Des amendements au projet de loi d’orientation des mobilités, actuellement en débat au Parlement, pourraient autoriser l’État à privatiser des dizaines, voire des centaines de kilomètres de routes nationales, sans mise en concurrence.
La voie devrait être bientôt libre pour permettre aux trois principaux concessionnaires d’autoroutes françaises Vinci autoroutes, Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et Sanef, d’étendre leur périmètre géographique à la gestion de certaines portions de routes nationales situées à proximité directe des autoroutes. Des amendements au texte de la loi d’orientation des mobilités, discuté depuis cette semaine à l’Assemblée nationale, doivent en effet autoriser l’État à faire entrer des dizaines, voire quelques centaines, de kilomètres de routes nationales dans le réseau privatisé, le tout sans mise en concurrence.
Ces amendements ont été proposés par Joël Giraud et Anne-Laure Cattelot, tous deux issus des rangs de La République en marche (LREM). Ils traduisent l’une des propositions très sensibles du rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et de l’Inspection générale des finances (IGF), à qui le ministère des Transports et Bercy avaient demandé en 2018 de travailler sur cette question.
Il ne s’agit pas de créer des péages sur des tronçons de routes nationale, mais selon un des amendements, de « [faire] porter par une délégation de service public autoroutier existante la création ou l’aménagement d’infrastructures à gabarit routier ayant pour effet de faciliter, sécuriser ou fluidifier l’accès à une autoroute ou aux itinéraires qui la prolongent ». Autrement dit confier à des sociétés déjà bénéficiaires des privatisations des autoroutes, et qui sont toutes liées au secteur du BTP, des travaux d’aménagements sur des voies d’accès aux autoroutes qui seraient alors intégrées au régime dit « concessif ».
Dans son exposé des motifs, le législateur avance : « La stratégie de modernisation du réseau routier national ne doit pas négliger l’enjeu des connexions entre le réseau autoroutier concédé et le réseau non concédé, afin de répondre à la priorité n° 3 [du projet de loi] : accélérer le désenclavement routier des villes moyennes et des territoires ruraux. »
Il ajoute : « L’adossement de sections du réseau routier non concédé au réseau routier concédé doit donc constituer un levier pour résoudre des points d’engorgement, notamment lorsque des investissements d’aménagement routier importants sont nécessaires dans le prolongement d’une autoroute. »
Le lobby autoroutier joue la discrétion
Selon le bulletin confidentiel La Lettre A, le rapport a été rendu cet hiver, mais le ministère des Transports en a bloqué la publication en raison de la crise des Gilets jaunes et de la campagne électorale pour les européennes. Cette piste serait, pour le gouvernement qui peine à bâtir des budgets équilibrés, un bon moyen d’assurer l’entretien d’une partie du réseau, sachant que la question d’une vignette forfaitaire payée par les poids lourds n’a pas été tranchée.
La Lettre A rapporte aussi que l’Association des sociétés françaises d’autoroutes (ASFA), qui organise habituellement un colloque en juin, a renoncé cette année à son rituel. En effet, l’événement constitue en général une caisse de résonance de ses revendications d’allongement de périmètres géographiques ou de durée des concessions, privatisées en 2004. Pour son cru 2018, le lobby autoroutier avait par exemple fait monter au créneau l’ancien ministre Renaud Donnedieu de Vabres ou encore l’ex-directeur adjoint de cabinet de François Fillon, Antoine Gosset-Grainville, qui avaient défendu l’allongement des concessions d’autoroute.
Mais l’Assemblée nationale étant en passe de voter des aménagements sensibles de la législation, l’ASFA a choisi cette année la discrétion pour éviter d’alerter l’opinion et de voir des députés se retourner. Au lieu du colloque traditionnel, elle s’est contentée, durant le week-end de la Pentecôte, d’une campagne de presse pour sensibiliser l’automobiliste sur le thème consensuel des dangers de l’usage du portable sur l’autoroute.