Le 26 mars 2015, l’armée saoudienne formait une coalition avec la majorité des membres du Conseil de coopération du Golfe et d’autres pays arabes pour une offensive au Yémen dans le but de rétablir au pouvoir Abd Rabbo Mansour Hadi, chassé par les rebelles houthistes alliés à l’ex-président Ali Abdallah Saleh. Quatorze mois plus tard, les objectifs de Riyad ne sont pas atteints et les pertes sont sensibles. Des revers qui mettent en lumière les faiblesses structurelles de ces armées, pourtant richement dotées.
- Soldats des forces spéciales saoudiennes en exercice
Le 26 mars 2015, l’armée saoudienne, entraînant avec elle plusieurs de ses homologues du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et quelques autres « États frères » s’engage au Yémen en soutien au président Abd Rabbo Mansour Hadi qui vient d’en être chassé par les rebelles houthistes alliés à l’ex-président Ali Abdallah Saleh et à la Garde républicaine, élite de l’armée yéménite qui lui est restée fidèle.
Quatorze mois plus tard, alors que se poursuivent de laborieux pourparlers de paix au Koweït, les buts de guerre de Riyad : reprendre Sanaa et y rétablir le président Hadi, ne sont pas atteints, tandis que les pertes des deux principaux acteurs de l’intervention, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont sensibles. Par ailleurs, les dégâts collatéraux provoqués par les avions de la coalition affectent durement les populations civiles. À ce stade, le crédit des armées du Golfe en est affecté.
Compte tenu du secret des opérations et du travail assidu de propagande des deux camps, il n’est pas forcément aisé — et sûrement prématuré — d’en tirer déjà un bilan détaillé et précis, d’autant que des doutes subsistent sur le nombre de militaires engagés et de mercenaires étrangers sous le drapeau de tel ou tel État du Golfe. Néanmoins, ces revers mettent en lumière les faiblesses structurelles de ces armées, pourtant parmi les plus richement dotées du monde. Volume des forces, qualités militaires et capacités du commandement de la coalition sont principalement en cause.
Problème d’effectifs
Le problème crucial des armées concernées du CCG, Arabie saoudite exclue, est celui des effectifs. Petits pays historiquement peu peuplés, le Koweït, Bahreïn, le Qatar et les Émirats y ont fait longtemps face en recrutant des étrangers issus d’autres pays musulmans comme Oman, le Pakistan, le Soudan ou le Yémen. Après la guerre du Koweït de 1991, presque tous ont procédé à la « nationalisation » de leurs troupes. Alors comment remplacer ces étrangers par des recrues locales tout en limitant l’enrôlement des femmes et refusant les naturalisations ? L’équation est impossible à résoudre et les résultats délétères : bataillons incomplets voire fantômes — ou, au contraire, quelques rares unités se trouvent trop favorisées, nuisant à la cohésion d’ensemble ; matériel non entretenu ; entraînement insuffisant, etc. En 2014, après des décennies d’hésitations, les Émirats et le Qatar se décident à imposer un service militaire obligatoire qui permet de regarnir les rangs, mais impose de consacrer une part importante des cadres à la formation des appelés.
Tant que les forces terrestres ne sont pas engagées en nombre, il est toujours possible de trouver des formules palliatives en puisant dans toutes les ressources de l’armée. Cependant cette fois, pour Abou Dhabi en particulier, le défi humain de l’engagement au Yémen est considérable, et explique sans doute le repli constaté du nombre de soldats émiriens depuis janvier 2016. En effet, Mohammed Ben Zayed Al-Nabyane, « MBZ », prince héritier et homme fort de la fédération, a initialement refusé de se contenter d’une contribution symbolique telle celles de Bahreïn, du Qatar et du Koweït, toutes inférieures à mille hommes. Les Émirats ont ainsi fourni le gros des unités du Golfe engagées à partir du sud du Yémen, avec une brigade blindée Leclerc et des forces spéciales. Ces dernières ont encadré et formé les milices pro-Hadi, tandis que les chars chassaient au cours de l’été 2015 les houthistes hors d’Aden puis vers Marib et Taëz. Cependant, alors que pour espérer l’emporter, le rapport de forces en offensive doit toujours être d’au moins trois attaquants contre un défenseur, ces proportions n’ont jamais été atteintes — probable première explication à l’enlisement de la coalition devant ces deux localités depuis huit mois. L’adjonction vraisemblable de mercenaires, notamment colombiens, n’a pas permis de résoudre ce problème d’effectifs. Il en va de même pour l’appui possible fourni par les nouveaux participants sénégalais ou tchadiens de la coalition.
Le 4 septembre 2015, le tir par les rebelles d’un missile balistique SS-21 sur une zone logistique à l’est de Marib provoque la mort d’au moins soixante militaires, dont quarante-cinq Émiriens. Pour Abou Dhabi, c’est le tournant du conflit, car le pays est frappé sur sa ressource la plus sensible : les hommes. Qui plus est, les victimes sont presque toutes des citoyens issus des cinq émirats du nord de la fédération, les moins favorisés. Face à ce taux de pertes — le plus élevé depuis l’indépendance —, les dirigeants répugnent alors à s’engager plus énergiquement avec leurs troupes au sol et rapatrient ceux des soldats engagés au Yémen qui étaient issus du service militaire obligatoire. Mohammed Ben Salman, ministre de la Défense saoudien, fait pourtant pression sur la coalition pour qu’elle vienne épauler les Émiriens. Les réponses sont en deçà de ses attentes : un bataillon d’infanterie soudanais, mille Qatariens, un groupe d’artillerie koweïtienne… : rien qui permette de repartir vigoureusement à l’offensive.
Des troupes peu opérationnelles
Ces lacunes en troupes amènent la coalition à avoir plus souvent recours aux forces aériennes. Moins exigeantes en termes d’effectifs, elles permettent de dominer l’ennemi, mais il est très rare qu’elles emportent la décision à elles seules. De plus, la défense antiaérienne adverse, bien que décimée par les bombardements, représente encore une menace potentielle. Il est probable que les avions opèrent alors à haute altitude pour limiter les risques et, de ce fait, perdent en précision. Les dégâts collatéraux nombreux en sont probablement la conséquence.
Pour leur part, les forces terrestres saoudiennes n’ont pas ces problèmes de ressources humaines et auraient engagé 150 000 soldats à partir de la province d’Asir frontalière avec le Yémen. Toutefois, elles ne parviennent pas à attaquer Sanaa par le nord, leur mission principale, et connaissent de fortes pertes. Certes, la conquête du bastion des houthistes, à commencer par celle de la ville de Saada au nord, est un objectif particulièrement ambitieux, mais ici, c’est le niveau opérationnel qui est en cause.