Isadora Duncan, après un passage à vide dû à ses ennuis judiciaires avec Audrey Crespo-Mara, la journaliste de LCI qui s’est déclarée « harcelée » et qui a souffert de « 10 jours d’ITT », revient dans le game. Il a diffusé cette vidéo tripartite le 19 décembre 2019 : d’abord une interview à la volée de Juan Branco avant manifestation, puis des questions aux manifestants contre les retraites, et enfin une dernière partie qui annonce un « show » avec Jeremie.
On remarque une chose : toutes les stars du Net ont un jour ou l’autre l’envie de sortir de la vidéo sauvage pour monter un projet plus abouti, plus télévisuel. Pendant ce temps, la télé, qui connaît une chute d’audience permanente, tente de copier l’Internet avec des modules plus vivants, plus directs, plus trash. Mais c’est évidemment aussi tardif que factice – la liberté d’expression ne se négocie pas – et ça va accélérer la chute.
Nous sommes donc dans la rue, Juan va retrouver Maxime (on suppose Nicolle, son client et Gilet jaune), pour aller gueuler contre la réforme des retraites, que le jeune avocat dit être inspirée par Alain Minc. Il sera donc question de Minc, mais aussi d’Attali, et dans un autre registre, ou plutôt le registre d’en face, de Soral et Panamza. Branco va s’expliquer très largement et précisément sur ses rapports avec les deux autres « dissidents », qui selon lui se disputent la même part de marché. Avec Isadora, ce qui est bien, c’est que les questions ne sont pas complaisantes. Elles peuvent énerver, et il a interrogé chaque camp, si camp il y a. Le journaliste revient sur les points de friction, les points chauds – la tectonique des idées ! – entre Branco, Soral et Panamza.
Notre travail habituel consiste à noter scrupuleusement les réponses de l’interviewé, sans omettre le contexte. Il ne s’agit donc pas de sortir une petite phrase qui nous arrange pour la renvoyer dans la gueule de notre ennemi ou concurrent ; ici, on travaille dans la profondeur. Cela permet de nuancer les différences et les ressentiments éventuels entre les activistes politiques, puisqu’il s’agit de cela. Voici donc les gros morceaux politiquement intéressants de l’interview, avec nos analyses quand elles sont justifiées.
Macron, Mélenchon, Le Pen
4’26 – Branco : « Mélenchon au sens large du terme avec les personnes qui sont à La France insoumise, est aujourd’hui complètement incapable de gouverner, on l’a vu avec les erreurs successives qu’ils ont commis, que ce soit sur la marche contre l’islamophobie, pardon, avant sur la perquisition… »
Quand Branco dit « pardon », c’est un peu comme quand Nabilla dit « allo », c’est une expression qui exprime un jugement plutôt négatif.
5’49 – Branco : « Voter Macron, c’est amener Le Pen au pouvoir plus tard… Parce que, en gros, Macron produit le vote Le Pen, les politiques de Macron, ça détruit la société, les liens entre les personnes, etc., et c’est exactement ça ce qui produit le vote Le Pen, c’est les gens qui sont isolés, qui se sentent violentés par la société, qui ont une précarité économique et qui ont besoin de se rassurer, et c’est ce que Le Pen offre en fait. »
Macron utilisé par Attali et Minc
8’42 – Branco : « J’ai raconté un peu dans Crépuscule, mais pas beaucoup comment Macron a été utilisé par Attali et Minc entre 2012 et 2017 pour avoir accès à Hollande, parce que Hollande les avait mis un peu de côté… C’est Attali qui présente Macron à Hollande… dans une des fêtes qu’il fait à Neuilly, dans un énorme appartement… Un dimanche sur deux, il fait un dîner où il réunit un peu le gotha, 50 personnes qu’il présente les uns aux autres. Dans un de ceux-là, il présente Macron à Hollande, Macron qui s’était fait “tèj” par Fabius, qui s’était fait “tèj” par Fillon et donc qui essayait de trouver quelqu’un qui le récupère et après, en fait, Attali perd de l’influence. Il arrive plus à avoir un accès direct à Hollande et il va utiliser Macron pour faire passer ses idées auprès de Hollande et en échange Macron va utiliser ses réseaux pour se faire connaître au sein du petit Paris de la finance… Mais je pense que celui qui a encore plus d’influence aujourd’hui c’est Minc, plus qu’Attali. »
Isadora : « Minc c’est un peu la tête de pont entre Sarkozy et Macron. »
Branco avance alors que c’est Minc qui repère Macron avec (déjà !) son ambition de devenir président à la sortie de l’IGF (l’Inspection générale des finances) en 2003-2004, et il le lance dans son réseau technocratique.
Branco : « Je raconte ça dans Crépuscule, mais il y a trois étapes : d’abord l’absorption technocratique, puis après le contact avec le politique grâce aux technos et après les oligarques, Bernard Arnault, Xavier Niel et compagnie. Il coche ces trois cases et du coup il arrive en politique sans avoir besoin de passer par un parti alors qu’il s’était inscrit au PS puis après il avait essayé d’être tête de liste UMP… »
Soral, Panamza, les dissidents
13’44 – Isadora : « J’ai fait une interview de Soral qui dit que t’es un faux dissident. »
Branco : « Ah mais c’est vous le truc où il dit que je suis un pédocriminel, le truc là-bas à Saint-Germain, qui a fait 800 000 vues… Ouais, ouais, je l’ai vu bien sûr… »Isadora : « Moi j’ai quand même essayé de te défendre, en tout cas de laisser le bénéfice du doute. »
Branco : « Ouais, mais ça m’a fait du mal parce que je pense que les gens avaient une confiance en moi qui était un peu… »
Isadora revient sur le fameux tableau quelque peu diabolique qui figure sur le site du cabinet d’avocats de Branco, Branco & Associés.
Isadora : « Mais comment t’expliques le tableau de Goya, parce que c’est quand même un peu… »
Branco : « C’est un vachement beau tableau parce que moi… C’est juste un tableau que j’ai vu à Madrid, j’ai acheté la reproduction, je l’ai mise chez moi… J’étais touché par la beauté bizarre du truc et sur le fond j’ai déjà répondu, il y a un rapport à la croyance du politique en fait… Goya fait ça au XIXe siècle pour se foutre de la gueule des élites et aussi des gens en disant ouais les gens croient qu’ils sont tous pédocriminels et qu’ils sont satanistes et qu’ils font des partouzes quand ils sont au pouvoir… J’ai sincèrement compris grâce à Bégaudeau la fixation sur la pédocriminalité des élites, un parce que c’est vrai qu’il y a une impunité, un étouffoir extrêmement fort, et deux parce qu’il y a un truc aussi de la faute cachée, quelque part la faute cachée du père, y a un truc presque psychanalytique intéressant… On projette sur la figure politique la figure du père. Et évidemment ben le père il y a une sorte de mélange entre désir et volonté de sanction, de castration, etc. »
Une explication embrouillée qui aurait pu être déminée simplement en disant qu’on peut être attiré par une représentation des rapports humains complexes, profonds, dangereux, la politique, c’est ça aussi.
Le conflit Branco/Soral
16’50 – Branco : « J’ai pas envie de les relancer mais Soral au début il m’aimait bien puis à un moment il a compris que j’étais pas dans ses obsessions paranoïaques sur la figure du juif vous voyez, c’était pas quelque chose qui m’intéressait plus que ça, j’ai toujours été élevé dans un milieu laïc, je comprends, j’ai beaucoup travaillé la question de la Shoah, j’ai fait une conférence d’ailleurs pour ceux qui s’y intéressent à justement tout le travail que j’ai fait qui est pas du tout similaire au sien, lui il part sur des trucs qui sont, justement au moment où il commence à m’attaquer, je vais sur son site internet et je vois que c’était au moment où il avait été condamné par le tribunal à de la prison ferme, et que le gouvernement a fait appel pour qu’il aille pas en prison, ce qui est quand même incroyable, au moment des Gilets jaunes où on essaye d’accuser les Gilets jaunes d’antisémitisme, pardon mais bon, enfin no comment. Et donc à ce moment-là je regarde sa vidéo et pour se victimiser il fait une vidéo où il se compare à Eichmann, on a trouvé mieux comme martyr, quoi, et dans la même vidéo il met Hitler et Gandhi au même niveau, et après il “non non non, c’est pas antisémite”, c’est n’importe quoi je sais pas quoi, pardon quoi. Moi je suis pas tombé là-dedans, parce que c’est pas productif en fait, c’est pas, ça, ça crée pas de sens et donc à partir de là… »
Isadora : « Antisémitisme, antisionisme, une seule et même chose ? »
Branco : « Non, moi je me suis beaucoup battu pour le droit des Palestiniens, mais c’est là aussi c’est complètement absurde, des mecs comme Panamza qui m’attaquent pour essayer de me salir de façon, Panamza c’est un faux nez de Soral par exemple, Hicham on sait très bien pour qui il travaille. »Isadora : Ils se bataillent en ce moment, ils ont pas l’air de s’aimer. »
Branco : « Ouais, ils jouent, c’est comme Vincent Lapierre ! »Isadora : « Je crois qu’Hicham il aime personne qui soit un peu dans la dissidence… »
Branco : « C’est un peu un marché, lui il crée son petit marché, le mec il fascine les gens alors que la seule chose qu’il fait c’est des recherches Google jusqu’à la 25e page, il finit par trouver un truc qu’il met en connexion avec un truc qu’il a trouvé à la 23e page et les gens disent “ouah” ! »Isadora : « Moi je trouve qu’il fait un assez bon boulot. »
Branco : « Non, il part en vrille, par exemple les 15 articles qu’il a fait sur moi, il y en a 13 où il y a des micro-fausses informations qui se glissent dans des vraies informations pour essayer de donner une perspective… »
Il est vrai que de nombreux ou trop nombreux conflits agitent les stars de la dissidence, mais pour certains, il s’agit de vrais conflits politiques, c’est-à-dire fondés sur des différences impossibles à réduire ou à réconcilier. Dans toutes les périodes de l’Histoire qui voient une pluralité de mouvements de contestations naître par rapport à un pouvoir injuste ou considéré comme injuste (le pouvoir tsariste avant 1917, le pouvoir social-démocrate dans l’Allemagne des années 20), à la fin, une seule de ces branches contestataires finit par l’emporter et éliminer, naturellement ou pas, en les agglomérant ou en les écrasant, toutes les autres. C’est ainsi que les bolcheviques ont fait disparaître les socialistes, les anarchistes ou les mencheviks après 1917, ou que la SS de Himmler a eu raison de la SA de Röhm en 1934. En France, le PS a absorbé et vidé le PC en moins de 20 ans après la signature d’un programme commun (1977), mais le PS, devant l’échec de sa politique, a ensuite été déchiré bouffé par les écolos et les mélenchonistes. Il ne reste plus que le squelette et la peau.
Toujours, comme les frontières dans un continent, se recomposent les forces et les frontières politiques. Et depuis Macron, la bourgeoisie s’est recentrée et fait le dos rond derrière un président libéral-libertaire, en abandonnant sans pitié les anciens partis de l’alternance (PS, UMP). Aujourd’hui, le renouveau politique se trouve chez les dissidents – qui sont interdits de médias dominants, mais surpuissants sur le Net – et les différentes banches de la radicalité anti-Système ou antilibérale.
20’59 – Branco : « Moi, ma fierté, j’ai été en Cisjordanie pendant un mois quand j’avais 19 ans avec une association propalestinienne vraiment pour faire de l’activité, de l’activisme, c’est des choses qu’ils ont jamais faites ces gens-là, parce que eux ils sont dans des circuits fermés où ils instrumentalisent ces questions-là pour créer de l’impuissance politique et une clientèle. Alain Soral quel débouché il donne ? C’est pour ça qu’il est très irrité contre moi. Quel débouché politique il donne aujourd’hui à toutes les personnes qui le suivent ? À part dire “c’est un complot juif”, “c’est le CRIF”, et qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce qu’on en tire ? Rien ! Enfin quoi, on les extermine c’est ça, et ils repartent sur un truc, vous voyez ? Le seul débouché politique qu’il donne, c’est revenir à des théories extrêmes, ou alors juste créer une impuissance qui va faire que des gens vont être fascinés par lui en disant “ah ouais, ouais il dit qui sont les méchants” etc., mais il se bouge pas le derrière ! Moi je le vois pas aux manifs, enfin il crée pas d’option politique, quand il essaye d’en créer il fait 0.1 % parce qu’évidemment y a tout ce côté délirant, et c’est triste parce que c’est quelqu’un qui au départ… »
Et là le téléphone d’Isadora n’a plus de batterie.
Sur la dernière réponse de Branco, une belle contre-vérité qui ressemble à s’y méprendre à une inversion accusatoire : Soral et son mouvement E&R produiraient de l’impuissance politique. C’est tout à fait le contraire : une radicalité basée sur des vérités parfois dangereuses à émettre ont bousculé tout le jeu politique, des extrêmes si l’on veut – par la force des choses puisque nous sommes interdits de médias dominants, à l’inverse de Branco – au centre. Bien que feignant le contraire, il n’est plus une offre politique qui ignore les positions d’Alain Soral, à l’image de Jean-Marie Le Pen et de son FN dans les années 80. Le Système avait beau le railler, le dévaloriser, l’ignorer ou l’agresser, son influence montait car le mouvement national correspondait à une vérité et à un besoin. Vérités sur l’immigration, le double jeu des socialistes, des élites corrompues, et à un besoin exprimé par le peuple d’entendre sa propre voix dire sa propre réalité.
En s’attaquant au pouvoir profond plutôt qu’au pouvoir visible, Soral a visé juste et la réponse est à la hauteur de la précision et de la véracité de l’attaque : violente. Branco n’a pas eu à souffrir – il peut se promener tranquillement et manifester contre une réforme libérale sans aucun souci – de son positionnement politique qui n’est donc pas si dissident que cela, même s’il récuse le terme. Mais nous n’en voulons pas à Branco d’être d’extraction bourgeoise et de choisir des options bourgeoises, qui justement ne dérangent pas la bourgeoisie. C’est la différence entre lui et nous. Et puis, dénoncer le pouvoir exorbitant d’une organisation confessionnelle ultraminoritaire dont le discours et les injonctions vont à l’encontre de tous les principes de notre démocratie et de notre République, ça c’est courageux.
Branco ou la révolution systémo-compatible
Il ne s’agit pas d’« exterminer le CRIF », juste de l’interdire, ou d’interdire un CRIF qui impose ses propres intérêts à la République, c’est-à-dire aux 99,99 % des Français qui ne lui ont rien demandé. Savoir cela, le dire et le pratiquer, jour après jour depuis 12 ans, c’est déjà agir, c’est tout sauf de l’impuissance politique et ça fait monter non pas le niveau de haine mais le niveau de conscience général : le niveau de haine qui monte, c’est chez ceux qui tirent leur pouvoir de la mainmise des réseaux sur la République et qui ont intérêt à faire perdurer un Système injuste qui produit de plus en plus de malheur !
C’est le camp d’en face qui n’a que ce mot-là à la bouche, monsieur Branco. Noyé dans ses mensonges, il ne lui reste plus qu’à légiférer sur « la haine », ce qui est inconsistant, pour faire fermer les bouches de ceux qui ne croient pas à ses mensonges et qui défendent la vraie démocratie, la vraie liberté d’expression. Cela ne va pas sans quelques provocations verbales, certes (il faut bien réveiller les morts), mais le fond du travail est là. Un travail colossal réalisé en dépit de toutes les forces du Système, et qui fait son effet. Elle est là, l’« option politique » majeure, qui sera vraisemblablement dominante demain, peut-être sous une autre forme. Mais elle est inarrêtable.