Afrique du Sud, Nigeria et Éthiopie, voilà trois des plus importants pays africains qui traversent actuellement des crises existentielles. Pas de ces crises économiques ou sociales qui frappent tous les États africains et qui, même en cas de gravité extrême, ne remettent pas en cause le contrat social national. Mais des crises qui posent la question de la simple survie de ces trois États multi-ethniques :
Derrière le miroir aux alouettes de la crise sociale, l’Afrique du Sud est ainsi confrontée au déterminant zulu.
Derrière l’apparence religieuse, le Nigeria central est face à la question peul.
Quant à l’Éthiopie, un pays qui n’a jamais été véritablement colonisé, c’est sa mosaïque ethnique qui se délite sous nos yeux avec la revendication indépendantiste du Tigré.
La question ethnique qui se pose donc avec intensité dans ces trois pays permet, une fois de plus, de juger de la « pertinence » du postulat de ces « africanistes » français qui soutiennent que les ethnies africaines ont une origine coloniale. Une théorie ancrée sur le paradigme de la culpabilité européenne (voir à ce sujet mon livre Pour répondre aux décoloniaux).
En effet, comme les problèmes africains sont essentiellement d’ordre ethnique, si les ethnies ont une origine coloniale, les drames que connaît le continent ont donc été provoqués par la colonisation. CQFD !
Une théorie singulièrement « raciste » puisqu’elle sous-entend que les peuples africains auraient donc tout reçu des colonisateurs. Jusqu’à leur nom et leur identité… Un postulat qui domine dans la forteresse doctrinale du petit monde académique. Ainsi, selon l’universitaire Catherine Coquery-Vidrovitch, ce fut durant la période coloniale que : « (…) l’ethnie fut largement fabriquée à des fins de contrôle, non seulement administratif et politique, mais aussi religieux. »
Si nous interprétons le « largement » de cette insolite affirmation, nous pourrions dire qu’à environ 75 % les ethnies africaines auraient donc été « fabriquées » par les Français, les Britanniques, les Belges, les Portugais ou les Allemands. J’invite son auteur à démontrer que les Sotho et les Xhosa en Afrique du Sud, les Ovimbundu et les Kongo en Angola, les Kru et les Mano au Liberia, les Temné et les Mendé en Sierra Leone, les Baoulé et les Bété en Côte d’Ivoire, les Oromo et les Amhara en Éthiopie, les Tutsi, les Hutu et les Twa au Rwanda, les Darod et les Saab en Somalie, les Touareg et les Dogon au Mali, les Toubou et les Sara au Tchad, etc., n’existaient pas à la veille de la colonisation…
Au lendemain des indépendances, alors que la construction de l’État passait par la reconnaissance des ethnies et par leur prise en compte dans les élaborations constitutionnelles, les idéologues français du CNRS et de l’africanisme universitaire ont mis l’interdit sur la question ethnique.
Dans ces conditions, comment prétendre aujourd’hui régler la question de l’État en Afrique quand les réalités sociopolitiques qui les composent (ethnies, tribus et clans) sont niées jusqu’à l’absurde par ceux qui ont formaté des générations d’étudiants, et qui sont présentés dans les médias comme les « spécialistes » de ce continent ?