Meurtres, enlèvements, rackets : après plus d’une décennie d’oppression, Hipólito Mora a déclenché un soulèvement populaire pour lutter contre les cartels.
C’est l’hiver dans la Tierra Caliente, une région au sud du Mexique. Le ciel est dégagé et les rayons du soleil scintillent sur le convoi en approche : deux énormes 4×4 s’avancent, l’un noir et l’autre gris, leurs passagers invisibles derrière les vitres teintées. Un pick-up de la police ferme la marche. En s’arrêtant, les véhicules soulèvent des nuages de poussière. Les portes s’ouvrent et bottes, chaussures et sandales frappent le sol, révélant plus d’une demi-douzaine d’hommes lourdement armés et une femme.
Ils n’ont pas l’air de gangsters effrayants. La plupart portent de simples polos bleu marine à manches courtes avec des badges blancs imprimés au niveau de la poitrine. Certains doivent avoir la quarantaine et leurs bedaines proéminentes passent par-dessus leurs ceintures. Leur arsenal en revanche – principalement des fusils d’assaut AR-15 – est impressionnant. Ils portent des gilets pare-balles criblés d’impacts. L’un des plus minces, qui porte un bermuda kaki, de grosses lunettes de soleil noires et un revolver à la ceinture, a le look d’un mercenaire américain escortant un diplomate important dans un pays en guerre.
- Hipólito Mora Chávez, dans son pick-up blindé en décembre 2015
Cette attitude martiale est logique, ils sont bel et bien en mission. L’homme qu’ils protègent sort d’une Chevrolet blindée : trapu, la soixantaine, il porte une barbe grise coupée court et un chapeau de paille. Son nom : Hipólito Mora Chávez. En 2013, il a déclenché une insurrection citoyenne armée contre un puissant cartel du Michoacán. Cet État est sa terre natale. C’est aussi la zone de la côte pacifique mexicaine d’où proviennent la plupart des amphétamines qu’on trouve aux États-Unis.
9 millimètres à la ceinture
Entre eux, ils se surnomment les autodefensas, les groupes d’autodéfense. Leur insurrection a fait événement au Mexique. Pour beaucoup, ces citoyens ordinaires ont courageusement accompli ce dont le gouvernement était incapable, ou ce dont il ne daignait pas s’occuper : démanteler l’organisation criminelle qui terrorisait la Tierra Caliente depuis des années. D’autres les voyaient comme des vigilantes irresponsables susceptibles de faire basculer la région dans un chaos encore plus grand.
Plus de trois ans après le début du conflit, les choses se présentent mal pour Mora et ses troupes. Gangrené par les mêmes dérives criminelles contre lesquelles il luttait et divisé par l’action du gouvernement, le mouvement de Mora est aujourd’hui l’ombre de ce qu’il était. Durant l’hiver 2014, son fils s’est fait tirer dessus lors d’une fusillade avec les membres d’un groupe rival. Mora s’est désormais engagé dans une vendetta contre l’homme qu’il tient pour responsable de sa mort. Il se sent profondément trahi par l’État, abandonné au milieu d’un océan d’ennemis. Un par un, il a fait quitter le pays à tous les membres de sa famille et se tient volontairement à distance de ses proches. À présent, il attend.
Tandis qu’il s’approche, Mora ne montre aucun signe de stress. Étonnant pour un homme qui se bat du côté des perdants de la guerre de la drogue mexicaine. Son 9 mm coincé dans sa ceinture est dissimulé sous sa « guayabera » bleue. Nous nous présentons devant le grand portail en fer qui mène à l’entrée principale de sa demeure. Derrière ses lunettes à monture métallique, Mora me regarde droit dans les yeux. Il m’écoute expliquer les raisons de ma venue, hochant poliment la tête de temps à autre en souriant, puis il m’invite à entrer d’un geste de la main.
Des tonnes d’amphétamines
Loin du thriller hollywoodien qui a conduit à une énième arrestation du baron de la drogue Joaquín « El Chapo » Guzmán en janvier 2016 – dont le traitement médiatique était digne d’une rock star –, la guerre de la drogue se joue principalement au niveau local et donne lieu à des tragédies que le reste du monde ignore la plupart du temps. La Tierra Caliente est une des zones les plus touchées par le conflit. Trois jours durant, le leader des autodefensas m’a raconté comment le Michoacán est tombé sous la coupe des criminels, comment il a riposté en prenant les armes et comment cette riposte a finalement échoué.
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