Alain Delon est décédé à l’âge de 88 ans, dans sa maison de Douchy, annoncent ses trois enfants ce dimanche. Légende du cinéma, il laisse derrière lui une carrière exceptionnelle, mais aussi une vie extrêmement romanesque.
Il n’appellera pas aujourd’hui. C’était un rituel : lorsqu’on publiait un article sur lui, Alain Delon décrochait son téléphone pour remercier. Numéro masqué, mais voix inimitable, grave, incandescente, magnétique. Malgré les centaines de couvertures de magazine dont sa carrière a été jalonnée, le vieux lion se délectait toujours lorsque son visage s’affichait en Une. Souvent, il nous engueulait gentiment parce que, pour éviter une répétition, on l’avait désigné comme un « comédien ». Alors il nous sermonnait encore : « Un comédien joue, un acteur vit ses rôles. C’est ce qui fait la différence entre Jean-Paul (Belmondo) et moi. »
Si l’article était accueilli par un silence assourdissant, c’est que Delon était fâché. Contrarié ou carrément blessé par un mot, une photo ou un précédent papier. Mais aujourd’hui, Alain Delon n’appellera pas, parce qu’il vient de mourir. Ce sont ses enfants, Alain Fabien, Anouchka et Anthony, qui se déchiraient ces derniers mois, qui l’ont annoncé dans un communiqué à l’AFP. « Il s’est éteint sereinement dans sa maison de Douchy (…) Sa famille vous prie de bien vouloir respecter son intimité, dans ce moment de deuil extrêmement douloureux », écrivent-ils.
L’acteur avait 88 ans et, avec lui, c’est bien sûr l’une des carrières les plus flamboyantes du cinéma français qui s’achève.
Seulement un César
Depuis son premier long-métrage en 1957, à l’âge de 23 ans, Delon a tourné dans 88 films et sept téléfilms. Il a aussi réalisé 2 longs-métrages, en a produit 32, a joué dans 7 pièces de théâtre. Au-delà de ce chapelet de chiffres, celui qui était voué à reprendre la charcuterie familiale de Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine) a surtout été le héros d’une douzaine de chefs-d’œuvre ou de films cultes, parmi lesquels Plein Soleil, Rocco et ses frères, Le Guépard, Mélodie en sous-sol, Le Samouraï, Borsalino, La Piscine ou Monsieur Klein.
Alain Delon a collectionné les rôles, mais pas les trophées. Son palmarès impressionnant n’a été récompensé « que » par un César, celui du meilleur acteur en 1985 pour Notre histoire, de Bertrand Blier, par l’Ours d’honneur au festival de Berlin en 1995 et par le prix du Festival international du film de Locarno, en 2012… Jusqu’à ce qu’en mai 2019, Delon soit couronné par la Palme d’or d’honneur à Cannes : une récompense tardive mais suprême, que la star a reçue en larmes, des mains de sa fille Anouchka, profitant de cet ultime hommage pour adresser des adieux déchirants à son public.
Un héros français
Bien plus qu’un acteur, Alain Delon était un mythe, une icône, un héros français dont le visage et le nom ont fait le tour du monde. Une « beauté du diable » qui, à 74 ans, est devenue l’égérie d’une marque de parfums grâce à des photos datant des années 1960. Comme si, depuis, aucun autre visage n’avait égalé cette perfection, cette grâce féline et mystérieuse. À l’étranger, il reste sans aucun doute l’une des stars françaises les plus célèbres, lui qui est devenu une idole en Chine et au Japon dès 1967 avec Le Samouraï, de Jean-Pierre Melville.
Sa vie romanesque, elle aussi, a alimenté la légende Delon. Ses histoires d’amour, d’abord, ont fait fantasmer la presse, depuis son coup de foudre pour Romy Schneider en 1958 jusqu’à sa tendre complicité avec Mireille Darc, amante devenue « moitié ». En passant par ses passions avec Nathalie, Anne Parillaud, Rosalie van Breemen et même Dalida — avec laquelle il a révélé tardivement avoir eu une idylle. Ses amitiés avec des voyous (Milosevic, Markovich, Marcantoni, Hornec…), ensuite, ont brouillé les lignes entre la vie et les rôles de celui qui a enchaîné les films de gangsters.
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Sa carrière en 12 films
L’acteur, dont le décès a été annoncé ce dimanche à l’âge de 88 ans, a marqué l’histoire du cinéma en tournant dans près de 90 films. De Plein Soleil à Astérix aux Jeux olympiques, retour sur son parcours à travers 12 longs-métrages.
Il a tourné des chefs-d’œuvre, des films commerciaux et quelques navets. C’est à l’âge de 23 ans qu’Alain Delon, mort à l’âge de 88 ans, débute au cinéma : le réalisateur Yves Allégret, sur les conseils de sa femme, charmée par la beauté du jeune homme, lui offre un rôle dans Quand la femme s’en mêle, une histoire de gangsters et de maîtresses avec Edwige Feuillère et Bernard Blier (1957).
Delon a ensuite enchaîné les longs-métrages de manière souvent frénétique. Avant de ralentir le rythme dans les années 1980, puis de tourner définitivement le dos au cinéma après 2008 et Astérix aux Jeux olympiques. Retour sur 12 films marquants d’une carrière qui en compte près de 90.
Plein soleil (1960) : naissance d’une star
C’est avec ce film de René Clément que Delon devient, à 25 ans, une star. Entre les acteurs Maurice Ronet et Marie Laforêt (20 ans à l’époque), le regard et la sensualité de celui qui n’a alors que cinq longs-métrages à son actif crèvent l’écran. Dans cette adaptation de Monsieur Ripley, roman de l’Américaine Patricia Highsmith, le comédien incarne Tom Ripley. Ce jeune homme retrouve son ami d’enfance Philippe en Italie, où ce dernier passe ses vacances avec sa maîtresse, Marge. Mais Tom va se retrouver dévoré par la jalousie…
Bourré de suspense, ambigu, superbement maîtrisé, Plein soleil est un thriller captivant. La présence d’un Delon incandescent et le contraste entre la noirceur des sentiments et la lumière écrasante de la région de Naples ont rendu ce film culte.
Mélodie en sous-sol (1963) : ascension d’un voyou
Delon n’a que 28 ans lorsqu’il partage l’affiche pour la première fois avec Jean Gabin, qui est déjà l’une des grandes figures du cinéma français. Dans Mélodie en sous-sol, d’Henri Verneuil, il incarne Francis, un jeune voyou inexpérimenté, hâbleur et beau gosse, avec qui s’associe Charles (Gabin), vieux truand qui vient de purger cinq ans de prison. Avec Louis, beau-frère de Francis, le duo prépare ce qui doit être le dernier gros coup de Charles : le cambriolage du casino Palm Beach à Cannes.
Sur un scénario réglé comme du papier à musique, la première confrontation entre Delon et Gabin et les bons mots de Michel Audiard s’avèrent un régal. En coulisses, le film révèle par ailleurs un Alain Delon businessman. L’acteur accepte de tourner gratuitement en échange des droits de vente du long-métrage dans trois pays : l’Union soviétique, le Japon et le Brésil. Le contrat remplacera le Brésil par l’Argentine, mais Delon a eu le nez creux : déjà une star dans ces pays depuis Plein soleil, il empochera plusieurs millions de francs. Plus que Gabin lui-même, reconnaîtra plus tard le héros de Touchez pas au Grisbi.
Le Guépard (1963) : la Palme d’Or
Delon au sommet de son élégance… Entouré de Claudia Cardinale et Burt Lancaster, le comédien tourne à nouveau pour Luchino Visconti, trois ans après Rocco et ses frères. Petite moustache bien taillée, raie sur le côté, costume impeccable, il interprète Tancrède, neveu du prince de Salina (Lancaster), qui, lors d’un dîner, tombe amoureux de la fille du maire du village (Cardinale). Cette fresque magnifique se déroule en 1860 en Sicile, alors que Garibaldi et ses chemises rouges débarquent pour aider les habitants à se soulever contre François II, roi des Deux-Siciles.
Avec ses 3h06 de toute beauté, une scène de bal fastueuse qui a nécessité près de quarante nuits de tournage, Le Guépard rafle la Palme d’or du Festival de Cannes en 1963 – la seule de la carrière de Delon. Et le film deviendra un immense succès commercial dans le monde entier.
Le Clan des Siciliens (1969) : avec Gabin et Ventura
Lorsqu’il intègre le Clan des Siciliens d’Henri Verneuil, Delon, 34 ans, est au sommet de sa carrière. Tout en se trouvant sur le plan personnel empêtré dans l’affaire du meurtre de Stefan Markovic (son ancien ami et garde du corps). Ce contexte plus que délicat n’empêchera pas l’acteur de savourer les confrontations avec deux autres comédiens de légende – Jean Gabin et Lino Ventura – que lui offre Henri Verneuil.
Lui interprète un truand qu’un mafieux sicilien (Gabin) aide à s’échapper de prison et que recherche un commissaire zélé (Ventura). Sur un scénario parfaitement ficelé et des dialogues percutants signés José Giovanni, Alain Delon est tout simplement magnifique.
Le Samouraï (1967) : du pur Melville
Premier des trois films que Delon tournera avec Jean-Pierre Melville (avant Le Cercle rouge en 1970 et Un flic en 1972), Le Samouraï est un absolu classique du film noir. En chapeau mou et imperméable beige, le visage hermétique, presque mutique, Alain Delon incarne le tueur à gages Jef Costello, engagé pour assassiner le patron d’une boîte de jazz… Dont il tombe amoureux de la pianiste. (...)
Un film épuré, sec, entrecoupé de filatures et notamment d’une scène culte tournée dans les couloirs du métro. En Asie, Le Samouraï marque la naissance de l’icône Delon.
La Piscine (1968) : retrouvailles torrides avec Romy
Quatre ans après leur rupture, Romy Schneider et Alain Delon se retrouvent devant la caméra de Jacques Deray. C’est l’idée d’Alain, qui a menacé le réalisateur de ne pas faire le film si son ancienne fiancée autrichienne n’y avait pas de rôle. La Piscine met en scène un torride triangle amoureux (entre Delon, Romy et Maurice Ronet), qui devient quatuor lorsque s’y invite la toute jeune Jane Birkin (qui n’a alors que 21 ans).
Tourné dans une somptueuse villa sur les hauteurs de Saint-Tropez, La Piscine marque aussi la réunion, neuf ans après Plein soleil, de Delon et Ronet dans un nouveau duel de mâles et une nouvelle histoire de rivalité toxique… Qui baigne, cette fois-ci, dans une eau chlorée. Le long-métrage relancera la carrière de Romy Schneider et restera comme l’un des plus beaux films de Delon.
Borsalino (1970) : face à face avec Belmondo
Le film de Jacques Deray crée l’événement en réunissant les deux stars du moment : Jean-Paul Belmondo et Alain Delon (qui, jusque-là, avaient seulement partagé quelques scènes dans Sois belle et tais-toi en 1957 et s’étaient croisés sur le plateau de Paris brûle-t-il ? en 1965). C’est Delon qui a l’idée d’adapter Bandits à Marseille, le roman d’Eugène Saccomano (alors journaliste au Provençal), qu’il lit sur le tournage de La Piscine. Rebaptisé Borsalino, le film raconte une histoire de voyous située dans le Marseille des années 1930. Soit la rencontre, puis l’association, entre deux truands, Roch Siffredi (Delon), récemment libéré de prison, et François Capella (Belmondo), dont s’est entichée la compagne de Siffredi (Catherine Rouvel).
Le face-à-face donne lieu à une négociation entre avocats : pour que Belmondo et Delon aient des rôles strictement équivalents, les deux acteurs signent des contrats très précis. Seulement voilà : juste avant la sortie du film, Bébel s’aperçoit que l’affiche fait apparaître le nom d’Alain Delon en premier. Fâché, il refusera d’assister à l’avant-première du film et portera même l’affaire devant les tribunaux… La guerre Belmondo-Delon, ce n’est plus du cinéma.
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