Yang travaille à la chaîne pour une usine de la région de Shenzhen, en Chine. Il fait partie des centaines de milliers de jeunes Chinois qui travaillent douze heures par jour pour la Silicon Valley, et dont l’existence montre le revers brutal et féroce de la prétendue économie dématérialisée.
Un petit livre paru aux militantes éditions Agone donne la parole à trois d’entre eux. Leur témoignage exprime la dure réalité du travail chez le taïwanais FoxConn, plus gros constructeur mondial de matériel informatique, qui travaille notamment pour Apple, Amazon, Nokia, Google, Microsoft, Sony, etc.
Il faut le lire pour se rappeler du coût réel de nos smartphones.
Épuisement, brimades et solitude
Yang, Tian Yu et Xu Lizhi ont un profil similaire.
Ils ont entre 16 et 25 ans, ils ont grandi dans les campagnes misérables, élevés par leurs grands-parents tandis que leurs parents travaillaient en ville. Internet leur a donné accès aux images de la société de consommation et les a fait rêver à une vie urbaine « pleine de richesse et de merveilles », comme dit Tian Yu, une jeune fille de 17 ans.
Dès qu’ils peuvent, ils prennent le train ou le bus et partent s’embaucher dans les grandes usines. Ils y découvrent épuisement, brimades et solitude. Certains en meurent, tous sont brisés.
« Dictateur pour le bien commun »
Car à FoxConn, les conditions de travail sont draconiennes. Le PDG, Terry Gou, est un ancien militaire réputé pour son « cost-cutting ». Il dit :
« Un dirigeant doit avoir le courage d’être un dictateur pour le bien commun. »
D’ailleurs, son rêve, et il n’en fait pas mystère, est de remplacer ses ouvriers par des robots.
Tian Yu, numéro F9347140
Ce que racontent ces ouvriers, c’est bien l’expérience d’une déshumanisation ; un travail où leur humanité basique est niée et où l’aliénation à la machine et aux impératifs de productivité est totale.
Yu raconte son embauche, à peine débarquée de sa campagne :
« Au centre de recrutement de FoxConn, j’ai fait la queue toute la matinée, rempli le formulaire de candidature, pressé le bout de mes doigts contre le lecteur électronique, scanné ma carte d’identité et terminé l’examen médical par une prise de sang. Le 8 février 2011, j’étais embauchée comme ouvrière à la chaîne. FoxConn m’a attribué le numéro F9347140. »
« Good, very good ! ! ! »
Dans son usine, la chaîne de montage fonctionne jour et nuit. Les journées de travail durent douze heures, les cadences sont infernales. Chaque geste est chronométré à la seconde près, les pauses sont restreintes et les humiliations publiques, fréquentes. Isolés, exténués, les ouvriers souffrent de solitude et de dépression.
Pourtant, chaque matin, les managers crient à leurs employés : « How are you ? ? ? » Les ouvriers sont obligés de répondre : « Good, very good ! ! ! »
Pendant leurs sessions de formation, on leur raconte les hagiographies de Bill Gates ou Steve Jobs. Eux ne peuvent même pas se payer l’iPhone qu’ils ont assemblé, raconte Yu :
« Quand on travaille douze heures par jour avec un seul jour de congé toutes les deux semaines, on n’a pas de temps libre pour utiliser les piscines, ou pour faire du lèche-vitrine dans les boutiques de smartphones qu’on voit dans les centres commerciaux du complexe. »
Le reportage d’Envoyé spécial sur Foxconn en décembre 2012 :
Le poète-travailleur suicidé
Certains craquent et tentent de se tuer. C’est le cas de Yu, qui a sauté du quatrième étage après seulement 37 jours de travail. Elle a survécu.
Mais pas Xu Lizhi, le dernier et le plus poignant de ceux qu’on entend dans ce livre. Xu Lizhi avait 24 ans, il adorait les livres et rêvait d’être bibliothécaire. Il décrit dans des poèmes saisissants la vie à FoxConn :
« J’ai avalé une lune de fer
Qu’ils appellent une vis
J’ai avalé ces rejets industriels, ces papiers à remplir pour le chômage
Les jeunes courbés sur des machines meurent prématurément
J’ai avalé la précipitation et la dèche
Avalé les passages piétons aériens,
Avalé la vie couverte de rouille
Je ne peux plus avaler.
Tout ce que j’ai avalé s’est mis à jaillir de ma gorge comme un torrent
Et déferle sur la terre de mes ancêtres
En un poème infâme. »
Le 30 septembre 2014, Xu Lizhi s’est suicidé.