Nous sommes en octobre 1981. La chaîne TF1, pas encore privatisée, mais déjà plutôt de droite, fait un petit effort pour se couler dans le moule social qui a changé la France suite à la victoire socialiste à la présidentielle en mai et aux législatives en juin, un véritable raz-de-marée.
Dans Les mercredis de l’information, le jeune Jean-Marie Cavada présente un documentaire sur l’état social du pays vu à travers une cité, celle des Canibouts à Nanterre (92). Oui, Canibouts, ça ne s’invente pas, quelque part entre caniveau et Canigou... Pour info, cette barre de 150 logements a été détruite en... 2016. Plus de 50 ans après son érection.
« Quand on est arrivé, parmi les premiers, en mars 1963, c’était encore en chantier autour, on avait les pieds dans la gadoue, raconte Fatima Taraï, 58 ans, entourée de ses filles. Des familles venaient des bidonvilles, nous, on venait de préfabriqués. Pour ma mère, c’était immense. » (Le Parisien)
Deux mois plus tôt, à l’été 1981, la jeunesse des banlieues lyonnaises avait inauguré les premières émeutes. C’étaient les prémices d’une catastrophe, que Jean-Pierre About, le grand reporter que l’on voit dans le reportage, sent monter et n’élude pas. Toutes les parties sont entendues, sur toute la longueur de l’échelle sociale, du Français de souche qui veut tirer dans le tas au jeune voleur qui se confesse en passant par les jeunes et les vieux qui ne se parlent plus. La fracture générationnelle, culturelle, ethnique, la totale.
Au-dessus de ce bordel plane le spectre du chômage industriel de masse qui touche en priorité les parents immigrés puis leurs enfants dits de deuxième génération. Les premiers n’ont pas été plus loin qu’ouvriers spécialisés dans la hiérarchie sociale, les seconds montrent un retard culturel trop grand par rapport aux petits Français blancs. Il est étonnant d’entendre ces paroles cash sur le retard scolaire des enfants d’immigrés : le politiquement correct (ou le mensonge) socialiste n’avait pas encore frappé.
Ensuite, dans l’analyse, tout est question de culture : certains diront que la maman arabe qui a deux fils en taule n’a pas le droit d’invoquer le « y a pas de boulot », en se fondant sur les familles françaises pauvres et nombreuses qui ne cumulaient pas tous ces problèmes sociaux. Mais il est clair que des centaines de milliers d’immigrés et leurs familles n’ont pas été arrachés de leur sol et de leur culture sans conséquences, et pour eux, et pour ceux qui les ont accueillis, de gré ou de force.
Les familles françaises qui le pourront quitteront à la première occasion ces cités qui deviendront de véritables centres d’accueil pour immigrés, abandonnant la fameuse mixité sociale pour sauver leur tranquillité, ou leur culture. Les autres resteront, ce sont ces vieux Français qui ne supportent plus les enfants d’immigrés. Et qui voteront FN en masse.
Quatre décennies plus tard, le problème des banlieues n’a pas été résolu : la greffe des « troisième génération » sur le corps social français n’est pas encore réalisée, il y a encore du rejet, de part et d’autre, et de nouveaux facteurs sont venus interférer dans l’assimilation que propose la France. Notamment la religion rigoriste, sans oublier la nouvelle immigration subsaharienne, plus difficilement assimilable encore que la précédente. Car avec le Maghreb, la France avait et a toujours des liens, malgré la guerre d’Algérie et les indépendances (Maroc, Tunisie).
Le problème des banlieues est donc loin d’être réglé. Comme toujours chez nous, on ajoute une nouvelle couche au mille-feuilles déjà compliqué. Si la France a eu besoin d’ouvriers dans les années 60 et 70, aujourd’hui elle n’en a plus besoin. Le secteur des services embauche encore, mais à des tarifs de plus en plus bas, et de manière de plus en plus dérégulée. Il est stupéfiant de voir des membres du gouvernement (actuel) prôner la nationalisation de clandestins qui vont clairement casser en deux ou trois les salaires de base de plusieurs secteurs : hôtellerie, restauration, bâtiment, aide à la personne.
Le modèle social français est à l’agonie, mais pas de lui-même : il a bien été saboté. Bonne lecture.