Invité sur TV5 Monde et par Michel Field pour présenter son dernier livre Osons dire la vérité à l’Afrique, Benrard Lugan avait été déprogrammé quelques heures avant les deux émissions. Il répond à Présent :
J’ai osé écrire que, 70 ans après les indépendances, du nord au sud et de l’est à l’ouest, le continent africain est meurtri. De la mer Méditerranée au Sahel, la dislocation libyenne entretient un foyer majeur de déstabilisation. Dans le cône austral, l’Afrique du Sud sombre dans un chaos social et la criminalité réduit peu à peu à néant la fiction du « vivre ensemble ». De l’Atlantique à l’Océan Indien, toute la bande sahélienne est enflammée par un mouvement à la fois fondamentaliste et mafieux. Plus au sud, la Centrafrique a explosé et l’immense RDC n’en finit pas de mourir.
Résultat, des dizaines de milliers de boat people se livrent au bon vouloir de gangs qui les lancent dans de mortelles traversées en direction de la « terre promise » européenne, les crises alimentaires sont permanentes et les infrastructures de santé ont disparu, comme l’a montré la tragédie d’Ebola en Afrique de l’Ouest.
On ne cesse de nous dire que le continent a démarré ?
Rien de plus faux. Economiquement, et à l’exception d’enclaves dévolues à l’exportation de ressources minières confiées à des sociétés transnationales sans lien avec l’économie locale, l’Afrique est aujourd’hui largement en dehors de l’économie mondiale. Malgré le pétrole et les minerais, sa part dans les échanges mondiaux (importations plus exportations), est en effet dérisoire. De 6 % en 1980, elle s’est effondrée à 2 % dans la décennie 1990, avant de « remonter » à 2,8 % en 2007, puis à 3,2 % en 2008, 3,4 % en 2010 et moins de 4 % aujourd’hui. Commercialement, elle n’existe donc pas, même si certains pays comptoirs connaissent une réelle prospérité.
Mais pourtant, le taux moyen du PIB africain qui est de plus de 4 % est supérieur à celui du reste du monde qui est de 3 % ?
Oui, mais la croissance continentale est inférieure à 7 %, chiffre en dessous duquel la pauvreté ne peut reculer, ce qui fait qu’en dépit d’une augmentation globale de son PIB le continent a donc globalement continué à s’enfoncer. Quant à la pauvreté, elle n’y a pas reculé ; c’est ainsi qu’en 15 ans, le nombre de pauvres y a doublé puisqu’il est passé de 376 millions à 670 millions.
De plus, les pays africains qui affichent de « bons » PIB le doivent quasi uniquement aux matières premières extractives, dont les cours sont par définition fluctuants, d’où leur artificialité. Aujourd’hui, à l’exception de l’uranium, la tendance est à la baisse : moins 40 % pour le fer et moins 14 % pour le platine. Quant au pétrole, le baril qui valait 110 dollars au début du mois de juillet 2014 en vaut moins de 50 aujourd’hui. [...]
À l’époque coloniale, les colonisateurs ont-ils pillé le continent ?
C’est tout le contraire qui s’est produit, car nous savons depuis Jacques Marseille que la France s’est ruinée et épuisée en construisant en Afrique 50 000 kilomètres de routes bitumées, 215 000 kilomètres de pistes carrossables en toutes saisons, 18 000 kilomètres de voies ferrées, 63 ports équipés, 196 aérodromes, 2 000 dispensaires modernes, 600 maternités, 220 hôpitaux dans lesquels les soins et les médicaments étaient gratuits.
En 1960, 3 800 000 enfants des colonies africaines étaient scolarisés et, dans la seule Afrique noire, 16 000 écoles primaires et 350 écoles secondaires (collèges ou lycées) fonctionnaient. En 1960 toujours, 28 000 enseignants, soit le huitième de tout le corps enseignant français, exerçaient sur le continent africain.
Pour la seule décennie 1946-1956, et alors que la décolonisation était en marche, la France dépensa en infrastructures, dans son empire, la somme colossale de 1 400 milliards de francs de l’époque !
De plus, la France ne se fournissait pas à bon compte dans son empire africain dont elle subventionnait en amont les productions avant de les acheter, en aval, au-dessus des cours mondiaux.
À l’exception des phosphates du Maroc et de quelques productions sectorielles, l’empire ne lui fournissait rien de rare. C’est ainsi qu’en 1958, 22 % de toutes les importations coloniales françaises étaient constituées par le vin algérien, d’ailleurs payé 35 francs le litre alors qu’à qualité égale, le vin espagnol ou portugais valait 19 francs. [...]