En déplacement à Erevan, capitale de l’Arménie, où se tient le 17e Sommet de la francophonie, le président de la République a défendu une vision plurielle de la langue française. « Trop institutionnelle » selon lui, il plaide pour sa réinvention.
« L’Arménie, pour la France et toute la francophonie, c’était aussi une voix. Une voix qui vient de s’éteindre et qui plonge nos pays dans la tristesse et le deuil. » Après avoir rendu hommage à Charles Aznavour, Emmanuel Macron a poursuivi sa campagne de défense de la francophonie, lors du Sommet de la francophonie à Erevan, capitale de l’Arménie.
« La langue française n’appartient à aucun d’entre nous mais est la propriété de tous. Elle s’est émancipée de son lien avec la nation française pour accueillir tous les imaginaires », a plaidé le président. En citant les noms de Senghor, de Ionesco ou encore, de Milan Kundera, Emmanuel Macron a affirmé que « notre communauté linguistique est un être vivant qui s’enrichit de nouveaux sens », se faisant le héraut d’une vision plurilinguiste de la défense du français. « Quand je parle de langue française, je parle de nos langues françaises. Son épicentre n’est ni à droite ni à gauche de la Seine. Il est sans doute dans le bassin du fleuve Congo ou quelque part dans la région. » Une déclaration qui se lit dans la droite lignée de son discours énoncé à Ouagadougou, il y a un an.
« La francophonie doit être ce lieu du ressaisissement collectif contemporain » et « un espace de valeurs », a continué le président. En priorité, l’importance de l’éducation. « La population de l’espace francophone est jeune. Lui proposer un avenir par l’éducation, la formation professionnelle, l’emploi, l’engagement dans la cité, la culture, c’est notre défi principal », a-t-il expliqué. « Le premier combat de la francophonie dans les années à venir, c’est particulièrement la jeunesse en Afrique. » Il souligne l’importance du combat à mener « pour déployer notre langue, nos langues, mais aussi le combat contre l’obscurantisme, les mariages forcés, le combat contre l’oppression faite aux femmes, pour l’éducation des jeunes filles. »
« L’avenir de l’Afrique sera féministe. Tout comme en Europe et ailleurs. »
« La Francophonie doit être cet espace qui se bat pour le droit des femmes. La Francophonie doit être féministe », a-t-il affirmé, sous les applaudissements. « L’avenir de l’Afrique sera féministe. Tout comme en Europe et ailleurs. » Emmanuel Macron a rappelé que la francophonie devait être un « lieu de reconquête » et de promotion des droits de l’Homme.
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Francophonie : entretien exclusif avec le président Macron depuis Erevan
À l’issue du XVIIe Sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Erevan en Arménie, Emmanuel Macron a accordé un entretien exclusif à RFI et France 24, vendredi 12 octobre 2018.
Le président français a dressé son bilan de ce Sommet qui a vu la désignation de Louise Mushikiwabo, actuelle ministre rwandaise des Affaires étrangères, au poste de secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Emmanuel Macron a aussi évoqué les grands dossiers de politique internationale : relations franco-rwandaises, affaire Kashoggi, éventuelle implication de l’Iran dans l’attentat déjoué en France... Le chef de l’Etat français répondait aux questions de Christophe Boisbouvier (RFI) et Marc Perelman (France 24).
RFI/France 24 : Monsieur le président, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, vient d’être désignée comme secrétaire générale de la Francophonie. La sortante, Michaëlle Jean, est partie avec fracas. Elle a affirmé : « Une organisation qui ruse avec les valeurs et les principes est déjà une organisation moribonde ». Elle vise évidemment en parlant de « valeurs et de principe », la démocratie et des droits de l’homme parce que le Rwanda n’est en effet pas considéré comme un modèle dans ce domaine-là. Votre réaction ?
Emmanuel Macron : [...] L’épicentre actuel de la Francophonie, c’est l’Afrique. Donc j’ai dit que s’il y avait une candidature africaine qui faisait consensus, la France la soutiendrait. Il se trouve que le Rwanda qui préside cette année l’Union africaine a présenté la candidature de sa ministre des Affaires étrangères. Elle a su construire ce consensus. Elle a acquis le soutien qui a été réaffirmé dans notre huis clos ce matin de tous les États de l’Union africaine. Il était donc normal que l’engagement soit tenu. Et dans ce contexte-là, je pense que c’est beaucoup plus une Francophonie de conquête qu’on a vue durant ce sommet, et qu’on va continuer à voir.
Quand on a un pays comme le Rwanda qui avait pu se détourner du français, revenir, prendre ses responsabilités avec une ministre évidemment francophone, dans un pays dont je rappelle que plus de la moitié de la population parle français, c’est évidemment un projecteur sur notre langue, sur ses valeurs et ce que ça permettra de faire. Qui plus est, porté par une femme qui a porté haut les couleurs de la parité et du combat femme-homme et de son égalité dans son pays avec succès. Là aussi, ils ont des leçons à donner à d’autres. Chacun va apprendre l’un de l’autre. Il n’y a pas en quelque sorte des gens qu’on devrait pointer du doigt. Quand je vois durant ce sommet le président du Ghana s’exprimant en français, et indiquant à la tribune qu’il va rendre obligatoire dans les écoles le français, c’est la Francophonie de conquête. Donc tout cela avance. Il faut sortir de toute aigreur ou de tout fracas parce qu’il n’y en a pas eu. Il y a eu un vrai consensus dans la famille francophone. Et moi, je me réjouis de cette nomination parce qu’elle correspond au visage de la Francophonie d’aujourd’hui.
- Louise Mushikiwabo, ministre des AE de l’antifrançais Kagame, élevée au rang de numéro un de la Francophonie...
Simplement monsieur le président, le Rwanda n’est pas un modèle de démocratie et de droits de l’homme. Il y a des prisonniers politiques, il y a des disparus politiques. Alors en mettant le Rwanda, – une grande personnalité rwandaise –, à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie, est-ce qu’on ne met pas celle-ci en complète contradiction avec la charte de l’OIF qui promeut les valeurs justement de démocratie, de liberté et de droits de l’homme ?
Je fais le pari que ce sera le contraire. Je pense d’abord que la famille francophone doit garder une homogénéité. On l’a aujourd’hui, je ne fais pas partie de celles et ceux qui pensent qu’il faut s’étendre à l’infini ou faire semblant, ou faire des mauvais compromis sur les sujets des droits de l’homme. Par contre, je suis convaincu que par une exigence de tous, par une pression des pairs, ce qu’on a fait sur plusieurs cas très concrets ces derniers mois, on peut obtenir des résultats. Et je crois que le visage que le Rwanda est en train de montrer, c’est celui aussi d’un changement et d’une transformation.
[...]
La deuxième chose, c’est que le combat de la Francophonie, c’est un combat pour le plurilinguisme. Je l’ai dit : le français n’est pas toujours la première langue mais dans beaucoup de pays, c’est la première langue étrangère ou la première langue enseignée ensuite à l’école. Et moi, je pense que le modèle du français, ça n’est pas d’être une langue dominante. C’est d’être une langue de référence, de passage en quelque sorte. Et à cet égard, c’est pour cela que j’ai lancé ces initiatives de grand dictionnaire des francophonies, mais aussi de dictionnaires entre le français et plusieurs langues de l’Afrique. [...]
Vous parliez des blessures de l’histoire. Il y a cette relation franco-rwandaise si difficile, si douloureuse. Est-ce que des gestes pourraient être faits : par exemple la nomination d’un ambassadeur français au Rwanda – il n’y en a plus depuis quelques années-, une visite à Kigali – on va commémorer le 25e anniversaire du génocide au mois d’avril. Très concrètement ?
Très concrètement, je crois dans l’action, plus que dans les gestes en l’espèce. [...]
Puis quatrième élément très concret auquel je crois beaucoup, c’est l’initiative pour les opérations de maintien de la paix, c’est quelque chose que nous avons préparé avec le président Kagame, et que j’ai soutenu à New York il y a quelques semaines. C’est l’idée de dire que les Nations unies changent d’approche dans les opérations de maintien de la paix en Afrique et travaillent beaucoup plus avec des opérations africaines en lien avec l’Union africaine. C’est ce que nous voulons développer dans le Sahel, dans la région du lac Tchad, et dans plusieurs autres endroits où cela s’impose. [...]
En Turquie, le journaliste saoudien, Jamal Khashoggi, a disparu le 2 octobre dernier à l’intérieur du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. D’après les autorités turques, il aurait été tué sur ordre du pouvoir saoudien. On ne vous a pas encore entendu sur cette affaire. D’un côté, la France convoque l’ambassadeur du Venezuela à Paris, de l’autre pour l’instant, il n’y a pas de réaction sur cette affaire ?
Le Quai d’Orsay s’est exprimé. C’est ce qu’il convient et c’est bien évidemment au ministre de le faire parce que je n’avais pas pris la parole, et je n’ai pas pour habitude de prendre la parole de manière solennelle sur des situations comme celle-ci. On peut faire des convocations et en l’espèce, le ministère des Affaires étrangères s’est exprimé clairement. Les faits que vous évoquez sont des faits graves, très graves. Et donc aujourd’hui, j’attends que les vérités et la clarté complète soient établies, mais la France souhaite instamment que tout soit mis en œuvre pour que nous ayons toute la vérité sur cette affaire dont aujourd’hui, les premiers éléments sont pour moi extrêmement inquiétants et de nature profondément grave.
Est-ce que vous en avez parlé avec le prince héritier ?
Non, pas encore. Je n’ai eu de discussion ni avec le président turc, ni avec le prince héritier saoudien, ni avec le roi d’Arabie saoudite sur ce sujet. Je ne manquerai pas de l’avoir dans les prochains jours.
Je voulais aussi vous demander à propos de l’Arabie saoudite parce que c’est vrai que c’est un gros client, notamment en ce qui concerne les armements...
Je vous arrête sur ce sujet. Je n’ai d’abord jamais installé la diplomatie en fonction de critères commerciaux. Pour moi, il y a une chose extrêmement simple dans la grammaire de la diplomatie française, c’est que le politique prime sur l’économique. Donc jamais des intérêts de telle ou telle entreprise n’ont primé sur la voix de la France et ce qui était nos intérêts stratégiques. Deuxième chose et c’est pour cela que je vous interrompais, il est faux de dire que l’Arabie saoudite est un grand client aujourd’hui de la France dans quelque domaine que ce soit. Ça n’est pas le cas.
Il y a quand même une polémique notamment à cause de la guerre au Yémen, l’ONU affirme que la coalition dirigée par les Saoudiens commet des crimes très graves. L’Occident continue de lui vendre des armes. On se demande si ces pays, dont la France, ne perdent pas leur âme en faisant cela ?
Non, justement parce que la France a une politique extrêmement rigoureuse en la matière avec une commission interministérielle de contrôle des armements, qui est présidée par le Premier ministre. La fameuse CIEEMG [Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre ; NDLR] comme on l’appelle techniquement et qui est justement très scrupuleuse sur ce point. J’ai pu d’ailleurs moi-même recevoir il y a quelques semaines les organisations non gouvernementales et échanger à ce sujet. Nous ne faisons pas partie des fournisseurs sur ces matières-là, de l’Arabie saoudite sur justement sur ce conflit. Qui plus est, c’est une discussion là aussi politique sur le conflit que nous aurons. Maintenant, il faut être clair, nous avons avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis un partenariat de confiance dans la région qui est important, qui n’est pas commercial, qui est stratégique. Et je le dirais qu’il est plus encore avec les Émirats arabes unis. Nous avons comme vous le savez une présence militaire importante. Ce n’est pas des intérêts commerciaux, c’est l’État français en tant qu’État souverain parce que nous partageons des intérêts communs dans la région parce que la stabilité de la région nous importe, parce que la lutte contre le terrorisme se fait aussi avec ces États.
[...]
Il y a deux semaines votre gouvernement a porté une grave accusation contre l’État iranien. Il l’a accusé d’avoir préparé un attentat à Villepinte, sur le sol français contre des opposants iraniens. Heureusement cet attentat a été déjoué. Vous ne vous êtes pas encore exprimé sur ce sujet très sensible ? Est-ce que vous êtes gêné de dire du mal d’un pays qui est déjà dans le collimateur des États-Unis ?
Non pas du tout puisque j’ai déjà eu l’occasion d’échanger très directement avec le président Rohani à deux reprises sur ce sujet. Il y a eu en effet une planification d’attentat fait justement par un certain service. Aujourd’hui j’ai demandé toutes les explications au président iranien. Comme vous le savez, l’Iran est parfois divisé entre plusieurs courants, plusieurs tensions donc je ne sais pas aujourd’hui vous dire si la volonté première venait d’en haut ou si elle a été mue par tel ou tel service ou telle division.
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Est-ce que cela ne participe pas du raisonnement de Donald Trump qui dit qu’il est très difficile de traiter avec ce pays et qui a dénoncé l’accord nucléaire. Est-ce que finalement Donald Trump n’a pas raison de durcir le ton face à l’Iran ?
Premièrement, c’est difficile. Ça nous n’avons jamais dit le contraire. Deuxièmement, aller plus loin, et enserrer l’Iran dans une politique plus exigeante, c’est ce que vous m’entendez dire depuis le début de mon mandat. J’avais, il y a un peu plus d’un an, devant les ambassadeurs, puis à l’Assemblée générale des Nations unies indiqué que pour moi la stratégie avec l’Iran portait en dans 4 points : le maintien du traité nucléaire, la capacité à encadrer l’activité nucléaire iranienne au-delà de 2025, l’encadrement de son activité balistique et la capacité à cantonner dans la région, l’influence iranienne.
Donc je n’ai jamais été naïf avec l’Iran. Et je n’ai jamais considéré que c’était facile. Le désaccord que nous avons de méthode ou de chemin avec les États-Unis, c’est que, dans un tel contexte, je pense qu’on ne se protège pas ou qu’on n’évite pas, au mieux de nouveaux écarts, en dénonçant le JCPoA [Accord de Vienne sur le nucléaire iranien ; NDLR]. Pourquoi ? Parce que le jour ou l’Iran sort de l’accord nucléaire, on n’a plus aucun regard sur leur activité nucléaire.
Vous le craignez ?
On fait tout pour qu’ils n’en sortent pas. Mais les éléments qui ont été révélés par Israël étaient des éléments qui préexistaient à cet accord nucléaire et qui montraient combien, justement, l’Iran avait avancé. Un, je pense que ce n’est pas efficace de sortir de l’accord nucléaire de 2015, deux, je pense qu’il y a un risque d’embrasement de la région si on va dans une telle extrémité ; et trois, je pense qu’il est beaucoup plus efficace de durcir le ton sur tous les autres sujets. Voilà donc, ça va dans le sens d’une absence de naïveté à l’égard de l’Iran, ce qui a été planifié et que nous avons déjoué, mais la France n’a jamais été naïve.