com/aYiJ6bx4Yw
— Critique de la Raison Européenne (@CRE_SciencesPo) 25 septembre 2018
« Pour moi, la toile de fond du macronisme, c’est une certaine honte d’être Français »
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Ne reculant pas devant l’outrance, il a qualifié tour à tour Emmanuel Macron de « nain intellectuel » ou de « puceau de la pensée ». Mais il a aussi repris son costume d’analyste, livrant d’abord son regard sur la campagne présidentielle de l’an dernier, notamment sur les personnes « en extase » devant le candidat En Marche qui selon lui « racontait des trucs absolument pas intéressants avec un air de messie (...), le genre de machins qu’on apprenait à Sciences Po avant la grande crise de 2008 ».
Comment, alors, expliquer sa victoire ?
Todd estime que « dans le contexte d’émergence du macronisme, il y a ce qu’il faut bien appeler une très grande médiocrité morale. Doit-on la situer dans l’ensemble du pays ou dans les classes moyennes ? La morale reposait sur des structures stables, anciennes et historiques - la culture catholique, la culture communiste, la culture socialiste, la culture nationale, gaulliste –, tout ça a explosé, on est dans un monde d’immoralité. Pour moi, la toile de fond du macronisme, c’est une certaine honte d’être Français ».
Les électeurs d’Emmanuel Macron, Todd les décrit comme « des gens des classes moyennes, ayant souvent une bonne éducation, qui se prennent pour autre chose que ce qu’ils sont, qui se pensent bons, qui se pensent intelligents, qui sont dans un état de lévitation psychique ». Reprenant les cartes électorales, dont il est un observateur attentif depuis ses ouvrages avec Hervé Le Bras, il analyse le vote Macron comme « la vieille carte socialiste avec des bastions catholiques supplémentaires qui ont sans doute quelque chose à voir avec le ralliement de Bayrou, et une plus grande visibilité des métropoles ».
« Chez les jeunes diplômés en perte de vitesse, la désignation d’une France d’en bas, fermée (…) peut s’analyser exactement dans les mêmes termes que la xénophobie anti-Arabes »
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« L’interprétation dominante, moralisatrice à sa manière, c’est que les gens qui votent Le Pen sont des losers (...), et que les gens, les jeunes en particulier, qui ont voté Macron, sont des winners. Mais ça ne correspond pas du tout à l’évolution économique et socio-culturelle observée dans le monde occidental. »
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Et c’est pourquoi, d’après Emmanuel Todd, le vote Macron des jeunes diplômés serait… « une réaction au déclassement ». Explication :
« Vous avez les ouvriers français dont la peur du déclassement les amène à chercher quelqu’un en dessous : les Arabes, ou les étrangers. Chez les jeunes diplômés en perte de vitesse, dans leur inconscient absolu, finalement, la désignation d’une France d’en bas, fermée, en ancrage territorial, peut s’analyser exactement dans les mêmes termes que la xénophobie anti-Arabes. Simplement, là ce sont les prolos français qui sont pris pour cible par les déclassés d’en haut. »
Le macronisme serait donc le produit de « l’effondrement moral des classes moyennes françaises », conclut Emmanuel Todd.
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« Macron a inventé l’irrealpolitik, une politique extérieure toute de verbe qui n’a plus aucun rapport avec la réalité du monde, où l’on s’envoie des grandes claques dans le dos », persifle-t-il, fustigeant un « problème d’insuffisance intellectuelle et de manque de formation », « une incompréhension préoccupante par rapport à ce qui se passe dans le monde anglo-américain ».
En effet, Todd estime que « le virage souverainiste, protectionniste et national » ayant démarré aux États-Unis et en Angleterre est inéluctable, et qu’il ne servirait à rien de s’y opposer comme le fait le chef de l’État.
La conclusion est extrêmement sombre, tout comme le ton de la conférence. Le macronisme ? « Un moment d’hallucination collective des classes moyennes qui se sont racontées qu’un type jeune allait tout d’un coup mettre la France en lévitation. »