« Quand les impérialistes nous attaqueront,
nous saurons à qui demander de l’aide. » (Mao, 1950)
« La Russie et la Chine se déclarent préoccupées par l’intensification des activités des États-Unis visant à créer un système mondial de défense antimissile et à déployer ses éléments dans diverses régions du monde, combiné à un renforcement de la capacité d’armes non nucléaires de haute précision. » (Xi et Poutine, 2023)
Après 30 ans de guerre civile contre les forces de Tchang Kaï-chek, hormis la parenthèse de la Seconde Guerre mondiale (le nationaliste a été soutenu à la fin par Staline !), Mao Zedong devient en 1949 le nouveau dirigeant – d’aucuns diront l’empereur – de la Chine, devenue république populaire de Chine (RPC). Il a perdu 90 % de ses hommes entre la longue marche, les combats avec les nationalistes et les purges internes au Parti, mais il règne sur le pays le plus peuplé du monde (400 millions d’habitants), ce qui n’est pas anodin.
La Chine, exsangue, sort aussi de 8 ans de guerre avec le Japon (1937-1945) et un bon siècle d’occupation plus ou moins directe par les forces impérialistes (USA, GB, France et même Russie). Le géant chinois va se relever lentement, s’ébrouer, faire tomber ses vieux poils et les parasites qui y logeaient. Pour cela, Mao a besoin de l’appui économique et militaire de Staline, qui dirige encore l’URSS pour trois ans.
Depuis les années 20, les cadres du PCC (Parti communiste chinois) sont envoyés en formation à Moscou, qui tient ainsi la révolution chinoise entre ses mains. Mais une fois que les cadres politiques et militaires auront été formés, ils tourneront le dos, sur ordre de Mao, au grand frère soviétique : la révolution chinoise est une révolution paysanne, pas ouvrière, car la Chine de 1950 n’est pas la Russie de 1917.
De manière très opportuniste, les dirigeants chinois vont piquer aux Soviétiques ce qui leur convient et structurer le pouvoir à leur façon. Le schisme aura lieu à la fin des années 50, et durera jusqu’au début des années 80. La chute de l’URSS en 1989 laissera à la Chine le leadership du mouvement communiste international.
Entretemps, les Chinois auront tout fait pour remplacer l’URSS dans l’appui des mouvements révolutionnaires du monde entier, que ce soit en Amérique du Sud, en Asie ou en Afrique. Deng Xiaoping sifflera la fin du rêve d’exportation de la révolution dans le monde entier, qui avait aussi bercé les bolcheviques dans les années 30, avant que Staline ne les purge et revienne à la révolution dans un seul pays, ce qui était plus pragmatique.
Il y a mille autres raisons au contentieux sino-soviétique, Khrouchtchev refusant par exemple de refiler l’arme nucléaire à la Chine, la guerre sino-indienne de 1963 où l’URSS soutient l’Inde, sans oublier la politique de rapprochement américano-soviétique des années 70 qui fera des deux Grands des ennemis quasi déclarés de la révolution chinoise, USA et URSS étant taxés de pays impérialistes.
L’impérialisme chinois, une fois le pays stabilisé politiquement et la croissance revenue dans les années 2000, prendra une forme moins militaire, plus économique, fondée sur des partenariats et pas des bombardements ou des déstabilisations politiques à l’américaine.
Nous sommes donc le 14 février 1950 (pour les amateurs de dates), Staline et Mao se rencontrent et scellent un pacte d’assistance mutuelle, jugé défavorable aux Chinois, mais l’isolement diplomatique de la jeune Chine ne lui laisse pas le choix. À cette occasion, au côté de Staline, Mao déclare :
« Nous avons renversé les réactionnaires de Tchang Kaï-chek. Ils coopéraient avec les réactionnaires étrangers [là on imagine Staline ravaler sa salive puisqu’il a soutenu le leader nationaliste pendant la guerre ! NDLR] et nous les avons chassés du pays. Mais il reste des réactionnaires : les impérialistes étrangers. Nous avons donc besoin d’un ami. Ce traité officialise l’amitié entre l’Union soviétique et la Chine et établit une alliance. Quand les impérialistes nous attaqueront, nous saurons à qui demander de l’aide. »
Justement, la guerre de Corée de 1950-1953 voit rapidement s’appliquer cette alliance dans le domaine militaire : la Chine fournira la main d’œuvre (270 000 soldats en 1950, plus 700 000 en 1951) et les Soviétiques le matériel (par exemple les avions MiG-15 qui surclasseront la flotte américaine). Mais les choses tourneront vinaigre entre les deux soutiens de la Corée du Nord, les Soviétiques employant leurs armes modernes avec parcimonie, alors que les Chinois perdront énormément d’hommes.
Une image restera, 5 ans seulement après la fin du second conflit mondial : celles de T-34 soviétiques détruits par la chasse de l’US Air Force... Cette guerre USA-URSS qui n’avait pas eu lieu sur le sol européen en 1945 aura lieu par proxys sur le sol asiatique 5 ans plus tard. Mais on frôlera aussi la guerre totale entre la Chine et les USA, le général MacArthur voulant utiliser l’arsenal nucléaire sur la Mandchourie : le président Harry Truman l’en dissuadera. De plus, l’implication énorme de l’appareil militaire US en Corée (les Américains ont sauvé la Corée du Sud, qui en 1950 était envahie à 100 % par les troupes de l’APC) constituait un point de fixation des forces impérialistes qui laissait le champ libre à Staline en Europe...
Les Chinois perdront – officiellement – 200 000 hommes en Corée (officieusement, un million de tués et blessés), l’armée y laissant une partie de son énergie. Staline en sera presque le seul gagnant, ayant affaibli et l’ennemi américain et le rival chinois. Mais un gagnant de courte durée : sa disparition en 1953 permettra un assouplissement des relations est-ouest.
En 2023, 70 ans plus tard, une nouvelle alliance est clairement scellée entre la Chine et la Russie. L’histoire se répétant, l’ennemi est toujours l’Amérique, et la pression s’accroit sur Taïwan, alors que les Corées réarment, si l’on peut dire, puisque la Corée du Nord a toujours montré les dents, le géant chinois derrière, à l’ennemi américain. Les belligérants de la Seconde Guerre mondiale suivie de la guerre de Corée – on peut même parler d’un épisode 1939-1953 – sont toujours là. À ceci près que les principales puissances de l’Axe, l’Allemagne et le Japon, réduites à des vassaux, sont à ranger dans le camp américain.
On pourrait croire que le monde dit libre est en guerre plus ou moins larvée contre le monde non libre, mais l’éloignement du tiers-monde au sens noble de la sphère d’influence américaine change la donne : l’Inde (même si Modi se fait draguer par Biden), l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Arabie, la Turquie, bientôt l’Algérie et l’Iran, veulent tirer les marrons du feu de la nouvelle confrontation est/ouest, qui n’est pas si nouvelle, en vérité.