Un jour, l’histoire aura son mot à dire, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseigne à l’ONU, à Washington, Paris ou Bruxelles, mais l’histoire qu’on enseignera dans les pays libérés du colonialisme et de ses marionnettes. L’Afrique écrira sa propre histoire. Une histoire faite de gloire et de dignité - Patrice Lumumba.
Quelques jours après avoir obtenu, le 30 juin 1960, son indépendance de la Belgique, le pays longtemps appelé Congo Belge et destiné à devenir le Zaïre fut livré au chaos, déchiré par des conflits entre différents individus, tribus et groupes politiques pour établir leur domination ou leur indépendance.
Les élections législatives furent remportées en mai 1960, par le Mouvement National Congolais (MNG) présidé par LUMUMBA, et en juin il fut donc nommé Premier ministre par le roi des belges, alors que plus tard, Kasa-Vubu, sera élu Président de la république de ce pays.
Le 23 juin 1960, Patrice Émery Lumumba devint donc le premier premier ministre du Congo indépendant. Il appelait à la libération aussi bien économique que politique de son pays, et ne refusait pas le contact avec les pays socialistes.
Lumumba commença par décréter l’africanisation de l’armée et doubla la solde des soldats, ce qui rendait impossible le contrôle du gouvernement congolais par l’ex-puissance coloniale. La Belgique, qui voulait protéger ses investissements massifs dans les minerais répond par l’envoi de troupes pour protéger ses ressortissants au Katanga (la région minière) et soutient la sécession de cette région menée par Moïse Kapenda Tshombé. Le 11 juillet, la province de Katanga, qui abrite le gros des gisements de cuivre, de cobalt, d’uranium, d’or et d’autres minerais du Congo, annonça en effet qu’elle faisait sécession. La Belgique apporta donc son soutien à l’indépendance du Katanga, prévoyant les avantages qui en découleraient : ses investissements seraient à l’abri dans un pays minuscule, qui ne devrait ni rendre de comptes, ni payer de taxes au gouvernement central de Léopoldville. De plus, le leader du Katanga, Moise Tshombe faisait preuve d’un intérêt tout particulier pour les investissements des Belges.
Les Etats-Unis, de leur côté, conscients des vastes richesses mises en jeu, et obsédés, comme d’habitude, par la lutte contre le « communisme » entreprirent également de contrôler la situation politique sur place. Le directeur de la CIA, Allen Dulles prédit « une prise de contrôle communiste aux conséquences désastreuses […] pour les intérêts du monde libre » et débloqua un fond d’urgence de 100 000 dollars pour remplacer le gouvernement de Patrice Lumumba par un « groupe pro-occidental ». Le président Eisenhower décréta qu’il serait « très difficile, sinon impossible de négocier avec Lumumba », et que ce dernier représentait « une menace pour la paix et la sécurité dans le monde ». Rien que ça ! Un ancien petit employé des postes de la jungle congolaise à la tête d’un pays exsangue représentait donc une grave menace pour un pays comme les Etats-Unis qui détenait pourtant le pouvoir d’anéantir, en quelques heures, toute velléité de rébellion dans la plupart des régions du monde.
Bien évidemment, une vaste campagne de presse menée aux Etats-Unis vint appuyer cette idée que les soviétiques par l’entremise de Lumumba étaient sur le point de mettre la main sur le Congo et que le monde entier courait un grave danger. Il faut dire que c’étaient surtout les intérêts financiers au Katanga de certains hauts fonctionnaires de l’administration américaine qui couraient alors un grave danger.
Les Etats-Unis soutinrent donc l’intervention militaire belge au Katanga au nom de la paix et de la stabilité du monde. Seulement, l’intervention des Belges fut particulièrement violente et meurtrière, ce qui amena l’ONU, notamment sous la pression de nombreux pays du bloc afro-asiatique, d’exiger le retrait des belges et leur remplacement par les forces de l’ONU. Cependant, on vous le donne en mille, les responsables de l’opération des Nations Unies au Congo étaient tous américains. Il faut dire que Lumumba n’avait pas non plus les faveurs de l’ONU dont il avait ouvertement critiqué la politique par trop pro-occidentale.
Ainsi, malgré les demandes répétées de Lumumba, les forces de l’ONU ne firent rien pour arranger la situation sur place. Lumumba demanda l’intervention de l’ONU qui envoya des troupes partout sauf au Katanga, et refusa de s’opposer à "l’indépendance" du Katanga dont elle n’ignorait pas l’illégalité. Les combats meurtriers continuèrent donc et le gouvernement de Lumumba dû même faire face à un second soulèvement dans une autre province du pays. Dans ce climat de confusion et de chaos, le président du Congo, Joseph Kasavubu décida de congédier Lumumba. Il faut dire que la CIA faisait, à coup de billets verts, un travail de persuasion remarquable auprès des politiques congolais. Seulement ce travail devait avoir ses limites puisque Lumumba, s’il n’avait plus les faveurs du président désormais entretenu par la CIA, bénéficiait du soutien affirmé du parlement congolais encore majoritairement indépendant. Lumumba fut tout de même démis de ses fonctions et sans pouvoir officiel continua malgré tout la résistance avec le soutien de nombreux congolais. Le parlement fut tout près de voter sa restitution lorsque Mobutu, numéro un de l’armée, prit le pouvoir au cours d’un putsch conçu par les Américains et assigna à résidence les dirigeants congolais.
Pendant cette période confuse où Lumumba n’avait plus réellement de pouvoir, « la CIA et les hauts responsables de l’administration américaine ont continué à le considérer comme une menace ». On disait que « son talent et son dynamisme seuls lui ont permis de rétablir sa position à chaque fois qu’elle semblait ruinée », que « c’était un orateur envoûtant, capable de convaincre les foules massives de passer à l’action », que « si on lui permettait de parler à un bataillon de l’armée congolaise, il en ferait ce qu’il voudrait au bout de cinq minutes ». (Rapport pour le sénat américain de la Commission d’Etude sur les opérations gouvernementales liées aux activités, 20 novembre 1975).
Fin septembre, un scientifique de la CIA, le Dr Sidney Gottlieb, arriva au Congo avec une « substance biologique mortelle » destinée à tuer Lumumba. Le virus censé engendrer une maladie mortelle indigène au Congo, voyagea dans la valise diplomatique. L’évolution des évènements au Congo voulut que le virus ne fût jamais utilisé, car le bureau congolais de la CIA ne put recruter un « agent de confiance dans l’entourage de Lumumba » avant la péremption de la substance biologique.
Pendant quelque temps, Lumumba fut protégé contre Mobutu par l’ONU, qui se voyait contrainte, compte tenu de l’intense pression internationale, de prendre quelques distances avec Washington. Ainsi, en octobre, son lieu de résidence est encerclé et il est maintenu en résidence surveillée. Mais fin novembre, craignant pour sa vie, il essaye de s’enfuir afin de gagner Stanleyville alors aux mains de ses partisans. Il ne réussit pas et est rattrapé par les soldats de Mobutu, frappé et molesté en présence de troupes ghanéennes de l’ONU, qui restent impassibles sur ordre de leurs supérieurs. Le 1er décembre, il est donc arrêté et emmené par les troupes de Mobutu. Un câble de la CIA, daté du 28 novembre, indique que l’Agence a participé à la chasse à l’homme. Le câble évoque la collaboration du bureau local de la CIA avec le gouvernement congolais pour installer des barrages routiers, et la mobilisation de troupes pour bloquer un itinéraire qui aurait pu permettre à Lumumba de s’échapper.
Lumumba, Maurice Mpolo et Joseph Okito sont donc détenus un temps au camp militaire de Thysville sur ordre de Mobutu. Le 17 janvier 1961, ils sont transférés à Élisabethville et ainsi livrés par Mobutu aux mains de leur ennemi numéro un Moise Tshombe, chef de la province du Katanga. Ils seront conduits dans une petite maison sous escorte militaire où ils seront ligotés, humiliés et torturés par les responsables katangais comme Moïse Tshombé, Munongo, Kimba, Kibwe, Kitenge mais aussi les Belges Gat et Vercheure. Ils seront fusillés le soir même par des soldats sous le commandement d’un officier belge. Mais, des documents secrets officiels belges, maintenant déclassifiés, dont la lecture ne laisse pas de doutes sur le fait que c’est bien la Belgique qui porte la plus grande responsabilité dans l’assassinat de Lumumba. Le comte Harold d’Aspremont Lynden, ministre belge des Affaires africaines et proche du roi Baudouin, n’écrivait-il pas le 5 octobre 1960 que l’objectif principal à poursuivre dans l’intérêt du Congo, du Katanga et de la Belgique est évidemment l’élimination définitive de Lumumba ? Ce sont des Belges, précise De Witte, qui ont dirigé toute l’opération du transfert de Lumumba au Katanga, jusqu’à sa disparition et celle de son corps. La Belgique était en effet le seul pays à avoir reconnu le Katanga comme état indépendant et sa petite armée était dirigée par des officiers belges. Le lendemain, une opération sera menée par des agents secrets belges pour faire disparaître dans l’acide les restes des victimes découpées auparavant en morceaux. Leurs dépouilles ne seront donc jamais retrouvées.
Plusieurs de ses partisans seront exécutés dans les jours qui vont suivre, avec la participation de militaires, ou mercenaires belges. Tshombé lance alors la rumeur selon laquelle Lumumba aurait été assassiné par des villageois. Ceci déclenche une insurrection parmi la population paysanne, qui prend les armes sous la direction de Pierre Mulele au cri de « A Lumumba » ou « Mulele Mai » : les paysans conquièrent près de 70 % du Congo avant d’être écrasés par l’armée de Mobutu.
En fait, assassiné à 36 ans, Lumumba a passé six ans de militantisme et six mois au pouvoir. Durant sa courte vie et encore sa plus courte « carrière » politique, Patrice Emery Lumumba aura tout synthétisé : la prise de conscience de l’oppression coloniale dans ses aspects les plus brutaux, ceux de l’administration belge ; la volonté d’indépendance, exprimée dans un défi sans concession ; le refus de tous les particularismes régionaux ou tribaux ; la méfiance à l’égard d’une « bourgeoisie nationale » trop prompte à se substituer au colonisateur ; le rêve d’une Afrique unie solidaire des autres mouvements de libération du Tiers Monde ; enfin, la coalition contre lui des petits traîtres locaux ainsi que des grands intérêts privés et publics étrangers.
Patrice Lumumba est depuis lors un symbole de l’anti-impérialisme reconnu à travers l’Afrique et le reste du Tiers monde. Comble de l’ironie ou du cynisme, Mobutu lui-même le consacra héros national en 1966 finit par construire un mémorial en l’honneur de sa victime. Le retour d’Égypte de sa femme Pauline et de ses enfants fut considéré comme un événement national. Le jour de sa mort, le 17 janvier, est un jour férié au Congo-Kinshasa.
Stéphane- E&R Aquitaine
Source principale : Les guerres scélérates, William Blum, Paragon, 2004.
Autres sources : http://www.sankurufoundation.org/pa... http://fr.wikipedia.org/wiki/Patric...