Le plus frappant, dans le coup d’État raté en Turquie, c’est la réponse du peuple. Les comploteurs avaient suivi la procédure classique : s’emparer de la station émettrice, envoyer un commando tuer le président, stationner des troupes en divers points cruciaux, sortir les tanks. Ils avaient tout calculé, sauf la réponse populaire. Dès que le président a survécu à l’attentat il a lancé un message de son téléphone portable à la nation, invitant la population à sortir dans les rues et à décider de son avenir par elle-même.
D’abord, des milliers, puis des dizaines de milliers, et même des centaines de milliers de gens ordinaires, hommes et femmes, ont défié l’armée, se sont emparés des rues et des places, en écho à l’appel de leur président rescapé. Ils l’avaient élu il y a juste quelques mois, et ils n’allaient pas laisser l’armée leur voler leur vote. Ce soulèvement massif pour soutenir le gouvernement a brisé la volonté des conjurés. L’histoire vient de se faire, en Turquie, par l’action directe du peuple.
Stupéfaits par le ratage épique du putsch, les ennemis d’Erdogan ont alors concocté une histoire en termes « d’hoax », de supercherie, du pur conspirationnisme. Dans le pro-sioniste Al Monitor, un expert turc posait la question, sous forme d’accusation : « Pourquoi est-ce que les putschistes, sachant qu’Erdogan ne se trouvait ni à Ankara ni à Istanbul mais passait des vacances sur la Méditerranée, à Marmaris, ne se sont pas déplacés pour l’arrêter ? » Mais nous avons justement une vidéo des soldats armés glissant sur des cordes depuis leurs hélicoptères et prenant d’assaut l’hôtel où résidait le président, quelques trente minutes après qu’il l’eut quitté. Les conjurés s’étaient bien déplacés, mais pas assez vite. De toutes façons, le peuple n’avait pas de raison de penser que le coup était bidon sur le moment. Ils étaient devant un choix ardu : sortir dans les rues pour soutenir le président, ou se terrer chez eux. Et ils sont sortis soutenir Erdogan. Voilà la meilleure façon de voter, la démocratie immédiate, et c’est Erdogan qui a remporté cette élection.
Malgré les dénégations de Kerry, tout le monde pointe Washington et Tel Aviv, et peut-être bien Bruxelles aussi. L’état-major turc est connu depuis longtemps pour ses sympathies pro-OTAN, pro-US et pro-Israël. Le général commandant le putsch, commandant de l’armée de l’air, Akin Ozturk, a été attaché militaire à Tel Aviv. Bekir Ercan Van, le commandant de la base aérienne de Incirlik a été arrêté après s’être vu refuser l’asile politique aux US. S’ils avaient réussi, ils auraient été applaudis et fêtés en Occident. Et oui, c’était bien un coup d’État, et c’est un ratage.
L’homme derrière le putsch est réputé être Fethullah Güllen, jadis allié d’Erdogan, mais maintenant son ennemi acharné. On prétend que son organisation Hizmet (le Service) constitue un « État profond », ou un « État parallèle » en Turquie et au-delà, avec des millions de partisans à tous les niveaux, quelque chose de semblable aux francs-maçons de jadis. L’ancien officier du FBI Sibel Edmonds, lanceur d’alerte, a décrit le réseau de Gülen comme une création de la CIA.
Les Russes se sont débarrassés de Gülen en interdisant les activités de Hizmet en Russie depuis 2008. Le pilote du F-16 turc qui a failli changer l’histoire du Proche-Orient en abattant le bombardier russe SU-24 au-dessus de la Syrie le 24 novembre 2015 (et qui s’appelait Mustapha Hajruoglu, ont affirmé ses concitoyens bosniaques) s’est avéré être un homme de main de Gülen et un putschsite, a dit le maire d’Ankara Melih Gökcek. Son hélicoptère a été abattu à Ankara. Ce n’est pas un exemple d’improvisation : en mars 2016, le journal pro-gouvernemental Sabah a suggéré que le pilote du F-16 était un partisan de Gülen et avait agi selon ses instructions. Que Gülen ait été hostile à la Russie pour des raisons personnelles ou qu’il ait obéi à des ordres de la CIA, il a réussi à créer l’inimitié entre Poutine et Erdogan.
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Quelques images de caméras de sécurité montreraient l’assaut des hélicoptères et des tentatives de riposte :