"La façon dont nous jugeons les Arabes est, en réalité, aussi inexacte que celle dont ils jugent les Européens. Il y a parmi eux des types aussi différents que ceux que nous pouvons observer en Europe. Par suite des milieux variés qu’ils ont rencontrés et des peuples divers avec lesquels ils se sont mélangés, les Arabes ont fini par former des mélanges très complexes. C’est ainsi, par exemple, que les Arabes qui habitent aujourd’hui la Mecque, et qui formaient autrefois une des races les plus pures, sont un produit du mélange de tous les peuples divers qui, de l’Atlantique à l’Indus, viennent annuellement en pèlerinage dans cette ville depuis Mahomet. Il en a été de même en Afrique et en Syrie : Phéniciens, Berbères, Turcs, Chaldéens, Turcomans, Persans, Grecs et Romains, se sont plus ou moins mélangés avec les Arabes. Même dans les parties les plus centrales et les plus isolées de l’Arabie, comme le Nedjed, il s’en faut que la race soit pure. Depuis des siècles, l’élément noir s’y trouve mélangé dans de grandes proportions. Tous les voyageurs qui ont visité l’intérieur de l’Arabie ont été frappés de cette influence des nègres dans la péninsule. Rotta cite une région de l’Yémen où la population est devenue presque noire, alors que dans les montagnes, la même population, peu mélangée, est restée blanche. Parlant de la famille d’un des cheiks de la contrée, il dit que parmi ses enfants « il y en avait de toutes les teintes, depuis le noir jusqu’au blanc, suivant la race de leurs mères. » Wallin a observé dans le Djôf des tribus entières d’esclaves noirs. Les nègres sont aussi très communs dans le Nedjed, où, ainsi que dans tout le reste de l’Arabie, aucun préjugé de couleur n’existe et n’empêche pas par conséquent les croisements. Palgrave raconte que Katif, ville importante du Nedjed, était à l’époque de son voyage gouvernée par un nègre. « J’ai vu, à Riadh, dit-il, plusieurs fils de mulâtres qui portaient fièrement l’épée à poignée d’argent, et comptaient parmi leurs serviteurs des Arabes de sang ismaélite ou kahtanite le plus pur. »" (Gustave Le Bon (1884), La civilisation des Arabes : livres I et II.)