Tous ceux qui sont passés par l’école primaire en France le savent : les sorties scolaires sont souvent pénibles. Pour les instituteurs comme pour les élèves. On va visiter un musée dont le contenu n’intéresse personne ou assister à une pièce de Racine qui équivaut, parce que les enfants n’ont pas les outils, à une véritable purge, à un vaccin contre le théâtre.
11 ans, ce n’est pas l’âge où l’on aime se cultiver, où l’on a les moyens intellectuels de saisir la diversité et la profondeur de la culture française. D’ailleurs, les profs eux-mêmes sont rarement des foudres de culture. Un jour, un sondage a montré qu’une majorité de profs achetait les livres de BHL... Si c’est pas truqué, c’est inquiétant !
À 11 ans, on a envie de s’éclater en forêt, en montagne, dans un sport de plein air, de voir des loups, des tigres, des animaux dangereux, pas des biches et des faons (sauf pour les filles). La culture, la vraie, ne se découvre que beaucoup plus tard généralement. Seul l’effet inverse est obtenu : pour la plupart des élèves, la culture est « un truc chiant », sans intérêt, sans aucun rapport avec la vie.
Il faudra pas mal d’années et des circonstances favorables pour que des élèves découvrent un jour la vraie culture, la bonne culture, celle qui excite l’esprit et enrichit à grande vitesse.
Par exemple, pour ne prendre que celui-là, le Voyage de Céline pourrait être donné à lire en 3e. Ou Vipère au poing à des plus jeunes. Bêtes, hommes et dieux sur la Révolution russe (au programme du lycée), Sans Patrie ni frontières sur l’entre-deux guerres à des lycéens plus costauds, des bouquins qui vont tous arracher la tête des mômes et qui vont leur donner le goût irrépressible de la lecture. Ces livres existent, mais ils ne sont pas donnés aux enfants.
À la place, ils doivent se taper le style lamentable et le contenu inepte d’une Delphine de Vigan, un sommet de bien-pensance qui ferait passer Yann Moix pour un nazi. Ceux qui ont jeté un œil dans ses livres, qui se vendent du coup à des millions d’exemplaires au public captif de l’Éducation nationale, savent de quoi nous parlons. C’est bien la direction des programmes, dirigée par des Alain Geismar et consorts, qui est responsable de ce pourrissage d’âme et de l’éradication de la culture française. On refile la merde et on cache le meilleur.
Nous n’aurons jamais de mots assez durs pour ces abrutis ou ces salauds – au choix – qui sont à l’origine de la déculturation générale et du rabaissement programmé du niveau de nos enfants. Ensuite, visiter un Apple Store ou forcer à lire un « Delphine de Vigan », c’est du pareil au même, l’intention de nuire est équivalente.
Sur son site, voilà ce que propose la marque dans ses 20 magasins français : des sorties de classe gratuites, dès 5 ans, à l’initiative des écoles. La promesse ? Offrir aux élèves « des vitamines pour la créativité », pour « une journée qu’ils n’oublieront jamais ».
Intrigués, nous avons demandé à filmer l’une de ces sorties : Apple a refusé. Nous décidons donc de nous y rendre en caméra cachée, en nous faisant passer pour un enseignant intéressé par la démarche.
Ce jour-là, en région parisienne, nous suivons une classe de CM2 d’une école publique. Et à peine arrivés : haie d’honneur des employés, applaudissements, musique à fond… Les élèves sont accueillis exactement comme des clients pour l’ouverture d’un nouveau magasin.
Dès le début, les enfants reçoivent un cadeau : un t-shirt jaune, orné du logo de la marque. « Je croyais qu’on n’avait pas le droit au placement de produits à l’école ? », s’étonne spontanément un élève.
Un cours encadré par des formateurs… et par des vendeurs
Pendant deux heures, la classe suit une initiation au codage informatique, sur des tablettes de la marque. Du matériel disponible en quantité, des encadrants nombreux : c’est ce qui a séduit l’institutrice. « Il y a quatre formateurs, ils sont professionnels, ils connaissent chaque petite chose, ils peuvent vraiment aider », plaide l’enseignante, qui a prévu en tout cinq sorties Apple pour sa classe.
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L’effet « Waouh »
Nous avons montré ces images à Franck Lalieux. Il travaille pour l’enseigne et il a déjà encadré l’une de ces sorties de classe. Il affirme reconnaître là une technique qui, en interne, a un nom.
« On appelle ça l’effet Waouh chez Apple. C’est l’idée d’émerveiller le client tout de suite sur un produit de la marque, explique ce délégué CGT chez Apple Retail. C’est cet effet qui pousse la personne à acheter. »
Et, à écouter les vendeurs, ça marche. « Il arrive parfois que les élèves reviennent avec leurs parents, confie l’un d’eux. Les enfants aiment bien les accessoires qu’on leur a fait découvrir. Ils sont contents d’avoir ça à la maison. »
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Une sortie de classe dans une vitrine commerciale ? Nous avons contacté le directeur de l’école.
« Une sortie sur le codage, ça rentre dans les programmes, donc je l’autorise, justifie-t-il. Le fait que ça se passe dans un Apple Store m’a un peu posé question, c’est du privé, y a un côté publicité. Mais les élèves ne repartent pas avec des flyers non plus ! »
Avec des flyers, non, mais, en plus des t-shirts, le magasin offre aux enfants une clé USB en forme de bracelet… siglé de la marque, évidemment.