Les routes nationales pourront-elles êtres privatisées ? Aussitôt après la fuite du rapport remis au gouvernement (par l’Inspection générale des finances), début avril 2019, la radio macroniste RMC sous la voix de Jean-Jacques Bourdin crie à la rumeur, à la fake news :
« Les routes nationales bientôt privatisées en France...Mais c’est une rumeur, une fausse rumeur, une fausse information, encore une, encore une fausse information ! »
Pas de chance, monsieur Bourdin, la chose est désormais quasi-officielle. Le progressisme néolibéral avance toujours à petits pas, sans bruit, pour ne pas réveiller – pendant qu’il lui fait les poches – le peuple de France... Mais parfois, le progressisme marche sur une brindille et ça réveille ceux qui ne dormaient que d’un œil. C’est l’histoire des Gilets jaunes.
Mais l’article de BFM TV du 3 avril 2019 persiste et signe :
« Cette fake news, largement partagée notamment dans des groupes Facebook est partie d’une note interne de l’association des sociétés françaises d’autoroutes. Rédigée en 2014, elle a été dévoilée ces derniers jours par la cellule d’investigation de Radio France dans un article intitulé "Routes nationales : vers une privatisation ?" »
On a donc retrouvé la source, un gros sujet de la cellule investigation de Radio France (écoutable en bas de l’article). Face à cela, les dénégations de la courroie de transmission de l’Élysée, à savoir la colonne vertébrale de propagande RMC-BFM, ne tient pas la route.
Ce sont donc les deux amendements des députés LREM qui ont dévoilé la cachotterie gouvernementale. Le site de vérification de l’info de Libération, CheckNews, a repris le dossier.
« Après la révélation par Le Monde, en novembre 2018, de l’existence d’un rapport (pas encore dévoilé) préconisant de confier 200 à 300 kilomètres de voies publiques aux sociétés d’autoroutes, la crainte d’une “privatisation” des routes nationales en France est revenue dans l’actualité avec l’adoption, le week-end dernier, de deux amendements du député LREM Joël Giraud à la loi LOM (loi d’orientation sur les mobilités). »
Il n’y a plus lieu de mettre des guillemets à privatisation, c’est pré-acté dans la loi désormais, avec évidemment quelques précautions de base pour éviter que le grand public ne comprenne l’entourloupe. Le jargon, ça sert à faire passer les pilules amères.
Comment l’habile législateur s’y est-il pris pour transformer l’autorisation de privatiser une autoroute en autorisation de privatiser une nationale ? C’est tout simple : il suffit de modifier la notion d’autoroute ! Il est pas beau, le parlementarisme démocratique ?
CheckNew précise :
« Un premier amendement vient ainsi compléter le code de la voirie publique, en disposant que “les autoroutes peuvent comporter des sections à gabarit routier, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État et tenant compte notamment de contraintes topographiques”. Il ajoute également, après un paragraphe de l’article L122-4 consacré à l’intégration d’ouvrages ou d’aménagements, non prévus au cahier des charges, dans l’assiette de la délégation, la phrase suivante : “Ces ouvrages ou ces aménagements peuvent porter sur des sections à gabarit routier ayant pour effet de fluidifier l’accès au réseau autoroutier”.
Le second amendement est un ajout au texte initial du projet de loi. La phrase “l’État ne renonce pas […] aux projets de grandes liaisons ferroviaires interurbaines […] et aux projets de compléments ponctuels du maillage autoroutier” a été complétée par les mots suivants : “le cas échéant en faisant porter par une délégation de service public autoroutier existante la création ou l’aménagement d’infrastructures à gabarit routier ayant pour effet de faciliter, sécuriser ou fluidifier l’accès à une autoroute ou aux itinéraires qui la prolongent”. »
Il suffira donc de considérer qu’une nationale est le prolongement d’une autoroute servant à la désengorger pour en faire légalement une autoroute. Cette dernière peut donc avoir un « gabarit routier », surtout si elle passe dans des endroits biscornus, comme le dit plus joliment l’amendement :
« La norme obligatoire d’une autoroute 2x2 voies séparées avec bandes d’arrêts d’urgence est modifiée. Dès lors que les conditions économiques, environnementales ou géomorphologiques le justifieront, une autoroute pourra avoir un gabarit routier. Tel est déjà le cas dans les zones de montagne de tous les pays d’Europe, notamment la Suisse, l’Autriche et l’Italie mais demeurait impossible en France sauf à légiférer autoroute par autoroute, comme cela a été le cas de l’A43 entre Saint-Michel-de-Maurienne et le Tunnel du Fréjus. »
C’est la fin théorique de la distinction entre les deux voies qui sillonnent la France, les autoroutes et les nationales :
« Cette modification a son importance. Car jusqu’ici, le droit prévoyait deux types de voies nationales : les routes nationales en tant que telles, gratuites et mises en œuvre par l’État, et les autoroutes, qui peuvent être construites par des prestataires privés dans le cadre d’une concession et faire l’objet d’un péage. En intégrant comme « autoroute » des voies à « gabarit routier » (2x1 voie, limitée à 80 km, selon Giraud), l’amendement rend donc possible leur intégration dans la concession. Alors que jusqu’à maintenant, cette possibilité nécessitait, au cas par cas, un texte législatif. »
Voici l’enquête de Radio France :