Désespoir pour les marchés, espoir pour les peuples ?
« Cataclysme » selon les uns, « tempête sur les marchés financiers » titrent les autres, comme si seuls les intérêts supérieurs des puissants comptaient. Mais les Britanniques ont bien décidé de quitter l’Union européenne, suite au vote du 23 juin 2016. Les Anglais et les Gallois ont voté « leave » ; les Irlandais et les Écossais « remain ».
Voici la dépêche AFP qui officialise ce vote apparemment historique, même si les votants du non au référendum de 2005 ont des raisons de se méfier :
« Sur plus de 27 millions de bulletins dépouillés (plus de 85% des votes), le out est passé en tête avec 51,7% des suffrages exprimés. Sauf énorme coup de théâtre, les Britanniques ont voté pour une sortie de l’Union européenne. La participation est actuellement estimée à 72,2% et l’écart se creuse pour les pro-Brexit. La livre sterling tombe au plus bas face au dollar depuis 1985 et plonge de 7%. Ces premiers résultats déjouent les premiers pronostics. »
La victoire historique de Nigel Farage
Nigel Farage, le leader des souverainistes britanniques (le parti anti-immigration Ukip, le United Kingdom independence Party, fondé en 1993), est la star du jour. Jamais élu au Parlement britannique, il est devenu député européen en 1999, un ver dans le fruit ! Luttant de toutes ses forces pour préserver la souveraineté de son pays, l’ex-trader reçoit aujourd’hui la récompense de son labeur. Nigel, comme l’appellent affectueusement la presse tabloïd et le peuple, rescapé de pas mal d’accidents de la vie, a réussi à imposer l’idée d’un référendum suite à sa victoire aux élections européennes de 2014, à l’instar du Front national en France.
Si Nigel Farage semble avoir gagné, c’est Boris Johnson, l’ex-maire populiste conservateur de Londres, qui est en train de lui ravir la tête du parti « Brexit ». Qui n’existe pas, mais qui est en train de se dessiner : Farage appelle ainsi à la constitution d’un gouvernement basé sur les partisans du Brexit, vu que David Cameron a logiquement proposé sa démission. En octobre, les Anglais devront réélire leur Premier ministre.
Le parallèle avec la situation française de 2005 est à faire, mais pas complètement : à l’époque, l’axe gauche sociale – droite souverainiste avait gagné aux points, mais perdu face à l’arbitre (traité de Lisbonne). Politiquement, l’union des anti-Europe des marchés ou de Maastricht n’avait pas débouché sur une contstruction politique. Le problème ou la possibilité se pose à nouveau aujourd’hui : Marine Le Pen et le FN sont les grands gagnants de ce Brexit, et annoncent à grand fracas un Frexit, une sortie de l’Union européenne à la française. Mélenchon leur emboîte le pas, en faisant bien attention à ne pas prononcer le mot « nationalisme », encore interdit à gauche.
- (Petit jeu de mot très britannique où le EU remplace le you)
Tout le monde n’est pas déprimé par le vote d’outre-Manche. Voici le principal de la réaction de Nicolas Dupont-Aignan, très remonté contre l’UE :
La décision du peuple britannique de sortir de l’Union européenne est une excellente nouvelle pour tous les peuples européens.
Malgré les menaces et les prédictions cataclysmiques, le peuple britannique ne s’est pas laissé intimider. Il nous donne ainsi une grande leçon de démocratie.
[...]
Comme en 1940, l’Angleterre aura une nouvelle fois démontré sa capacité à forcer le destin pour s’opposer à un régime totalitaire.
Ce rejet massif est une nouvelle preuve de la coupure qui existe et qui s’accroît entre l’Union européenne et les peuples européens. L’Union européenne, illégitime depuis le référendum français bafoué en 2005, est arrivée à un point de non-retour.
C’est notamment un véritable camouflet pour Jean-Claude Juncker, qui avait pourtant affirmé qu’il ne pouvait y avoir de « choix démocratique contre les traités européens ».
[...]
L’heure est désormais à la refondation de l’Europe du XXIe siècle, celle des Nations et des projets concrets voulue par le Général de Gaulle. Une solution neuve et efficace que l’intégration supranationale a tout fait pour étouffer depuis un demi-siècle, dont les quelques esquisses -notamment Airbus- ont pourtant démontré tout le bien qu’on peut concrètement en attendre.
Pour sortir de la prison des peuples dans laquelle nous a enfermés l’UE, la seule solution est d’alléger l’Europe en rendant aux nations la maîtrise de leurs frontières, de leurs lois, de leur budget et de leur monnaie. Une Europe multiplicateur de puissances grâce à des coopérations concrètes.
Marine Le Pen, elle, demande carrément dans un tweet la tenue d’un nouveau référendum pour les Français :
« Victoire de la liberté ! Comme je le demande depuis des années, il faut maintenant le même référendum en France et dans les pays de l’UE »
La réponse immédiate d’Alain Juppé sur Europe 1 :
« Organiser un référendum en France aujourd’hui c’est offrir une victoire sur un plateau à Marine Le Pen »
- L’AFP évoque un « divorce long » qui pourrait prendre 10 ans... Alors, vrai ou faux divorce ?
Après la création de la psychose, que reste-t-il aux médias soumis aux marchés pour faire peur aux peuples ?
Car le « leave » britannique crée un précédent, et l’Union européenne résiduelle a désormais le choix entre la théorie des dominos, ou le resserrement autour de son noyau dur franco-allemand. Chacun sait que l’UE fonctionnait économiquement à 9 (le fameux Marché commun), même avec ces sacrés Anglais, mais qu’à 28, elle a perdu du sens. On sait tous aussi depuis les aveux de ses constructeurs qu’elle est une création intéressée de l’Empire, ce qui n’a pas empêché son redressement général lors des « 30 glorieuses ».
Maintenant, nous allons voir comment la grande sœur américaine va réagir, par la séduction ou la répression, à cet événement qui ne l’arrange apparemment pas. Le Royaume-Uni était en effet son pion et son espion dans l’UE.
Le Figaro analysait le 21 juin les conséquences économiques du « leave » :
Le risque d’un Brexit enfle. Les derniers sondages font monter la pression à son maximum. Sur la planète finance, l’excitation est à son comble, tant le cocktail d’incertitudes est explosif. Car la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne plongerait le continent dans l’inconnu.
[...]
La France ne sera pas épargnée
L’économie française semble bien partie pour se ressaisir en 2016. Mais le séisme que provoquerait un Brexit sur les marchés financiers et son impact sur les échanges commerciaux compromettraient les efforts de l’Hexagone.
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L’Europe privée d’un contributeur au budget
Si les autres pays européens pourraient ressentir les effets bénéfiques d’un Brexit en matière d’échanges commerciaux et d’investissements, l’Europe serait privée d’un contributeur majeur au budget. De quoi laisser craindre une augmentation des contributions pour l’Allemagne et la France ou une réduction drastique des dépenses.
[...]
Et si les banques centrales intervenaient ?
Une déflagration de la livre sterling provoquerait un choc majeur sur le marché des devises et par ricochet, sur les autres grands marchés financiers. La menace est telle qu’en Europe, aux États-Unis et au Japon, les Banques centrales se préparent à enclencher un mécanisme d’urgence : elles n’excluent pas d’injecter des milliards de dollars sur les marchés.
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Pour les amateurs, le tweet de BHL, qui pronostiquait une défaite du « leave » avec sa purée d’amalgames habituelle :